L’Histoire est le théâtre de l’imprévu
Lorsque nous évoquons la monarchie comme projet politique pour la France, nombreux sont ceux qui le qualifient de chimérique ou d’utopique. Ce jugement, souvent prompt, excessif et sans appel, témoigne d’une vision rigide qui relègue ce modèle politique aux marges de l’irréel. Le jésuite Luis de Molina écrivait très justement : « Tout ce qui est excessif est insignifiant ». Cette réaction primaire révèle en réalité une méthode intellectuelle suspecte, fondée sur une défiance qui balaie la question avant même de la considérer sérieusement sur le plan doctrinal, politique et historique. Agir de cette manière revient à percevoir les royalistes et les monarchistes comme des êtres illusoires, vivant reclus dans une tour d’ivoire…
Il est certainement plus aisé pour certains de qualifier le projet de restauration monarchiste de manière dédaigneuse, plutôt que d’engager un examen sérieux des arguments présentés. Au lieu de répondre sur le fond à chacun des points que nous avançons, ils préfèrent se réfugier derrière un argument d’autorité, invoquant le futur comme une instance définitive pour repousser l’idée royale. Ce futur, disent-ils, serait incompatible avec la monarchie. Pourtant, cette institution reste pour notre pays, le modèle légitime et politique par excellence. De plus, par essence, le futur s’avère incertain, et par conséquent ouvert. Ni demain ni après-demain ne sauraient servir de remparts infranchissables contre une réflexion sérieuse sur l’avenir politique de notre beau pays.
Dans mes conférences, je rappelle souvent cette maxime implacable : « L'Histoire nous apprend une seule leçon : les leçons de l'Histoire ne sont jamais retenues ». Condamner ou refuser un projet politique pour demain sous prétexte que les conditions actuelles ne le permettent pas est un argument peu convaincant, car les faits historiques et politiques viennent contredire cette affirmation. Ceux qui se servent de cette fausse démonstration oublient une réalité essentielle et fondatrice : « L’Histoire est le théâtre de l’imprévu ». Analysons une séquence historique de six décennies, particulièrement instructive et intéressante pour notre pays, car notre système politique actuel découle directement de ces bouleversements, qui continuent de susciter de nombreux débats. Après cet exposé, il ne fera plus de doute que l’Histoire est, en effet, le théâtre de l’imprévu.
Le 5 mai 1789, lors de l’ouverture des États généraux en France, dans un pays de 28 à 29 millions d’habitants, à peine une centaine de personnes se battaient pour la République. Cependant, quatre ans plus tard, le 21 janvier 1793, Louis XVI subit une décollation, acte odieux de parricide politique, marquant la fin de la royauté ancestrale. Nous subissons encore aujourd’hui les répercussions de ce traumatisme. Après cet événement, qui aurait pu imaginer, place de la Révolution ou ailleurs dans le pays, qu’ils verraient, onze ans plus tard, un général prétendument jacobin et considéré comme proche de Maximilien Robespierre, sacré Empereur des Français en présence du Pape Pie VII ? Personne. Et après le couronnement grandiose du 2 décembre 1804, qui aurait pu croire que dix ans plus tard, le frère du roi guillotiné, le comte de Provence, reviendrait à Paris pour devenir Louis XVIII ? Personne, bien évidemment.
Le 3 mai 1814, Louis XVIII rentra triomphalement à Paris, acclamé par le peuple parisien qui réclamait la paix et le départ des troupes coalisées. Ainsi, le comte de Provence était enfin devenu roi « par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre ». Néanmoins, le 7 septembre 1800, le Premier Consul Bonaparte l'avait mis en garde : « Vous ne devez pas souhaiter votre retour en France. Il vous faudrait marcher sur cinq cent mille cadavres ». Il était révolu le temps où Provence était considéré comme un pestiféré par de nombreuses chancelleries européennes.
En ce printemps 1814, alors que Louis XVIII levait la main à travers la fenêtre de son carrosse pour répondre aux sollicitations de la foule nombreuse, qui parmi tous ses soutiens, les Français, les chefs d’Etats Européens, les plus éminents diplomates envisageaient le retour de Napoléon dès l’année prochaine ? Personne, bien sûr ! Napoléon avait écrit par le passé : « Impossible n’est pas Français ». Après différentes péripéties politiques, l’Empereur des Français, après une marche triomphale que je considère comme le plus grand et plus beau référendum de toute l’Histoire, revint à Paris le 20 mars 1815, jour anniversaire de son fils Napoléon II. A cet instant précis, personne ne pensait qu’en août de la même année le plus grand conquérant de l’Europe naviguerait sur un bateau de la Royal Navy pour rejoindre un exil insulaire, qui cette fois-ci serait définitif. L’imprévu toujours l’imprévu…
Tout le monde connaît l’expression « Cent-Jours », sans forcément savoir qu’elle désignait à l’origine non pas la durée éphémère du régime impérial, mais celle de l’absence du roi à Paris. En effet, lors du retour de Louis XVIII, le préfet de la Seine, Chabrol de Volvic, l’accueillit par ces mots : « Sire, cent jours se sont écoulés depuis le moment fatal où Votre Majesté, forcée de s'arracher aux affections les plus chères, quitta sa capitale au milieu des larmes et des lamentations publiques ». De fait, Louis XVIII rentrait à Paris pour la seconde fois le 8 juillet 1815, après seulement quatre mois d’exil… Mais l’Histoire ne s’arrêta pas là !
