jeudi 23 juin 2022 - par jjwaDal

« KRIEG MACHT FREI » ou les hoquets d’un passé qu’on espérait révolu

On peut douter que beaucoup d'habitants de la planète ignorent que la Russie a engagé une opération spéciale (« Z ») en Ukraine. « Invasion » est un mot discutable au sens où aucun militaire n'envisagerait d'attaquer un pays de 40 millions d'habitants, plus grand que la France, disposant d'armements de qualité similaires aux siens avec un contingent estimé au maximum à 200 000 soldats.

L'orthodoxie militaire est pour l'attaquant d'être à trois contre un, et un pays de 40 millions d'habitants peut lever une armée de plusieurs millions de personne sans difficultés.

Il n'est donc pas invraisemblable que les buts déclarés par la Russie de son intervention soient exacts, à savoir la protection de la région russophone du Donbass contre une intervention militaire très musclée en préparation par l'Ukraine et la réduction du potentiel militaire de l'Ukraine, sous perfusion de l'OTAN depuis près d'une décennie, ce qui pour la Russie constitue une menace existentielle, selon leurs propres déclarations.

Très violente réaction des USA et de l'Europe et qui a rencontré peu d'échos ailleurs (pour des raisons explicables aisément) qui visait à asphyxier l'économie russe et à renvoyer le contingent russe dans son pays en donnant à l'Ukraine les moyens de repousser l'assaut d'un pays qu'on compare volontiers (par le PIB mesuré dans les unités de mesure ad hoc) à un pays de la taille de l'Italie (pas l'Irak ou la Libye tout de même...).

Quatre mois plus tard, force est de constater que les principaux acteurs de ce choix ne songent pas vraiment à adopter une réaction différente, alors que les preuves de son échec abyssal s'étalent sur la planète entière, y compris dans les pays ayant décidé des sanctions, alors que l'impact supposé sur la Russie est pour le moins mitigé.

 

Quelques questions se posent à toute personne curieuse de ce développement.

 

Tout d'abord il est clair que l'Ukraine est une mosaïque de peuples récemment assemblés et qui n'envisage pas le divorce « amiable » comme l'ont fait l'URSS, la Yougoslavie (un peu aidée quand même), la Tchécoslovaquie.

Pour la direction ukrainienne, « donner c'est donner et reprendre c'est voler » semble la devise nationale. Ainsi, le Donbass (intégré par Lénine en 1922) et la Crimée (donnée par Khrouchtchev en 1954) n'ont pas plus de droit à l'autonomie interne dans les frontières de l'Ukraine (pour les premiers) que le droit à l'autodétermination pour les seconds. Depuis 1991 , la Russie (son parlement) puis le parlement de Crimée puis les Criméens demandaient en pure perte le retour de la Crimée en Russie et il aura fallu un rapport de force pour que la Crimée rejoigne enfin la Russie en 2014.

 

Est-ce que les droits qu'on semblait tacitement accorder à l'Ukraine de maîtriser la volonté d'autonomie du Donbass dans un bain de sang et de refuser à la Crimée son droit à l'autodétermination, ainsi qu'entrer dans l'OTAN, valent les conséquences visibles et à venir ?

 

Veut-on casser la mondialisation, telle qu'on la connue car le refus d'acheter comme de vendre va à rebours de tout le corpus législatif de l'OMC et du paradigme économique depuis les années 1980 ?

 

Veut-on déstabiliser des dizaines de pays et probablement affamer des dizaines de millions de personnes, précipiter vers la pauvreté des centaines de millions d'autres, victimes d'un conflit dans lequel ils ne sont aucunement partie ?

 

Veut-on crucifier l'économie européenne, en cumulant la perte d'un client non marginal, la perte de ressources énergétiques bon marché dans un bricolage « sous le feu » de nos infrastructures énergétiques qui vont inclure massivement des sources aléatoires (soleil et vent) tout en important du gaz de schiste et du GNL, en renonçant au nucléaire et en courtisant des pays pour la substitution qui ne sont pas, loin s'en faut des îlots de stabilité , encore moins des démocraties ?

 

Veut-on jeter dans les bras l'un de l'autre, deux pays dotés d'arsenaux nucléaires majeurs et qui n'ont jamais connu la démocratie dans toute leur histoire ?

 

Veut-on abandonner le rôle de monnaie de réserve (quasi monnaie mondiale) que le dollar détenait et son rôle crucial dans les échanges commerciaux ? La crédibilité du remboursement de la dette US (30 000 milliards de dollars) tient pour une large part dans le caractère rendu indispensable du dollar dans les relations commerciales et pourrait en pâtir gravement (au cours des douze derniers mois la Chine s'est débarrassée de 10% de ses réserves de dollars, mais 5% sur les deux premiers mois du conflit ukrainien). La crédibilité de l'euro comme monnaie de réserve a elle aussi été mise en cause par la séquestration des avoirs russes dans les banques européennes.

