L’étonnante histoire des tulipes d’Ottawa
Du vendredi 11 au lundi 21 mai 2018 va se dérouler à Ottawa et Gatineau un évènement haut en couleurs (au sens propre) : la 66e édition du « Festival canadien des tulipes ». À cette occasion, les 500 000 visiteurs attendus sur les différents sites officiels – et quelques parcs privés – de l’agglomération canadienne pourront admirer un million de tulipes appartenant à des dizaines de variétés particulièrement spectaculaires. Un festival dont l’origine est directement liée à la 2e guerre mondiale et à la naissance, dans des circonstances étonnantes, d’une princesse de la famille royale néerlandaise...
La tulipe a été choisie comme emblème floral officiel de la ville d’Ottawa le 24 octobre 2001. Et ce n’est pas un hasard si cette fleur s’est imposée au fil des années comme l’un des symboles majeurs de la capitale canadienne à côté des attributs du maire, des armoiries de la ville et de son drapeau. Il y a quelques décennies, rien ne prédisposait pourtant cette superbe plante à bulbe à prendre une telle place dans la vie des habitants d’Ottawa. Jusqu’à 1945 et la fin de la 2e guerre mondiale. Cette année-là, c’est – entre autres cadeaux – un don de 100 000 bulbes de tulipes qui a été fait à la ville d’Ottawa par la princesse Juliana, future reine des Pays-Bas. Et chaque année depuis cette date, ce sont des milliers de nouveaux bulbes de tulipes qui sont offerts à la capitale canadienne par la famille royale néerlandaise.
Pour comprendre l’origine de ces dons, il faut remonter quelque peu en arrière, et plus précisément à l’année 1941 : fuyant l’occupation nazie, la princesse héritière Juliana et ses deux filles Beatrix et Irène trouvent refuge, à la demande de la reine Wilhelmine, dans la ville d’Ottawa où est mise à leur disposition la propriété de Stornoway, actuelle résidence officielle du chef de l’opposition à la Chambre des communes du Canada. Resté en Angleterre, le mari de Juliana, Bernard de Lippe-Biesterfeld, combat comme pilote dans les rangs de la Royal Air Force et doit se contenter de rares permissions pour rendre visite à son épouse et à ses filles. Malgré ces brèves rencontres, Juliana tombe une nouvelle fois enceinte en 1942, et c’est dans la maternité de l’Hôpital civique d’Ottawa qu’elle accouche le 19 janvier 1943 de sa troisième fille, Margriet, après qu’ait été préalablement réglé un problème... juridique.
Tout enfant né sur le territoire canadien devient ipso facto citoyen de son pays de naissance. C’est en effet le droit du sol qui s’applique dans ce pays, ce qui signifie que le royal baby à venir ne sera pas néerlandais mais canadien. Impensable pour un membre de la famille royale des Pays-Bas qui perdrait de surcroît toute prétention future au trône d’Orange-Nassau. La question ayant été soulevée par Juliana, les autorités canadiennes prennent une étonnante décision de circonstance : durant le temps d’hospitalisation de la princesse, la maternité change de statut ; contrairement à ce qui est souvent affirmé de manière erronée, elle ne devient pas néerlandaise, mais elle est provisoirement placée sous statut d’« extraterritorialité ». Dès lors, la petite Margriet bénéficie du droit du sang et prend la seule nationalité de sa mère Juliana ! Sa naissance est saluée par le hissage du drapeau des Pays-Bas au sommet de la Tour de la Paix dont le carillon joue en outre des musiques néerlandaises.
C’est pour remercier les autorités d’Ottawa que, dès son retour en Europe en 1945, Juliana décide, en accord avec la reine Wilhelmine, l’envoi de 100 000 bulbes de tulipes, plante emblématique du royaume d’Orange, à la capitale canadienne. Un geste qui n’est pas seulement motivé par la naissance relativement anecdotique de Margriet : les troupes canadiennes ont en effet joué, au prix de pertes importantes, un rôle déterminant dans la libération des Pays-Bas, et l’initiative de la future reine des Pays-Bas a surtout pour finalité de montrer la gratitude des Néerlandais envers les soldats canadiens qui ont combattu sur leur sol pour le libérer de la puissance nazie.
La tradition s’est perpétuée depuis et, chaque année, ce sont 20 000 bulbes de tulipe qui sont offerts au Canada, moitié par la famille royale néerlandaise, moitié par le peuple batave. Un afflux de tulipes qui, dès 1953, a décidé les autorités d’Ottawa, sur proposition du photographe d’origine arménienne Malak Karsh, à créer le Festival canadien des tulipes (site officiel). Un festival de plus en plus prisé dont on fête cette année la 66e édition sur le thème « Un monde de tulipes » initié quelques mois plus tôt lors du 7e sommet mondial consacré à ce bulbe qui fascine tant de jardiniers et de paysagistes.
Ottawa et Gatineau en fête, cela commence maintenant pour le plus grand plaisir de tous, et notamment des photographes. Un festival à ne pas manquer pour tous ceux qui se trouveront au Québec durant la décade qui s’ouvre !