mercredi 12 mars - par Giuseppe di Bella di Santa Sofia

L’Anschluss, 12 mars 1938 : le jour où Adolf Hitler effaça l’Autriche

Le 12 mars 1938, l’Autriche, nation fière et souveraine, fut rayée de la carte européenne par un acte de violence politique et d’ambition idéologique. L’Anschluss, l’annexion par l’Allemagne nazie, ne fut pas un simple épisode historique : il fut une sonnette d’alarme, un prélude au cataclysme de la Seconde Guerre mondiale.

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L'Autriche au bord du gouffre

L’histoire de l’Anschluss ne commence pas le 12 mars 1938, mais bien avant, dans les cendres du premier conflit mondial. Le traité de Saint-Germain-en-Laye, en 1919, démantela l’empire austro-hongrois, laissant derrière lui une Autriche diminuée, économiquement fragile. Beaucoup d’Autrichiens, désorientés par cette amputation, rêvaient d’une union avec l’Allemagne, une idée interdite par les Alliés mais qui germait dans les esprits.

Dans les années 1930, l’Autriche devint un champ de bataille idéologique. Sous Engelbert Dollfuss, puis Kurt Schuschnigg, le pays se mua en un "État corporatif", autoritaire mais farouchement hostile au nazisme. Schuschnigg, figure austère et réservée, tenta de naviguer entre Benito Mussolini, protecteur initial de l’indépendance autrichienne, et Adolf Hitler, prédateur insatiable. Les dépêches du New York Times de l’époque évoquent ses efforts désespérés, mais lorsque Mussolini se rapprocha de Hitler, l’Autriche se retrouva isolée, vulnérable.

 

G.E.R. Gedye's Eye-Witness Account of Austro-Fascism - Forbidden Music

 

La société autrichienne était elle-même fracturée. À Vienne, une élite cosmopolite cultivait les arts, tandis que dans les campagnes, la misère et la propagande nazie gagnaient du terrain. Les archives du Wiener Zeitung rapportent de nombreuses scènes où des villageois accueillaient les idées de Hitler avec ferveur, voyant en lui un sauveur. Ainsi, en 1938, l’Autriche oscillait sur un fil ténu, prête à basculer dans l’inconnu.

 

Schuschnigg, Hitler et les hommes de l’ombre

Au cœur de cette tragédie se dressait Kurt Schuschnigg, dernier chancelier d’une Autriche libre. Juriste discret, peu porté aux éclats, il annonça le 9 mars 1938 un référendum pour demander au peuple s’il voulait rester indépendant. Ce fut un pari courageux, mais fatal. Il sous-estima la machine de propagande nazie et la fragilité de son propre pouvoir, se croyant encore maître de son destin.

 

Kurt von Schuschnigg | Austrian politics, Anschluss, Nazi Germany |  Britannica

 

Face à lui, Adolf Hitler, l’architecte du chaos. Le Führer, animé par une ambition dévorante, voyait dans l’Autriche une pièce essentielle de son "Grand Reich". Dès 1934, il avait tenté un coup d’État avorté, qui coûta la vie au chancelier Dollfuss. Les documents du ministère allemand des Affaires étrangères, analysés par Joachim Fest dans Hitler : une biographie, montrent comment, en 1938, il usa de menaces et de ruse pour briser Schuschnigg. Le 11 mars, un ultimatum scella le sort : démission ou invasion.

Dans l’ombre, des figures comme Arthur Seyss-Inquart jouèrent un rôle clé. Cet avocat autrichien, fervent nazi, fut imposé comme chancelier après la capitulation de Schuschnigg. Les journaux britanniques, tels que le Times, rapportent sa déclaration feignant d’appeler l’Allemagne au secours, un prétexte pour légitimer l’annexion. Ces hommes, entre courage vacillant et cynisme calculateur, furent les acteurs d’un drame qui allait engloutir un pays.

 

75 jaar na ophanging Seyss-Inquart: 'Opa is tot na dood van Hitler  overtuigd gebleven van nazisme' | Het Parool

 

Une chute sans combat

L’aube du 12 mars vit l’irréparable se produire. Les troupes allemandes franchirent la frontière à Braunau, ville natale de Hitler, et avancèrent sans rencontrer de résistance. Schuschnigg, dans un ultime sursaut, avait ordonné à l’armée de ne pas se battre, espérant éviter un bain de sang. Les récits de Stefan Zweig, dans ses mémoires, dépeignent une Vienne partagée entre liesse fanatique et terreur sourde : des drapeaux à croix gammée surgissaient, tandis que d’autres fuyaient dans l’obscurité.

