L’Histoire n’a que le sens qu’on lui donne
1956, jeune sous-lieutenant sorti de Saint-Cyr, je débarque en Afrique du Nord ; dans ma cantine, les ouvrages du père jésuite Theilhard de Chardin. Catholique convaincu, je crois que l'évolution a un sens. Nourri de culture antique par des professeurs passionnés, je m'imagine qu'il nous revient de porter au monde ce que les Grecs nous ont apporté jadis. Après l'abomination de la Shoah, le livre de Krachenko "J'ai choisi la liberté" me révèle l'existence des goulags soviétiques ; c'est pour moi le déclic. Abandonnant mon goût pour les sciences de la nature, persuadé que la civilisation est de nouveau en danger, je m'engage pour l'Indochine que menace le communisme, mais je suis dérouté sur l'Afrique.
Maroc, le bled. Accrochée à une pente rocailleuse du Rif, une pauvre maison préhistorique isolée de tout. Sur le toit, trois enfants pauvrement habillés explosent de joie en voyant apparaître le croissant de la lune qui marque la fin du ramadan. Meknès, ville merveilleuse d'apparence médiévale ; ruelles étroites bordées d'échoppes, ruelles exhubérantes de vie où se côtoient habitants et ânes chargés du transport des marchandises. Le soir, au lieu de l'angélus de mon enfance, appel à la prière que se renvoie un muezin à l'autre. Puis le silence mystique de la nuit... image d'une société en équilibre ? Pourquoi la changer ?
Algérie, le bled. En tant que lieutenant commandant d'une compagnie, j'ai la responsabilté d'un territoire. J'interdis tout acte de torture. Je me rends au souk. J'y suis bien accueilli. Je fraternise avec l'officier SAS qui fait de l'action humanitaire. Au volant de ma jeep, en pleine période de ramadan, je traverse un village. Vêtus de djellabas blanches, bien alignés de chaque côté de la rue, les hommes sont assis, silencieux. Ils me voient passer. Le message est clair : étranger je suis. J'ai pour moi l'avancée technique, certes, mais eux ont la vérité d'Allah. C'est leur fierté et leur supériorité. Deux types de civilisations... incompatibles.
Dans le sous-quartier voisin, en pleine forêt, un grand marché couvert financé par la métropole devrait, parait-il, s'y trouver. Par curiosité, étant alors à Alger, je visite un groupe de maisons construites tout récemment sur un piton désert dans le cadre du plan de Constantine financé par la métropole : village à la Potemkine. Pour vérifier la solidité des bâtiments, je donne un coup de pied dans un mur et mon pied passe au travers. Non, je n'ai pas de repentance, seulement le sentiment que c'est bien la métropole qui, dans cette affaire, a été le pigeon et la "vache à lait". Je retourne chercher mes harkis que j'avais dû laisser sur mon ancienne position et les rapatrie.
L'histoire a-t-elle un sens ? Non ! L'Histoire n'a que le sens que les hommes lui ont donné, lui donnent et lui donneront. Ou alors, il faudrait admettre que l'homme, les hommes, ne sont pas libres, ce qui serait absurde. Il n'y a pas de plan de Dieu. L'hypothèse teilhardienne est fausse et le mondialisme aveugle une dangereuse utopie. Les trois religions du Livre sont créations purement humaines où, sur une terre devenue trop petite, des populations disparaîtront et d'autres survivront dans la prolongation des lois de la nature et non dans le bouquet final d'une utopie mondialiste religieuse, pseudo-religieuse ou fraternelle.
C'est la conclusion pessimiste à laquelle je suis finalement arrivé après m'être posé un tas de questions sur les valeurs de mon engagement. Sept livres publiés en auto-édition. Pour savoir où l'on va, il faut bien savoir d'où l'on vient. Des années de travail, de recherche, de réinterprétation des textes anciens.
Après une carrière honorable, j'ai quitté l'armée à 25 ans de services. Je ne me voyais pas continuer dans un bureau ou participer à des exercices contre l'ennemi "rouge" alors que s'infiltrait dans le pays une autre culture, source de futures tensions.
