L’Individu, l’Etat & la Décroissance - Chapitre 11 : codifier l’espace individuel
Parmi les 74 codes juridiques qui écrasent l’individu agissant dans la moindre de ses actions, il en est pas moins de six qui traitent de l’espace public ( impôts, domaine de l'État, domaine public fluvial et de la navigation intérieure, douanes, propriété des personnes publiques, collectivités territoriales), mais aucun relatif à l’espace privé. Ceci confirme bien, s’il en était encore besoin, que la notion d’espace individuel est étrangère au droit français. Or le concept de Liberté, dont une définition claire est rendue difficile par les différentes formes qu’il peut prendre, gagnerait en transparence si nous pouvions déterminer avec précision le lieu et l’espace où il s’exerce. Ce flou volontaire entre les deux espaces, voire l’omerta législative sur le second, sert manifestement le pouvoir étatique pour étendre tacitement les lois afférentes à l’espace public sur l’espace privé, le point stratégique de ce subterfuge résidant d’ailleurs moins dans le type de loi applicable au domaine de l’individu que dans la définition des limites mêmes de ce domaine. Un exemple très édifiant a été donné dans le chapitre précédent avec celui de la confusion des notions d’espace public et d’espace recevant du public (ERP), permettant ainsi une extension de la juridiction des espaces publics aux espaces privés recevant du public, ce qui revient pratiquement à nier tout espace privé puisque la loi pourrait très bien décider bientôt que tout espace privé (votre domicile par exemple) étant naturellement amené à recevoir des groupes d’individus (vos amis) celui ci devrait être considéré comme un espace public et que les lois publiques afférentes devraient s’y appliquer par voie de conséquence. Nous ne sommes d’ailleurs déjà pas très éloigné de cette situation puisque la loi peut vous reconnaître coupable d’un délit si l’un de vos amis a bu de l’alcool chez vous et qu’il prend le volant par la suite sans que vous puissiez prouver que vous avez tenté de l’en dissuader, et pourquoi pas même, de l’en avoir empêché en faisant usage de votre force physique. Par contre, la Loi ne dit pas si votre ami étant plus robuste que vous et vous ayant passé sur le corps pour rejoindre son auto, vous restez responsable de l’accident éventuel qu’il aurait pu déclencher…..
Bref, nous pourrions nous amuser à multiplier les scenarii de ce genre, sans être bien certain toutefois qu’il s’agirait, en l’espèce, d’un divertissement de bonne qualité. La création d’un Code de l’espace individuel apparaît donc comme l’une des premières mesures d’adaptation à la décroissance que nous devrons prendre afin de donner à l’initiative personnelle un domaine d’action précis et incontestable. Ce Code devrait naturellement comprendre deux parties, l’une délimitant très concrètement les contours de ce domaine et l’autre instituant les lois spécifiques ou étendues de l’espace public devant s’y appliquer. A terme, et ainsi que nous le verrons à la fin de cette étude en proposant un Projet de Constitution Décroissante Anti-autoritaire, il serait souhaitable d’inclure les principes fondateurs du concept dans la constitution, le Code, s’il devait subsister, ne traitant que de l’application de ces principes dans les divers cas de figures spécifiques.
Délimiter l’espace individuel : le principe devant présider à la détermination de la frontière avec l’espace public est le principe de propriété. Ce principe est clair, bien admis par tous, affirmé dès l’article 2 de la Déclaration des Droits de 1789, et exempt de toute polémique passée ou présente. De ce point de vue l’espace individuel comprend tout ce qui est la propriété de l’individu, tandis que l’espace public comprend tout ce qui est la propriété collective de la nation, et non d’un groupe d’individus identifiés. Ainsi, le fait que plusieurs individus puissent être co-propriétaires par le biais d’une association, ou autre groupement, ne change naturellement rien à la nature de leur propriété qui relève bien de l’espace individuel. Cette affirmation va sembler une évidence et nos détracteurs pro-étatiques vont se presser de conclure que nous enfonçons des portes ouvertes, mais ils seront sans doute plus circonspects lorsque nous aurons précisé que nous prenons en compte tout type de propriété, y compris les lieux d’activité professionnels. En termes clairs, nous devons considérer qu’une boutique, un atelier artisanal, un bureau de service, un local commercial, un entrepôt, une usine, etc… sont des espaces individuels, totalement distincts de l’espace public.
