lundi 28 février 2011 - par Emile Mourey

L’empereur gaulois qui faisait danser les populations dans les temples

A mes lecteurs...

Il s'agit d'un phénomène étrange. Je ne suis pas historien de métier et n'ai jamais voulu l'être. Comme tout le monde, je faisais confiance ; et comme tout Bourguignon qui se respecte, je profitais de mes week-end pour visiter tranquillement en famille les sites historiques de la région et ses grands monuments religieux. Je croyais les voir mais, en fait, je ne les voyais pas. Vite vus, vite oubliés tellement les explications qu'on me donnait étaient oiseuses ou dénuées de bon sens.

Il s'agit en effet d'un phénomène bien étrange. Pour rejoindre la place du marché, j'emprunte régulièrement la rue qui longe la vieille cathédrale de Chalon-sur-Saône. Derrière la grille, un petit terrain vague avec un reste de fondation antique attire le regard, sans plus. Et pourtant, comme cette sculpture sur marbre, que je date du III ème siècle, semble l'indiquer, c'est probablement là que le sacrificateur judaïque égorgeait les victimes expiatoires ? A moins que le sacrifice se soit fait à l'intérieur du temple.

En bas du médaillon, deux officiants subalternes ont le plus grand mal à exécuter le sacrifice typiquement juif du bélier. Dans les rafales de vent qui les déshabillent, révélant leurs sabots fourchus de pécheurs, le premier n'arrive pas à maîtriser l'animal. Quant au second qui dresse le poignard du sacrifice, il est repoussé brutalement en arrière par la force du vent qui le renverse. Sa tunique lui revient sur le visage. Que faut-il comprendre ? La réponse qui me semble évidente est que Dieu n'agrée pas le sacrifice de Chalon.

A l'intérieur du temple, au centre du transept, comme hynotisées, deux jeunes vierges dansent lentement, légères et nues. Dans leur ronde hiératique, elles entremêlent les rubans séminaux en un nœud d'où pendent trois boules testiculaires, évocation d'une sexualité effrénée. Leurs visages et leurs corps sont admirables, leurs attitudes particulièrement gracieuses. Une indéfinissable impression d'érotisme et de sacré s'exhale de la scène. En haut, apparait dans une trouée de nuages, le soleil brûlant de l'apocalypse qui va tout détruire. Pourquoi Dieu veut-il tout détruire ? Parce que la danse liturgique juive qui devait être chaste s'est transformée dans le temple de Chalon en une danse scandaleuse telle que les prostituées sacrées la pratiquaient jadis dans le temple de Babylone.

A droite, devant un piédestal sur lequel est posé le feu perpétuel de Moïse, une statue de satyre, représentée avec son pied unique, velu et fourchu, se penche sur une vierge qu'il a dévêtue et renversée sur son socle. De la main gauche, il la maintient par les cheveux, tandis que de la droite, il cherche à vérifier sa virginité comme le prescrit la règle juive. La jeune fille semble résister bien que l'expression de son visage soit assez neutre. Sa main gauche tire sa chevelure en sens contraire. Sa main droite repousse le visage de l'imposteur. Ses jambes s'entrecroisent pour empêcher le dégradant contrôle.

A gauche du médaillon, quel est cet autre imposteur qui justifie d'être ainsi vilipendé dans une telle oeuvre d'art, au pied d'un arbre de vie dégarni auquel s'accroche dans le vent un lambeau de stupre ? A cette époque, ce ne peut être que Posthumus, empereur gaulois et de ce fait, assimilé à un grand prêtre du temple. On le reconnaît à ses pieds fourchus de bouc, à sa barbe à deux pointes et à sa moustache fournie. En un geste rituel, il tient dans son bras droit la coupe des libations. Il écarte brutalement les jambes de la vierge et avec son pénis de bouc, il la féconde.
 Les cheveux défaits, la bouche ouverte sous le coup de la surprise, les yeux écarquillés, le corps déséquilibré, les bras levés vers le ciel, la jeune fille a perdu sa virginité. Sa fleur s'écoule le long du bras gauche de l'homme qui l'a déflorée. La fleur tombe au sol mais est recueillie avec d'autres fleurs semblables dans un linge que tient une belle jeune femme nue, étendue dans des draps blancs, souriante, mais dont le corps repose dans une position de torsion impossible de la colonne vertébrale.
 A droite du médaillon, au second plan, la voûte de la nef latérale achève de se consumer sous le feu prophétisé de l'apocalypse, et voici qu'arrive la femme de ménage chargée de l'entretien du monument (?). Son visage est ridé, ses seins pendants, sa bouche ricane. Son étrange coiffure est-elle celle du démon ? Pour faciliter sa course, elle a retroussé sa robe jusqu'à ses maigres cuisses. Elle lève son balai (?) de brindilles de bouleau et elle balaie... le satyre.