 

Veut-on créer un précédent qui sera répété dès que la Chine aura réintégré Taïwan par la force ? C'est quelque chose d'inévitable, (l'ambassadeur de Chine aux USA ayant affirmé que si les USA s'en mêle il y aura une guerre entre la Chine et les USA, on ne peut être plus clair sur ses intentions.) et qui précipite d'ores et déjà des nations majeures dans la mise en service d'alternatives au dollar comme au système d'échange interbancaire « SWIFT » notoirement contrôlé par des intérêts US et européens.

Rien ne pourra empêcher la Chine de réintégrer Taïwan, ni les USA ni les européens. Est-on sûr de pouvoir faire aussi avec la Chine ce qu'on vient de faire avec la Russie, avec des bénéfices aussi peu glorieux ?

 

Les pires bellicistes aux USA ont pourtant dénoncé l'extrême danger de vouloir intégrer l'Ukraine dans l'OTAN et de prendre la Russie pour un pays du Tiers-monde (qui accessoirement à seul assuré le transport vers la station spatiale internationale pendant 10 ans). John Mc Cain en son temps qui n'avait jamais envisagé une seule guerre qu'il n'aurait pas voulu faire, rejetait l'idée de se battre pour les ukrainiens et Kissinger très récemment (un des pires « pousse au crime » de l'histoire contemporaine des USA) a explicitement demandé lors de son intervention au forum de Davos, l'abandon de territoire par l'Ukraine pour arrêter les hostilités.

 

Et face à une armée Ukrainienne en déroute, ayant subie une saignée majeure en personnel et bien plus en matériels, avec une perte déjà de 20% de son territoire, il semble que la tactique qui va prévaloir est celle que les faucons démocrates semblent avoir choisie pour éviter une déroute majeure aux élections prochaines de novembre, à savoir un arrosage massif (financier et matériel) de l'Ukraine et la politique du « dernier homme debout ».

 

Il est presque naturel pour le citoyen lambda de perdre de vue les grandes lignes du mouvement des plaques tectoniques qui vient de s'opérer et est en cours pourtant sous nos yeux. Mais qui a une vision d'ensemble en Europe par ex du monde vers lequel nous sommes en train de basculer ?

Un monde dans lequel nous allons consacrer une part bien plus substantielle à nous armer, à payer notre facture énergétique et la plupart des produits de consommation courante, un monde dans lequel par sécurité nos fournisseurs vont demander à être payés dans leur monnaie plutôt que dans une devise qui peut être confisquée du jour au lendemain.

Quand Taïwan va tomber nous serons face à nos contradictions, à savoir que nous ne sommes plus les seuls à avoir des intérêts géopolitiques et que fixer des règles du jeu en nous accordant des privilèges exclusifs interdits aux autres relève du passé.

Si les USA sont prêts à se battre pour faire respecter la doctrine Monroe, alors russes et chinois aussi. Si les USA sont capables d'envahir et de massacrer avant de l'occuper un pays comme l'Irak (sans que l'U.E ne manifeste la moindre contrariété), alors d'autres peuvent être tentés de le faire aussi.

 

Il va falloir prendre conscience que l'essentiel de l'humanité n'est ni en Europe ni aux USA. Elle ne partage pas nos valeurs et nos hypocrisies et n'a pas forcément vocation à se faire piller en échange de bouts de papier à la valeur très spéculative. L'essentiel de la planète a littéralement « mal au cul » après avoir rencontré les Européens où leurs transfuges émigrés sur le continent Américain.

L'heure de payer nos factures pourrait arriver bien plus tôt que prévu.

 

Nous venons peut-être de choisir un destin que nous n'entrevoyons même pas et dans lequel nous aurons un rôle marginal.

 

Ce n'est pas pour rien que l'essentiel de la planète n'a pas condamné l'intervention russe... Ils ont les ressources alimentaires (croissantes avec l'évolution du climat) pour nourrir une bonne partie du Monde, les ressources énergétiques et minérales et en plus peuvent refonder un nouvel espace d'échange mondial dans lequel les pays ne seront plus contraints à des échanges de dupes (des ressources dévaluées contre du papier surévalué). Sans l'aide de la Chine ils n'auraient pu le faire et on vient de les précipiter dans les bras l'un de l'autre.

 

La classe mondiale...




Réagir