Déclarer les Droits de l’Espace Individuel : nous avons déjà démontré que :
· sous couvert d’un libellé trompeur, la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 affirme en fait les Droits de l’Etat sur l’Individu et non l’inverse,
· l’affirmation initiale du Droit de l’individu à la Liberté est contredite par l’énoncé des autres articles qui donne à la Loi le pouvoir de le restreindre (voir chapitre précédent),
· la Déclaration entretient volontairement la confusion entre le principe d’égalité de tous devant la Loi, qui est, nous en convenons, une véritable acquisition de la révolution et celui de liberté, qui reste flou et polysémique dans le texte.
En conséquence, il conviendrait de déclarer solennellement l’inviolabilité législative de l’espace individuel sauf à contrevenir au principe de nuisance objective envers autrui.
Le concept de nuisance est indiqué à l’article 4 de la Déclaration de 1789 comme source unique admise de la Loi et nous avons vu dans le chapitre précédent qu’une acception restrictive au qualificatif d’objective était la seule compatible avec l’éthique d’une société respectant la liberté individuelle.
Concrètement les conséquences de ce principe d’inviolabilité législative seraient déterminantes, notamment dans les domaines suivants :
1. Au plan familial, toute propriété bâtie ou non bâtie pourrait faire l’objet de tout aménagement, construction, destruction, creusement, etc.. sans intervention de la loi publique (notamment, extinction du permis de construire). Commentaire : le permis de construire est une invention législative relativement récente dont le point de départ peut être fixé au décret du 26 mars 1852 relatif aux rues de Paris, imposant un “permis de bâtir” dans l’intérêt de la sécurité publique et de la salubrité. Ce texte fut suivi de bien d’autres qui ont entraînés une prolifération astronomique d’autorisations, chacune sanctionnant un aspect ou un autre de l’acte de construire. C’est le régime de Vichy, c’est à dire le pire régime despotique que la France contemporaine ait connu, qui, par la loi du 15 juin 1943 a donné au permis de construire sa forme moderne en substituant une autorisation unique à l’ensemble des autorisations atomisées qui existaient auparavant. Le permis de construire devint obligatoire sur l’ensemble du territoire quelle que soit l’importance de la commune, aussi bien dans le cadre de projets d’ensemble que pour les constructions isolées. Cette loi de 1943 fut annulée et remplacée, à la libération, par l’ordonnance du 27 octobre 1945 mais non modifiée sur le fond du droit. Cette gesticulation législative eu pour seul objet de masquer l’emballage totalitaire de cette loi, tout en conservant intact son contenu tyrannique et liberticide. Les contraintes et les empêchements étatiques qui s’exercent sur un particulier lorsqu’il veut construire sur son terrain ne relève pas de l’anecdote législative mais constituent au contraire l’archétype de la violation de l’espace individuel par le bon vouloir du collectif, et témoignent de la domination du groupe sur l’individu dans son domaine le plus intime, l’abri, besoin fondamental numéro deux de l’espèce humaine après l’alimentation.
2. Au plan financier, la propriété mobilière serait exempte de toute sujétion publique (notamment, extinction de l’impôt). Commentaire : en termes clairs, le revenu et le patrimoine individuel ne peuvent être ponctionnés par la collectivité, sous quelque forme que ce soit : impôt, taxe, redevance, contribution, etc… Nous avons vu précédemment dans le chapitre « Rétrograder l’Etat », que, dans une situation où chacun devra faire face au déclin énergétique par des efforts obligés de résultat, il ne serait pas logique de conserver à l’Etat sa rente de situation et son revenu acquis par une seule obligation de moyens. Les revenus de chaque groupe social devront être obtenus par un échange librement consenti et sanctionnant le résultat d’un savoir faire. D’où il découle que l’Etat réalisera des bénéfices par la vente des produits du secteur marchand qui lui sera confié par le peuple (énergie, transports, sidérurgie, automobile,..) et qu’il utilisera ces bénéfices pour faire fonctionner les services collectifs gratuits (santé, éducation, police,..)