 

12 mars 1938 - Anschluss de l'Autriche - Herodote.net

 

Hitler entra à Vienne deux jours plus tard, le 14 mars, acclamé par une foule en délire. Le Frankfurter Zeitung, sous contrôle nazi, exalta une "réunification", mais des voix y virent une conquête brutale. Schuschnigg, arrêté, fut emprisonné puis envoyé au camp de concentration de Sachsenhausen, symbole d’une résistance brisée. En quelques heures, l’Autriche avait cessé d’exister, absorbée par un Reich triomphant.

 

The Order of the Day by Eric Vuillard — satire on Nazi plans for Austria

 

La réaction internationale fut timorée. France et Royaume-Uni, englués dans leur politique d’apaisement, se contentèrent de protestations molles. La Société des Nations, déjà impuissante, resta muet. A.J.P. Taylor, dans The Origins of the Second World War, voit dans ce jour le point de non-retour : Hitler, enhardi, ne s’arrêterait plus, et l’Europe entière en paierait le prix.

 

De Vienne à la guerre totale

L’Anschluss ouvrit une ère de ténèbres. Pour les Juifs autrichiens, le cauchemar commença immédiatement : pillages, arrestations, premières déportations ; des scènes de désespoir, prémices de l’Holocauste. L’identité autrichienne fut écrasée, ses citoyens entraînés dans la machine de guerre nazie, souvent malgré eux.

Sur le plan stratégique, l’annexion fut un coup de maître. L’or, les usines, les hommes de l’Autriche renforcèrent l’Allemagne. Cette mainmise sur les Alpes et l’Europe centrale donna à Hitler un avantage décisif. Après l’Autriche, la Tchécoslovaquie tomba, et la guerre devint inévitable. Le 12 mars 1938 fut le levier qui fit basculer le monde.

Pour les contemporains, ce fut un avertissement ignoré. La faiblesse des démocraties face à l’audace des dictateurs se cristallisa cette nuit-là. Les Viennois reprirent bien vite leurs habitudes dans les cafés, mais sous les lustres brillait désormais une ombre menaçante, celle d’un conflit qui allait tout dévorer.

Le 12 mars 1938 n’est pas qu’une date dans les livres d'histoire : c’est un cri étouffé, un instant où l’histoire a vacillé. Schuschnigg, avec son rêve brisé, Hitler, avec sa soif de puissance et un monde aveugle composent une fresque tragique. Ce jour-là, l’Autriche ne fut pas seulement annexée ; elle fut un miroir des failles humaines.

 

 

"Celui qui ne connaît pas l'histoire est condamné à la revivre."

 

George Santayana

 

 



24 réactions


  • juluch juluch 12 mars 18:48

    Bien avant il eu la réoccupation de la Ruhr.

    Ce jour là fut un coup de dés de Hitler...pari réussi.

    Personne n’a bougé à l’époque, la suite on connait.


    • @juluch

      Bonsoir. Merci pour votre commentaire. Effectivement, l’annexion de l’Autriche par Adolf Hitler était un pari risqué mais il a permis au dictateur de se rendre compte de l’inaction des puissances européennes. Comme vous l’avez souligné, personne n’a bougé à l’époque et l’escalade, jusqu’en 1939, a conduit l’Europe dans la Seconde Guerre mondiale.

      C’est une situation qui m’en rappelle une autre qui se déroule actuellement...


    • @Maître Yoda

      L’arme atomique n’a absolument rien à voir dans cette affaire. La Russie pourrait l’utiliser, c’est vrai. Mais dans ce cas, cela signifierait également la disparition totale de ce pays car les représailles des nations visées seraient immédiates.Tout cela conduirait à l’extinction de la vie sur Terre.

      Continuez à lire et à commenter les (trop) nombreux articles pro-Poutine indigestes qui encensent votre idole et ne venez pas me dire ce que je dois penser ou écrire, y compris quand je réponds à un commentaire. Nous ne sommes pas en Fédération de Russie où la liberté d’expression est bafouée, où les droits de l’homme sont piétinés, où les opposants politiques sont assassinés... C’est clair ?