Ornant peut-être les intérieurs d'un bâtiment impérial de Trêves, ville concurrente d'Augustodunum et de Cabillo, cette sculpture est un étonnant témoignage sur l'époque troublée du III ème siècle. Cette violente satire contre l'empereur gaulois Posthumus, à l'opposé des louanges que lui décernent Eutrope, Aurelius Victor et Trebellius Pollio, est-elle justifiée ? Posthumus se prenait-il pour un dieu à l'image de Rê ? Suivant l'exemple du pharaon Ramsès, voulait-il donner à son peuple une descendance divine... ou bien le sauveur que les Juifs attendaient ? Voulut-il rivaliser avec le héros de ses médailles, Hercule, qui, en une seule nuit, déflora un nombre conséquent de vierges ? Son successeur, Victorinus, dont les auteurs latins disent qu'il aimait trop les femmes, n'aurait-il fait que suivre son exemple ?

Réfléchissons ! Ces femmes sont-elles vraiment de vraies femmes ? Ne seraient-ce pas plutôt des allégories de populations dont l'empereur gaulois, grand prêtre du temple de Chalon, aurait honteusement abusé en leur prodiguant de belles paroles (en les haranguant dans la cathédrale) et en les soumettant à des croyances et pratiques religieuses au service de sa politique (en les faisant danser dans la nef) ?

Mais il se pourrait également que les deux thèses se recoupent et se mêlent. Il appartient au lecteur de se faire lui-même son opinion.

Voilà ! Retraité fatigué, je continue ma visite comme j'ai l'habitude de le faire. Je salue Alexandre le Gaulois qui, dans son chapiteau, attend toujours de monter au ciel. Je fais un signe amical au lion messager qui, un jour, emmènera mon âme au paradis des Celtes. Je m'incline avec respect devant la tête couronnée de l'empereur. Puis, je monte jusqu'au choeur pour saluer militairement le chapiteau d'Etienne et son drapeau blanc essénien. En sortant, j'ai une pensée pour tous ceux qui, au cours des siècles, ont échappé à la mort en se réfugiant dans cette église, ainsi que pour tous ceux qui y ont été exécutés, ainsi que pour Grégoire de Tours et Sidoïne Apollinaire qui en ont dit le plus grand bien. http://mobile.agoravox.fr/tribune-libre/article/au-iiieme-siecle-le-plus-beau-86738.

Post scriptum. Si vous passez par Chalon-sur-Saône, n'oubliez pas de venir visiter sa cathédrale. Vous y découvrirez en haut des plus hauts chapiteaux un Adam prêt à recommencer et une Eve qui hésite, à juste raison, en se croisant les mains sur le sexe. Vous n'y verrez pas le Christ qui ne prendra possession des lieux qu'au V ème siècle, mais une naïve et touchante espérance dans la venue d'un messie. Vous n'y trouverez pas tout ce que j'ai écrit sur l'histoire de ce monument unique. En effet, la ville de Chalon s'appuie sur une thèse en histoire de l'Art pour dater sa construction du XI ème au XVI ème siècle. La méthode est parait-il éprouvée. Premièrement, on compare des éléments d'architecture d'un bâtiment A avec des élément d'architecture d'un bâtiment B, ce qui permet de les dater très approximativement de la même époque. Deuxièmement, on compare des éléments d'architecture d'un bâtiment B avec des élément d'architecture d'un bâtiment A, ce qui confirme très approximativement le premier résultat. Autrement dit : on tourne en rond et le serpent se mord la queue.