3. Au plan professionnel, toute activité serait libre de s’exercer sans contrainte publique (notamment, extinction des professions réglementées). Commentaire : Si le permis de construire est un pur produit de l’Ordre moral du régime de Vichy, les professions réglementées sont, quant à elles, une survivance de l’Ancien Régime, voire de la féodalité. Dans un contexte de déclin généralisé, il apparaît de toute première importance de libérer l’intégralité des forces vives de la nation en permettant à chacun d’exercer librement l’activité qu’il souhaite, sans pour autant rejeter les principe de labéllisation ou d’ agrément par des organismes publics ou privés donnant au client, s’il le souhaite, des éléments d’information ou de garantie sur la prestation envisagée.
4. Au plan entrepreneurial, toute entreprise serait libre de fonctionner sans réglementation publique (notamment, extinction du droit du travail). Commentaire : l’entreprise est confirmée comme relevant de l’espace privé. Cette précision est essentielle, car, de même que l’espace privé d’un terrain rural devenant par l’effet du Code de la Construction une extension factuelle de l’espace public, l’entreprise ordinaire, par le Code du Travail et les autres innombrables réglementations qui s’y appliquent (droit fiscal, droit commercial, droit des sociétés, hygiène, sécurité, etc…, etc…), est devenue une simple annexe de la sphère collective. C’est ainsi que le Groupe s’est approprié le terroir individuel au prétexte qu’il a « vue » sur lui et que cette vue constitue de fait un patrimoine collectif, et qu’il s’est approprié la boutique individuelle parce qu’elle procède de l’économie en général et que cette économie impacte la collectivité. Ces raisonnements fallacieux et biaisés ne devront plus avoir cours dans la société décroissante parce que c’est dans la distinction claire de ce qui relève de l’espace privé et de ce qui incombe à l’espace public qu’elle tirera l’essentiel de son efficacité.
5. Au plan spirituel, tout individu pourrait s’exprimer librement depuis son espace individuel sans être limité par la juridiction publique (notamment, extinction du délit de diffamation). Commentaire : les seules nuisances validées comme sources autorisées de la Loi étant les nuisances objectives, il en découle que les paroles et les écrits ne peuvent être réglementés. Le fait que la diffusion de telle idée soit la cause indirecte d’une atteinte à l’intégrité d’un bien ou d’une personne (meurtre, blessure, viol, vol, saccage,…) relève de l’appréciation subjective et ne peut être prouvé concrètement, ni scientifiquement. Et quand bien même un faisceau d’innombrables supputations et intimes convictions viendrait à donner à cette relation une probabilité maximale, ce ne serait pas une raison suffisante pour étendre la responsabilité de l’auteur direct du délit à celui ou à ceux qui n’ont fait usage que de leur liberté fondamentale d’expression. De plus les soi-disant valeurs généralement stigmatisées comme des « atteintes à l’honneur » ou à la « pudeur », sont directement issues des préceptes d’un Ordre Moral de sinistre mémoire, ou fabriquées pour protéger les puissants autocrates des maigres fléchettes de leurs sujets. Elles ne peuvent constituer matière à légiférer dans un contexte où l’urgence n’est pas au maintien des positions dominantes, mais à l’émergence de nouvelles forces vitales.
Au sein de l’espace individuel ainsi défini, la Liberté serait donc la plus large possible pour le propriétaire, hormis les actions de crimes ou délits relevant du principe de nuisance objective à l’intérieur de ce même espace individuel, et pour lesquels la Loi publique devrait s’appliquer.