      Comme vous le savez certainement, les commentaires ne sont pas destinés à régler vos comptes avec un auteur ou à le dénigrer. Ils servent à établir un dialogue, entre êtres civilisés, sur l’article, et apporter un complément ou signaler d’éventuelles erreurs. Ce n’est pas un ring de boxe. Je sais que c’est une règle qui est rarement respectée sur ce site et je le regrette bien vivement. Il est temps que ça change ! 

      Maintenant, si vous avez une remarque ou un complément à apporter à cet article, vous êtes le bienvenu. 


    • rogal 13 mars 01:38

      Vous voilà bien menaçant, Giuseppe di Bella di Santa Sofia !


    • @rogal

      Où voyez-vous des menaces ? De la fermeté, un rappel à l’ordre et une invitation au dialogue... Je ne vois pas où sont les menaces.

      Sinon, un commentaire sur l’article ou préférez-vous commenter les commentaires qui ne vous sont pas adressés ?


    • @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

      Qui a dit ça ? Vous savez très bien que je suis ouvert au dialogue. Bien entendu, une conversation sereine, courtoise est tout à fait possible. Je ne suis pas contre le hors-sujet, en particulier quand je suis à l’origine de celui-ci. Par contre, je n’aime pas du tout les attaques personnelles et les jugements de valeur. Je ne cherche pas à vous obliger à avoir les mêmes opinions que les miennes. Le monde serait triste à mourir avec des personnes qui penseraient la même chose. 


    • DACH 13 mars 11:30

      @Maître Yoda=Pourquoi usurper votre pseudo ? 


    • DACH 13 mars 11:41

      @Maître Yoda=mais on vous pardonne bien volontiers, mais sans être dupe, il faut que vous le sachiez. 


    • sylvie 13 mars 11:45

      @Maître Yoda
      demandée, suppression de quel compte ? le vôtre ?


    • sylvie 13 mars 11:51

      @Maître Yoda
      vous devriez changer votre décision


    • DACH 13 mars 11:53

      @Maître Yoda=Alors, faites l’effort de contribuer à enrichir les débats !!!!!!!!!


  • DACH 13 mars 11:04

    Bjour. 2 constats parmi tant d’autres.

    Les Européens, dont les Ukrainiens, ont endossé en 2025 le rôle de la Tchécoslovaquie de 1938. Saurons-nous enlever cette tunique de Nessus ? Oui si volontés.....

    En 2025, il faudra sans doute qu’un nouveau Pearl Harbor frappe les Américains pour qu’ils comprennent enfin que s’engager pleinement au soutien de l’Ukraine reste la seule voie, celle qui peut conduire à une paix rapide, juste et durable. La politique étrangère américaine voudra-t-elle sortir de ses temps d’indécisions contradictoires pour assumer ses lignes rouges et éviter les risques d’un nouveau Pearl Harbor ?

    Une question : pour les Européens, la paix de juillet 1940 est-elle préférable à celle de mai 1945 ? Réponse : dans les discours de Churchill de 1940. 


  • DACH 13 mars 11:18

    Sur Hitler et Trump. 2 personnalités hantées mais absolument différentes dans leurs obsessions. Ils n’ont rien à voir sur le plan de leurs ambitions politiques. Donald Néron, que les historiens appellent encore Donald Trump, porte une vision invasive des rapports humains, donc des rapports entre nations et entre états qui ne tient pas compte de ce que les peuples veulent. Comme pour V V Poutine, leurs destins ont déjà été écrits par l’Histoire. Donc il suffit d’attendre, des volontés cachées de résistances accompliront leurs oeuvres. Problème : le temps, dans lequel souffrances et morts hanteront les mémoires. Les Ukrainiens, s’ils doivent vivre un Alamo, ils le vivront et cela aussi changera le cours des histoires que certains pensent déjà écrit dans une autre direction qui ne sert pas les libertés de chacun.

    Ah, l’amour des pas de l’oie nazis, nord-coréens ou soviétiques est très répandu sur Avox et ailleurs. Quelle naïveté. Ils seront les premiers à vivre les conséquences de leurs attirances. 


    • @DACH

      Bonjour. Merci pour vos commentaires. Je commençais à désespérer de lire autant de commentaires de poutinolâtres totalement déconnectés de la réalité. A vrai dire, c’est effrayant et terrifiant ! 

      Je partage vos analyses et vos conclusions. Nous sommes tous les deux sur la même longeur d’onde.

      « La seule différence entre le régime nazi et celui de Poutine est l’absence de chambres à gaz », André Markowicz.