Louis XVIII n’ayant pas d’enfant, le comte d’Artois devint roi le 16 septembre 1824. À cette date, la dynastie des Bourbons semblait avoir consolidé sa réimplantation. Mais l’Histoire se gausse des certitudes humaines. En juillet 1830, après trois jours de révolte bourgeoise et estudiantine, bien loin de la puissance des insurrections de 1789 et 1793, le dernier roi Bourbon fut balayé. À l’automne 1824, au château des Tuileries ou ailleurs, qui aurait pu penser que Louis-Philippe d’Orléans, fils d’un régicide, soldat de la Révolution et chef de la branche cadette, deviendrait le Roi des Français dans à peine six années ? Personne, il faut bien en convenir. Et lorsqu’il reçut le titre de « roi constitutionnel des Français », nul ne concevait qu’il resterait presque dix-huit ans au pouvoir…
Encore une fois, cette incroyable séquence historique aurait pu se clore maintenant. Il n’en fut rien. Quand Louis-Philippe embrassa Lafayette à l’Hôtel de Ville le 31 juillet 1830, tous deux enveloppés dans le drapeau tricolore, nul n’imaginait qu’un obscur neveu de Napoléon, aventurier, comploteur maladroit et naïf, parviendrait à la magistrature suprême de manière légale. Louis-Napoléon Bonaparte remporta effectivement l’élection présidentielle au suffrage universel masculin en 1848, devenant l’unique Président de la Deuxième République. En août 1815, alors que Napoléon, captif des Anglais, voguait vers son île-prison-tombeau de Sainte-Hélène, personne en Europe, pas même lui, n’imaginait que trente-sept ans plus tard, le 2 décembre 1852, l’Empire serait restauré au profit du troisième fils de son petit frère Louis Bonaparte et d’Hortense de Beauharnais. En 1848 ou 1852, aucun Français ne se doutait que ce Napoléonide garderait le pouvoir jusqu’en 1870. L’Histoire est vraiment le théâtre de l’imprévu.
Certains objecteront peut-être que ces épisodes totalement imprévisibles de la grande Histoire remontent à trop loin pour constituer des arguments. Curieux raisonnement. Mais admettons. En 2014, lorsqu’un inconnu du grand public, Emmanuel Macron, est nommé ministre de l’Économie, aucun Français ne s’exclama : « Cet homme sera Président en 2017 ». Personne n’aurait affirmé : « Cet homme sera élu Président deux fois de manière consécutive ». Et, malheureusement pour notre pays, cela arriva…
Prenons un exemple plus récent. En décembre 2019, au moment des fêtes de Noël, si quelqu’un avait prédit que la France, les pays d’Europe et les principales puissances mondiales confineraient leurs populations, imposeraient le port du masque, instaureraient des restrictions sur nos libertés, mettraient en place des QR codes pour vérifier le statut vaccinal, exigeraient des auto-attestations pour sortir de chez soi, etc., il serait passé pour un complotiste, voire pour un fou à enfermer sur-le-champ. Nous savons tous, certains en gardent encore les séquelles aujourd’hui, ce que nous avons enduré au cours de cette triste période…
En somme, l’Histoire nous enseigne que les certitudes autoproclamées du jour peuvent être anéanties par les imprévus de demain. Il est indispensable de faire preuve d’humilité face à l’étude du passé et dans nos projections pour l’avenir. Refuser la possibilité d’une restauration monarchique, en invoquant des prévisions dépourvues d’une analyse politico-historique solide, reste une position fragile et intenable. Face à cette incertitude fondamentale, adopter une saine réflexion sur les futurs politiques possibles, y compris celui d'une restauration monarchique, est non seulement légitime, mais aussi sage.
Le futur se façonne en grande partie par nos actions présentes : soyez donc vigilants, car le temps pourrait bien ouvrir des perspectives que vous jugez aujourd’hui improbables. Demain, ou après-demain, la monarchie pourrait redevenir une réalité…
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