En 1987, mes sept premiers ouvrages sont écrits dont mes "Histoire du Christ" et mon "Histoire de Mahomet". En 1995, je m'apprête à les publier mais prenant conscience du bouleversement des croyances que cela peut entraîner, je demande au ministre de la Défense à être entendu par une commission militaire... sans succès malgré un avis favorable de M. Charles Millon, ministre de la Défense (lettre C2B/VR - 041107 du 13/11/95 de Jean-Yves Moracchini, chef du cabinet civil).
Comptant sur le soutien de Mme Claudie Haigneré, ministre de la recherche, qui m'a félicité pour mes publications jusqu'à mes "Histoire du Christ", je lui envoie le 30.1.2004 mon manuscrit sur Mahomet... Je soupçonne M. Raffarin, premier ministre, d'avoir mis le "holà !".
J'ai échoué. Le débat médiatique que je souhaitais n'a pas eu lieu. L'islamisme radical qui aurait dû sombrer dans le ridicule après une réinterprétation logique et claire de écrits fondateurs a prospéré du fait de l'aveuglement du pouvoir politique. L'attentat meutrier de Nice du 14 juillet 2016, ainsi que ceux qui vont suivre, montre d'une façon on ne peut plus claire les conséquences d'avoir laissé entrer sur le territoire l'étranger endoctriné qui ne s'intègre pas.
Quelle politique de défense ? Nos stratèges sont en retard d'une guerre. Comme en 40 où on a choisi la ligne défensive de Maginot. Comme hier où on a continué à mener une guerre conventionnelle alors qu'elle était subversive, impliquant les populations. Comme aujourd'hui avec l'opération "sentinelles" actuellement très critiquée à juste raison.
Face à mes camarades généraux étoilés, je ne suis qu'un modeste petit lieutenant-colonel en retraite (proposition au grade de colonel dans les réserves à laquelle je n'ai pas donné suite). J'ose un commentaire suite à un article Agoravox de ce jour :: Quelques idées pour une autre stratégie (avec économie à la clé). Primo : stigmatiser l’adversaire en développant dans les médias une campagne d’information orientée pour montrer l’inhumanité, l’aveuglement des attentats contre les populations, ainsi que le caractère antipathique de leurs auteurs.
Secundo : instaurer des tribunaux d’exception qui décideront, dans la semaine, de la mise à mort des auteurs d’attentats, sans leur chercher d’excuses. En même temps, retirer l’armée de l’opération « sentinelles ». Ce n’est pas son rôle premier.
Tertio : ouvrir le débat sur les textes fondateurs de l’islam.
Quarto : regrouper les migrants aux frontières de leurs territoires pour en faire des bases de reconquêtes et d’interventions encadrées.
François Vesin me répond : primo : mettre immédiatement un terme aux guerres dans lesquelles nos présidents (et leurs affidés) nous ont précipités contre des pays qui ne nous ont rien fait.
secundo : nous désengager de l’OTAN et revenir à la situation voulue par le général De Gaulle.
tertio : redonner un rayonnement à notre diplomatie d’une part et faire de notre armée une force de défense performante (ce qui suppose des unités de renseignements dûment dotées en personnels et en matériels). Notre défense nationale doit protéger notre territoire : elle n’a rien à faire comme suppléante de quelque force impérialiste que ce soit sauf à générer des haines dont le peuple est la seule et unique victime.
J'approuve. Mais bien sûr ! Quelle drôle d’idée d’avoir éliminé Kadhafi qui maintenait l’ordre en Libye ! Quelle drôle d’idée d’avoir, de même, éliminé Saddam Hussein ! Avant la Révolution, la politique militaire et étrangère de la France consistait principalement à protéger les frontières du territoire en veillant à écarter tout voisinage dangereux, et au besoin, en y favorisant la discorde pour l’affaiblir. Quand j’écris en quarto : regrouper les migrants aux frontières de leurs territoires, je veux dire par là que c’est à eux de prendre les armes pour régler, entre eux, leurs différents et pas à nous. Que si leurs pays sombrent dans l’anarchie, que cela soit un exemple pour les autres.
Pour le reste, tout à fait d’accord.
Emile Mourey, 11 août 2017