mercredi 21 août 2013 - par Automates Intelligents (JP Baquiast)

L’Europe laissera-t-elle l’Egypte s’effondrer ?

L'actualité oblige à s'interroger sur l'avenir politique immédiat de l'Egypte. Après le renversement d'un gouvernement soumis aux archaïsmes politico-religieux des Frères Musulmans, un régime militaire qui paraît plus ouvert aux libéraux mais qui s'appuie sans doute aussi sur l' « Etat profond » de l'ère Moubarak, avec ses complicités au service des Etats-Unis et des régimes pétroliers, pourra-t-il assurer à la population égyptienne le retour à un minimum d'équilibre économique ?

La perspective peut paraître hors de portée si l'on considère les multiples raisons qui faisaient déjà de l'Egypte l'homme malade économique du Moyen Orient, et que la crise actuelle entraînant la disparition au moins momentanée du tourisme ne fait qu'aggraver. Un de nos correspondants a signalé à cet égard l'article d'un bon connaisseur de l'Egypte, apparemment aussi objectif qu'il est possible, Nafeez Mosaddeq Ahmed http://qz.com/116276/at-the-root-of-egyptian-rage-is-a-deepening-resource-crisis/# !

L'auteur, d'origine bangladeshe, est directeur de l'Institute for Policy Research and Development de Brighton et chroniqueur politique des émissions en bengali de la BBC. Il s'était signalé par sa dénonciation de la prétendue guerre contre la Terreur menée depuis le 11 septembre 2001 par les Etats-Unis, au service de la continuation d'une ancienne politique coloniale anglo-saxonne au Moyen Orient. Même si le lecteur d'aujourd'hui n'est pas obligé de partager toutes ces hypothèses, il ne peut que constater la grande portée du diagnostic porté par Nafeez Mosadegh Ahmed sur l'actuelle situation en Egypte, qui est aussi celle d'un certain nombre de pays touchant de près l'Europe, en premier lieu la Tunisie.

Loin d'attribuer seulement la crise de l'Egypte actuelle à des conflits entre l'Islam, d'autres confessions et l'athéisme rappelant les guerres de religions dont l'Europe avait réussi à se débarrasser il y a 300 ans, l'article signale l'aggravation inévitable de problèmes démographiques, sociaux et économiques dont on ne voit pas comment l'Egypte pourrait se libérer dans les prochaines années. Le lecteur de l'article en conclut inévitablement que ces problèmes, laissés à eux-mêmes, ne feront que s'aggraver jusqu'à un effondrement total du pays, un « collapse » selon l'expression imagée des spécialistes du développement.

Contrairement à la situation de nombreux autres pays voisins eux-mêmes en proie à des difficultés multiples, tels l'Algérie, le Maroc, la Libye, la Jordanie, l'Irak, sans mentionner la Syrie, les difficultés frappant l'Egypte ne laissent guère de place à des possibilités d'ouverture et de sauvetage, du moins sans interventions extérieures. Une démographie encore galopante répartie sur un territoire aux ressources agricoles et hydriques de plus en plus menacées, la disparition progressive des réserves en énergies fossiles et l'absence de ressources permettant des investissements sérieux en énergies de remplacement, le changement climatique accentuant les pressions sur l'économie égyptienne provenant entre autres des pays africains voisins eux-mêmes en crise, dessinent de sombres perspectives. Quant au Canal de Suez et aux services associés, les revenus qu'ils garantissent encore dépendent du maintien d'un minimum de sécurité dans les échanges internationaux. On peut ajouter qu'à plus long terme, la baisse de la production des monarchies pétrolières diminuera l'intérêt porté par l'Amérique à la conservation de ses liens stratégiques avec les pays du Golfe.

Certes l'Egypte dispose d'une position géostratégique qui devraient lui permettre de valoriser l'appui qu'elle pourrait apporter aux grandes et moyennes puissances potentiellement en compétition pour assurer leur domination sur cette partie du monde. Mais il s'agirait alors de politiques délicates à conduire, supposant un Etat fort capable de négocier ces alliances. L'appareil militaire dont les bonnes âmes occidentales conteste l'emploi par l'Egypte représente certes un atout dans cette perspective. Mais faute de ressources propres pour maintenir son armée, le Caire est obligé de négocier l'entretien de celle-ci avec de puissants voisins, Etats-Unis, Israël, Russie et Chine à terme, qui ne lui veulent pas nécessairement du bien.

Le rôle des Européens

Ce bref panorama ne peut éviter d'évoquer le rôle que l'Europe pourrait et devrait jouer pour permettre à l'Egypte d'éviter le collapse ainsi esquissé. Tous les gouvernements européens, et pas seulement ceux de l'arc méditerranéen, auraient intérêt à s'investir lourdement dans cette perspective. Une partie de leur sort futur en dépendra. L'indifférence se révèlerait très vite la pire des attitudes. Mais comment faire, dans quelles directions agir ? Il ne suffirait pas en effet de verser aux gouvernements égyptiens de modestes subsides qui se perdraient comme l'eau dans le désert. La question de l'avenir de l'Egypte pose aux sociétés européennes, à peu de différences près, les mêmes problèmes que celles-ci doivent résoudre. Pourquoi attendre encore avant de s'y engager ensemble ?