6 réactions


  • Arthur 123 28 février 2011 18:23

    Merci pour cette leçon d’histoire, la Prudence est la sœur du courage.


  • Yvance77 28 février 2011 19:50

    « Je ne suis pas historien de métier »

    Eh bien, qu’est-ce que cela aurait donné si tel avait été le cas ! Car vos billets sont d’une très grande classe et qualité

    Bye


    • Emile Mourey Emile Mourey 28 février 2011 21:32

      @ Yvance 77

      Merci ! Je suis en train de rédiger la suite pour présenter l’autre médaillon qui fait pendant.


  • Antenor Antenor 28 février 2011 21:47

    A bien y réfléchir, ne faudrait-il pas placer la construction de la cathédrale de Chalon après celles d’Autun et de Vézelay ? Ses chapiteaux presque aussi silencieux que ceux de Lyon plaident dans ce sens.

    De même, l’architecture plus archaïque de Vézelay avec ses grosses voûtes en berceau et le thème judaïque de ses chapiteaux indique peut-être qu’elle est la plus ancienne des trois.

    Il faudrait alors attribuer la bavarde basilique de Vézelay à un Posthumus en positon de force et la silencieuse cathédrale de Chalon à un Julien devant composé avec les différents partis.


    • Emile Mourey Emile Mourey 1er mars 2011 10:17

      @ Antenor

      Vous soulevez à juste raison la question de la vérification des hypothèses proposées en leur opposant d’autres hypothèses éventuelles. Il s’agit donc de reprendre le raisonnement en partant de celles-là mais justement, en agissant ainsi - ce que j’ai fait - il me semble qu’on aboutisse à des impasses ou à des impossibilités de preuves. Dans l’état actuel de la question, sauf élément nouveau qui pourrait les contredire, rien ne permet d’aller contre celles que j’ai développées. Bien au contraire, ce sont celles-ci qui nous permettent actuellement de trouver des explications logiques au présent médaillon et à d’autres documents, autrement dit d’avancer.

      Bien sûr que l’on doit toujours avoir le doute à l’esprit. Pourquoi le médaillon sculpté sous le balcon de la cure de Chalon semble représenter beaucoup plus l’empereur Julien que Posthumus si c’est Posthumus qui a fait construire la cathédrale et non Julien ? Pourquoi mettre Posthumus à Chalon alors que ses monnaies mises au jour se retrouvent dans la région de Trêves ? A ces éléments de réflexion s’opposent d’autres éléments ; au premier les discours d’Eumène qui prouvent que la cathédrale de Chalon, plus beau temple de l’univers, existait déjà avant Julien et Constantin ; au second le fait que les monnaies perdues de Posthumus l’ont été forcément par les soldats du limes qui avaient reçu leur solde... rien ne dit que ces monnaies aient été frappées à Trêves. En revanche, la colonne de triomphe au nom de Posthumus, c’est bien près de Chalon qu’elle a été érigée etc...

      Question architecture, mon avis serait de placer les experts face au problème. Si on relit bien mes articles, je n’ai jamais prétendu que les superstructures aussi élancées soient-elles soient toutes d’origine. En fait, je ne sais pas. Ou plutôt, je suis bien d’accord que l’abside de la cathédrale de Chalon a dû être reconstruite mais il me semble que cela n’a pas dû descendre jusqu’aux chapiteaux du choeur. En revanche, s’il existe des tirants qui empêchent encore aujourd’hui les murs extérieurs de s’écarter, si les arcs-boutants extérieurs sont manifestement plus tardifs, si on remarque dans les murs des anciennes voûtes qui ont été murées, si les raccords aux chapelles latérales sont bien visibles, tout cela montre bien que, s’il existe un premier bâtiment qui a connu toutes les vicissitudes d’un prototype, c’est bien à Chalon qu’il se trouve et pas ailleurs.


  • zadig 1er mars 2011 05:31

    Bonjour,

    Merci pour cet article.
    Je m’instruis à chaque lecture.
    Ce soir je serais un peu moins sot.

    Cordialement


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