L’Anschluss, 12 mars 1938 : le jour où Adolf Hitler effaça l’Autriche
Le 12 mars 1938, l’Autriche, nation fière et souveraine, fut rayée de la carte européenne par un acte de violence politique et d’ambition idéologique. L’Anschluss, l’annexion par l’Allemagne nazie, ne fut pas un simple épisode historique : il fut une sonnette d’alarme, un prélude au cataclysme de la Seconde Guerre mondiale.
L'Autriche au bord du gouffre
L’histoire de l’Anschluss ne commence pas le 12 mars 1938, mais bien avant, dans les cendres du premier conflit mondial. Le traité de Saint-Germain-en-Laye, en 1919, démantela l’empire austro-hongrois, laissant derrière lui une Autriche diminuée, économiquement fragile. Beaucoup d’Autrichiens, désorientés par cette amputation, rêvaient d’une union avec l’Allemagne, une idée interdite par les Alliés mais qui germait dans les esprits.
Dans les années 1930, l’Autriche devint un champ de bataille idéologique. Sous Engelbert Dollfuss, puis Kurt Schuschnigg, le pays se mua en un "État corporatif", autoritaire mais farouchement hostile au nazisme. Schuschnigg, figure austère et réservée, tenta de naviguer entre Benito Mussolini, protecteur initial de l’indépendance autrichienne, et Adolf Hitler, prédateur insatiable. Les dépêches du New York Times de l’époque évoquent ses efforts désespérés, mais lorsque Mussolini se rapprocha de Hitler, l’Autriche se retrouva isolée, vulnérable.
La société autrichienne était elle-même fracturée. À Vienne, une élite cosmopolite cultivait les arts, tandis que dans les campagnes, la misère et la propagande nazie gagnaient du terrain. Les archives du Wiener Zeitung rapportent de nombreuses scènes où des villageois accueillaient les idées de Hitler avec ferveur, voyant en lui un sauveur. Ainsi, en 1938, l’Autriche oscillait sur un fil ténu, prête à basculer dans l’inconnu.
Schuschnigg, Hitler et les hommes de l’ombre
Au cœur de cette tragédie se dressait Kurt Schuschnigg, dernier chancelier d’une Autriche libre. Juriste discret, peu porté aux éclats, il annonça le 9 mars 1938 un référendum pour demander au peuple s’il voulait rester indépendant. Ce fut un pari courageux, mais fatal. Il sous-estima la machine de propagande nazie et la fragilité de son propre pouvoir, se croyant encore maître de son destin.
Face à lui, Adolf Hitler, l’architecte du chaos. Le Führer, animé par une ambition dévorante, voyait dans l’Autriche une pièce essentielle de son "Grand Reich". Dès 1934, il avait tenté un coup d’État avorté, qui coûta la vie au chancelier Dollfuss. Les documents du ministère allemand des Affaires étrangères, analysés par Joachim Fest dans Hitler : une biographie, montrent comment, en 1938, il usa de menaces et de ruse pour briser Schuschnigg. Le 11 mars, un ultimatum scella le sort : démission ou invasion.
Dans l’ombre, des figures comme Arthur Seyss-Inquart jouèrent un rôle clé. Cet avocat autrichien, fervent nazi, fut imposé comme chancelier après la capitulation de Schuschnigg. Les journaux britanniques, tels que le Times, rapportent sa déclaration feignant d’appeler l’Allemagne au secours, un prétexte pour légitimer l’annexion. Ces hommes, entre courage vacillant et cynisme calculateur, furent les acteurs d’un drame qui allait engloutir un pays.
Une chute sans combat
L’aube du 12 mars vit l’irréparable se produire. Les troupes allemandes franchirent la frontière à Braunau, ville natale de Hitler, et avancèrent sans rencontrer de résistance. Schuschnigg, dans un ultime sursaut, avait ordonné à l’armée de ne pas se battre, espérant éviter un bain de sang. Les récits de Stefan Zweig, dans ses mémoires, dépeignent une Vienne partagée entre liesse fanatique et terreur sourde : des drapeaux à croix gammée surgissaient, tandis que d’autres fuyaient dans l’obscurité.
Hitler entra à Vienne deux jours plus tard, le 14 mars, acclamé par une foule en délire. Le Frankfurter Zeitung, sous contrôle nazi, exalta une "réunification", mais des voix y virent une conquête brutale. Schuschnigg, arrêté, fut emprisonné puis envoyé au camp de concentration de Sachsenhausen, symbole d’une résistance brisée. En quelques heures, l’Autriche avait cessé d’exister, absorbée par un Reich triomphant.
La réaction internationale fut timorée. France et Royaume-Uni, englués dans leur politique d’apaisement, se contentèrent de protestations molles. La Société des Nations, déjà impuissante, resta muet. A.J.P. Taylor, dans The Origins of the Second World War, voit dans ce jour le point de non-retour : Hitler, enhardi, ne s’arrêterait plus, et l’Europe entière en paierait le prix.
De Vienne à la guerre totale
L’Anschluss ouvrit une ère de ténèbres. Pour les Juifs autrichiens, le cauchemar commença immédiatement : pillages, arrestations, premières déportations ; des scènes de désespoir, prémices de l’Holocauste. L’identité autrichienne fut écrasée, ses citoyens entraînés dans la machine de guerre nazie, souvent malgré eux.
Sur le plan stratégique, l’annexion fut un coup de maître. L’or, les usines, les hommes de l’Autriche renforcèrent l’Allemagne. Cette mainmise sur les Alpes et l’Europe centrale donna à Hitler un avantage décisif. Après l’Autriche, la Tchécoslovaquie tomba, et la guerre devint inévitable. Le 12 mars 1938 fut le levier qui fit basculer le monde.
Pour les contemporains, ce fut un avertissement ignoré. La faiblesse des démocraties face à l’audace des dictateurs se cristallisa cette nuit-là. Les Viennois reprirent bien vite leurs habitudes dans les cafés, mais sous les lustres brillait désormais une ombre menaçante, celle d’un conflit qui allait tout dévorer.
Le 12 mars 1938 n’est pas qu’une date dans les livres d'histoire : c’est un cri étouffé, un instant où l’histoire a vacillé. Schuschnigg, avec son rêve brisé, Hitler, avec sa soif de puissance et un monde aveugle composent une fresque tragique. Ce jour-là, l’Autriche ne fut pas seulement annexée ; elle fut un miroir des failles humaines.
"Celui qui ne connaît pas l'histoire est condamné à la revivre."
George Santayana