Il s'agit d'abord de la façon de sortir de l'impasse signalée depuis 40 ans maintenant par les avocats de la décroissance, dont les opinions publiques européennes attachées aux maintiens de leurs avantages de consommation à court terme ne veulent toujours pas tenir compte. Les limites de la croissance qu'a rencontré depuis longtemps l'Egypte seront de plus en plus contraignantes pour les Européens eux-mêmes. Elles imposeront des solutions voisines, et donc, pourquoi pas, des coopérations plutôt que de nouvelles rivalités.

Mais il y a tout aussi important, qui devrait être pris en considération par les mouvements libéraux et socialistes européens. La société égyptienne est dans une large mesure malade des mêmes maux que les sociétés européennes dans leurs profondeurs ; haine des minorités, haine de la femme, haine de la science, recours à des croyances religieuses bloquées sur des névroses sociales et individuelles profondes. On verrait très bien que, sans prétendre imposer la moindre solution s'appuyant sur un argument d'autorité mal fondé, les libéraux et les socialistes européens s'efforcent de convaincre leurs amis égyptiens que le temps est désormais venu pour eux d'unir les quelques quinze mouvements progressistes et féministes existant chez eux en une force politique cohérente, capable de s'imposer tant aux Frères musulmans qu'aux militaires...et aux Américains

Jean-Paul Baquiast



10 réactions


    • escoe 21 août 2013 12:07

      Comme tout libéral bon teint vous faites bon marché de l’histoire et de la réalité.


    • Magma des cendres rouges rené descendre 22 août 2013 16:57

      ... et la preuve, sans même intervenir vous êtes devenu libéral....

       

      rien de plus a ajouter qu’aux propos d’Aladeen. Malheureusement on ne peut que regarder les peuples tomber (cf encore lybie, mali) et avoir mauvaise conscience (tiens personne ne parlait plus de la syrie merci bachar de faire sa soupe pendant qu’on s’occupe de l’Egypte au niveau médiatique)

      je comprend mal d’ailleurs comment on peut cracher sur l’Europe et la France et vouloir leur pognon quand même. Dans ce cas si on veut avoir la tête haute il faut refuser l’argent (n’est ce pas Mr Bouteflika)


  • efzed 21 août 2013 13:11

    L’« Europe » ferait mieux de s’occuper de ses propres prochaines guerres civiles. Car avec un chômage historique, une austérité bientôt insoutenable, c’est bien ce qui risque de nous tomber dessus.


  • Ratan Jérémie 21 août 2013 14:20

    L’Europe ? Mais quelle Europe ?

    L’Europe aurait-elle un gouvernement ? Seule l’ONU pourrait tenter de s’en mêler, d’ailleurs est-ce souhaitable ? Laissons les Egyptiens régler leurs histoires et les islamistes de tous pays méditer sur le fait que la démocratie ce n’est pas seulement avant les élections et pour être élus.


  • Loatse Loatse 21 août 2013 16:51

    L’Europe est dans une mauvaise passe économique (entre autres) au point que je me demande si ces sanctions et indignations à géométrie variable ne servent pas de prétexte. Et donc si l’Arabie Saoudite peut prendre le relai, on ne va pas s’en plaindre.. d’autant plus qu’apparemment celle ci sera plus « généreuse »..

    Je met entre guillemets ne sachant ce qu’il sera attendu en retour de cette manne providentielle..

    La naiveté serait de croire qu’il en va autrement de l’aide européenne.. Il n’existe plus beaucoup de pays souverains, libres de toute ingérence politique/religieuse et donc dépendants...

    Partant de cette constatation, j’en suis à souhaiter pour l’Egypte et les egyptiens non pas le meilleur (comme j’aimerais que cela soit), mais le moins pire....et surtout, surtout, ce qui s’approche le mieux de leurs attentes..


  • bert bert 21 août 2013 19:23

    l’EUrope pourrait s’investir dans l’érection d’un temple dédié à Antinous avec la bénédiction

    d’Holywood smiley
    ça peut réduire les conflits un culte de l’amour & résoudre les problèmes de surpopulation .......
    hihihihi

  • antyreac 21 août 2013 19:53

    Je ne veux pas faire partie d’une association qui pourrait prendre de l’argent des États-Unis ou d’Israël »
    Et c’est reparti.
    Le renversement de Morsi, c’est Israël (Erdogan).
    La guerre civile en Syrie, c’est Israël.
    La violence en Irak, c’est Israël.
    Le chaos en Libye, c’est Israël.

    Trop facile. Le recours au bouc émissaire habituel depuis des siècles ne fera qu’aggraver la situation. Seule la prise de conscience de ses propres insuffisances peut éviter de sombrer plus bas qu’on ne sombre aujourd’hui..


    • cedricx cedricx 21 août 2013 20:29

      Oui c’est à se demander ce que fait dans la région ce micro état-ghetto ( ne vient-il pas de s’enfermer dans daans d’hideuses murailles)


    • Magma des cendres rouges rené descendre 22 août 2013 17:03

      personne a dubai au quatar aux émirats, ou en arabie saoudite... y sont pas juifs ?

       


  • Crab2 25 août 2013 11:35

    De Moscou en passant par la Syrie, le Caire et Tunis la religion n’ a pas sa place en politique, c’est le minimum démocratique que tous les partis soient laïques

    Poutine ou la résurgence de l’obscurantisme


    Tout être humain doit satisfaire ses besoins basiques : la nourriture, la soif, le sommeil et l’activité sexuelle, avant de pouvoir réussir tous les autres aspects de sa vie


    Suite :

    http://laiciteetsociete.hautetfort.com/archive/2013/08/25/poutine-ou-la-resurgence-de-l-obscurantisme-5147572.html



Réagir