    • DACH 13 mars 11:44

      @Giuseppe di Bella di Santa Sofia=Il y en a une autre : le régime poutinien est bien plus intelligent. Et V V Poutine, de par sa formation, manifeste le talent de faire croire à ses interlocuteurs ce qu’il a envie de leur faire croire. Bush, Chirac et une foule d’autres acteurs politiques nous l’ont montré. 


    • DACH 13 mars 11:50

      @Giuseppe di Bella di Santa Sofia=....A vrai dire, c’est effrayant et terrifiant !...... = C’est pour le moins inquiétant ! L’état de nos démocraties ? Les aveuglements par croyances ou par ignorances sont représentatifs de l’état des mentalités des non décideurs politiques.
      Quelle pédagogie utiliser pour informer, simplement, tous ceux qui veulent rester prisonniers de ce qu’ils ont envie de croire et de faire croire ? 


    • DACH 14 mars 10:51

      @Giuseppe di Bella di Santa Sofia=Remerciements tardifs pour vos encouragements. Continuez dans cet effort de lucidité pour ouvrir les yeux de quelques lecteurs et intervenants. Bon courage... Nous sommes rentrés dans un moment carrefour existentiel......en Europe et en France.


  • DACH 13 mars 11:26

    Les réponses de faiblesses de l’Occident depuis 2014 conduisent à revivre des situations anciennes dont on connaît déjà les causes et les conséquences. Les déterminations de Donald Néron portent la consistance du sable. Celles de V V P relèvent du ciment. Les premières se briseront doucement. Les secondes d’un coup, même sans Karaté. La résistance et résilience ukrainienne ont ce pouvoir. Le scénario 1917 pour l’armée russe est toujours sur la table. 


  • DACH 13 mars 11:29

    Voir V V Poutine en uniforme militaire porte un message clair. Ceux qui ne voudront pas en comprendre le sens se réfugieront dans le mirage d’une paix de capitulation. Or ce que veulent VVP et ses soutiens : la disparition de l’Ukraine dans la Fed de Russie. 


  • titi titi 13 mars 11:52

    @L’auteur

    La question ’union des peuples de langue allemande, n’est pas arrivée avec Hitler.

    C’est un sujet qui a alimenté tout le 19ème siècle.

    L’enjeu étant la destinée des principautés, duchés, états, de l’ancien Saint Empire, réunis un temps par Napoléon dans la « Confédération du Rhin »

    On parlait de solution « petite allemande » : Allemagne sous domination prussienne, sans l’Autriche.

    Ou « grande allemande » : Allemagne et Prusse sous domination autrichienne.

    Dans les deux cas, l’Allemagne était dans une position un peu inférieure.

    En 1918 et l’Allemagne prussienne et l’Autriche sont vaincus.

    L’Anschluss c’est une forme de solution médiane entre solutions petite et grande allemande : Prusse et Autriche sous domination allemande.


    • DACH 13 mars 11:56

      @titi=Êtes-vous partisan de la Grande Russie ? 


    • @titi

      Bonjour. Merci pour votre commentaire qui apporte des informations intéressantes. 

      Effectivement, la question de l’union des peuples de langue allemande existait bien avant l’arrivée du nazisme et de l’Anschluss. Je le précise au début de l’article, sans entrer dans les détails. Vos informations apportent un complément fort appréciable pour les lecteurs. D’ailleurs, c’est la raison d’être des fils des commentaires qui ne sont pas des défouloirs ou des rings de boxe.


    • titi titi 13 mars 12:20

      @DACH

      "Êtes-vous partisan de la Grande Russie ? 

      « 

      La Grande Russie, comme les solutions »petite allemande« ou  »grande allemande" sont des visions du 19è siècle que je ne partage pas.

      Et je les partage d’autant moins que je pense que la culture russe disparaitra à cause de son empire.
      La démographie fera que la Russie deviendra un état musulman, si elle ne décolonise pas en douceur.


    • DACH 14 mars 10:49

      @titi=Bjour=Avant votre pronostic, il y aura le cap de 1917 qui se profile pour la Russie de V V Poutine.
       Le coeur des choses tient dans les volontés de respecter les libres choix d’un peuple, d’une nation. Les Ukrainiens ne veulent pas vivre sous le joug des russes de V V Poutine. S’ils perdent leur guerre de libération, ils seront exterminés dans l’esprit Holodomor. 


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