vendredi 13 juillet 2018 - par Bernard Dugué

L’énigme des gènes : hypothèse monogénique ou omnigénique ?

 

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Pendant quelques décennies, les biologistes ont utilisé le principe monogénique pour expliquer comment des traits spécifiques apparaissent chez certains individus à partir de la présence ou non de gènes pris individuellement. Pourquoi l’une est rousse, l’autre est blond, pourquoi l’un décède à 30 ans de la maladie de Huntington alors qu’un autre vivra jusqu’à 102 ans et qu’un troisième trépasse d’un accident vasculaire à 60 ans ? Dans quelques cas répertoriés, la connexion entre le gène et tel trait ou bien une pathologie est clair. Une simple altération d’un gène peut avoir des conséquences dramatiques. C’est le cas dans certaines anémies ou bien la myopathie de Duchenne, maladie devenue emblématique depuis le Téléthon. Compte tenu de ces résultats, il était tentant pour les généticiens d’élargir la théorie et de formuler le principe monogénique. « Un gène code pour une protéine » est devenu ; « un gène détermine un caractère » ou du moins un gène modifié engendre un caractère altéré, malformé. Mais comme les choses analysées sont un peu plus compliquées, alors le principe monogénique a été revu pour conduire au principe polygénique. Un trait, une pathologie, sont la conséquence de la présence de plusieurs gènes, en nombre toutefois limité.

 

Depuis 15 ans, les généticiens ont collecté une masse colossale de données statistiques visant à relier les caractères des individus à la présence de gènes identifiés dans les génomes analysés grâce aux technologies disponibles de plus en plus puissantes. Ces recherches ont été d’une ampleur sans précédent. Une investigation récente sur l’insomnie a utilisé un échantillon de plusieurs millions d’individus. A la suite de ces travaux, il est devenu de plus en plus évident que la corrélation entre les déterminants géniques et les caractères était modeste. Un gène contribue pour une faible part à la détermination d’un caractère. En 1999, une étude sur l’autisme avait suggéré qu’un nombre restreint de fragments génétiques (loci), moins d’une quinzaine, généraient un risque d’être affecté par cette pathologie. Ces résultats allaient dans le sens d’une hypothèse polygénique. Mais progressivement, le nombre de loci impliqué dans la présence de caractère s’est accru. Si bien que le généticien Jonathan Pritchard et ses confrères ont publié en 2017 un article controversé proposant une hypothèse alternative. Pour certains traits, le nombre de loci peut atteindre les 100 mille. Autrement dit, pratiquement l’ensemble du génome produit ces quelques traits, chaque loci contribuant alors pour une infime part à la réalisation de ces traits. Pritchard a proposé l’hypothèse omnigénique dans cet article publié dans Cell et depuis abondamment cité tout en ayant suscité de nombreuses réactions. D’aucuns jugeant que cette hypothèse n’a rien de nouveau et se situe dans le prolongement d’idées anciennes (déjà à l’époque de Mendel). Ce qui est sans doute exact mais le contexte actuel confère une toute autre résonance à cette idée qui « modère » les tendances récentes issues des résultats génétiques acquis pendant deux décennies (V. Greenwood, Quanta Magazine, juin 2018)

 

L’article de Pritchard a été considéré comme une clarification légitime dans cet important champ de recherche en biologie. L’hypothèse omnigénique n’est pas aussi simple que son principe. Si chaque élément génique contribue à l’édification de certains traits, des gènes centraux en nombre limité sont déterminants dans la genèse de ces mêmes traits ainsi que des pathologies diverses. L’hypothèse omnigénique complète postule que tous les gènes participent à des degrés divers et que quelques-uns sont centraux, exerçant alors des effets essentiels. Les réactions et controverses suite au papier de Pritchard montrent que les généticiens sont hésitants et que cette science pourtant rodée navigue à vue. Les gènes ne parviennent pas à acquérir le pouvoir explicatif espéré il y a des décennies. La science est pratiquement au même point malgré les données colossales accumulées. Il faudrait des théoriciens avertis pour faire avancer ce domaine.

 

Une autre étude d’association pangénomique vient de corréler le « niveau d’intelligence » à la présence de 205 loci et 1016 gènes. Les précédentes recherches n’avaient détecté que 15 de ces loci et 77 de ces gènes, ce qui montre les limites de ces investigations dont les résultats dépendent souvent des choix statistiques effectués et des limites de la technique. Ces recherches ne peuvent qu’appuyer la thèse omnigénique qui colle de plus près à la réalité. Cette thèse est du reste appliquée au cancer par Henry Heng, que l’auteure du papier de Quanta Magazine a occulté, ce qui n’est pas un reproche car la communauté scientifique est devenue pléthorique. On est en droit de penser que les options monogéniques ont été privilégiées à une époque car elles s’inscrivaient dans une possibilité technologique de thérapie génique. Si un gène cause une pathologie, alors intervenir sur ce gène ouvre une possibilité de guérison. Dans un autre contexte, relier un gène à certains traits ou qualité offre une possibilité de trier des embryons. Bref, le crédo monogénique ou polygénique répond à une exigence technoscientifique mais ne correspond pas forcément à la réalité des choses du vivant. La science aime bien voir dans la Nature ce qui lui permet d’agir et de manipuler !

 

La question des gènes centraux reste au centre de ces débats. La logique des systèmes complexes rend plausible la thèse des gènes centraux comme éléments d’un réseau central de gènes coordonnant les gènes périphériques. La vie repose sur une hiérarchisation des processus, avec des noyaux opérationnels et des noyaux sémantique. De plus les régulations épigénétiques, par exemple avec les petites protéines nucléaires, modifient l’expression des gènes et donc la réalisation des traits par le protéome. De plus, une pathologie est-elle de même essence qu’un trait ? Comment classer l’obésité, l’autisme, le haut potentiel intellectuel, les spécificités physiologiques ? Doit-on en passer par des corrélations loci - traits pour comprendre le rôle des gènes ? La génétique ne peut contourner ces questions. Un trait ne représente après tout qu’un élément macroscopique surajouté à l’organisme, ou alors un élément déficient, voire altéré dans le cas des pathologies.

 

Comme l’indique le papier de Quanta Magazine, l’article de Pritchard publié dans Cell a suscité une agitation intellectuelle dans le monde de la génétique qui a bien besoin de réflexions théoriques pour interpréter les données colossales dont elle dispose. L’hypothèse omnigénique traduit l’engouement des communautés scientifiques pour les conceptions systémiques utilisant les réseaux. Tous les éléments contribuent à la réalisation d’un organisme doté de traits remarquables, mais avec des poids inégaux, quelques gènes étant plus essentiels et d’autres moins. C’est en quelque sorte la transposition du principe de Mach depuis la cosmologie vers la biologie. Ce principe dit que l’espace-temps et l’inertie résulte de la contribution pondérée de toutes les masses présentes dans l’univers. Si les gènes sont le véhicule de « déterminants formels », alors l’organisme se conçoit comme un cosmos de formes entrelacées, combinées, assemblées.

 

La génétique reste une grande énigme. Le dogme fondamental « un gène une protéine » a été revue depuis les résultats sur l’épissage alternatif. Un gène peut produire des milliers de protéines après épissage. Les introns se combinent tels les mots d’une phrase, alors que les exons sont écartés. Le schéma a été élargi à d’autre mécanisme épigénétiques. Le monde moléculaire diverge dans les formes. Or, au niveau macroscopique, les formes convergent pour produire ensemble des traits et caractères, qui jouent un rôle similaire à celui des catégories aristotéliciennes. La question centrale reste le lien entre le mésoscopique et le macroscopique. Comment le génome, l’épigénome produisent-ils un protéome dont le résultat se manifeste dans les propriétés émergentes visibles et analysables de l’individu ainsi constitué ?

 

Liens

 

https://www.quantamagazine.org/omnigenic-model-suggests-that-all-genes-affect-every-complex-trait-20180620/

 

https://www.cell.com/cell/pdf/S0092-8674(17)30629-3.pdf

 



2 réactions


  • Areole Areole 15 juillet 2018 00:13

    Admettons donc que tous les gènes participent l’élaboration d’un trait de caractère sous la supervision de gènes centraux ; le tout modulé par la régulation épigénétique...

    C’est quand même un sacré bordel pour tout bricoleur généticien qui se piquerait d’eugénisme.
    Ceci dit, est-il vraiment nécessaire de faire intervenir des gènes centraux ’(dont on semble ne rien connaître) et l’épigénétique alors que la supervision et la régulation pourraient tout aussi bien s’apparenter à une logique de type « algorithme des colonies de fourmis » ?
    Bon j’ai le gène du sommeil qui me titille les mirettes, bonne nuit.

  • Tzecoatl Claude Simon 15 juillet 2018 15:00

    Le dilemne de la thèse de Dugué.


    Sachant qu’un être transcendé, animé de lumière (dont le poids n’est peut-être pas nul) interagit avec l’électromagnétisme du vivant ; ou alors, Dugué, l’intrication photonique d’un être plus avancé d’une autre planète se projetant sur celle-çi.

    De fait, certaines réactions chimiques nécessaires et suffisantes permettent la résolution électronique du vivant.

    J’ai beau regarder la structure de l’ADN, il me semble conçu comme une structure dédiée pour défier la masse et la lumière.

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