jeudi 31 mai 2018 - par Clark Kent

L’Italie de Charybde en Scylla

Au début du mois de mai, en Italie, le parti de la Ligue et le Mouvement « cinq étoiles » avaient fait leur l’adage du mariage de la carpe (brune) et du lapin (opportuniste) en proposant un nouveau gouvernement que les responsables de l'Union Européenne ont perçu comme une menace.

A la fin du mois, le 27 mai, le président de la République d’Italie, M. Sergio Mattarella, a opposé son veto à la nomination d'un ministre des finances eurosceptique pour tenter de rassurer les marchés financiers et dissiper la rumeur insistante d’un abandon de l’Euro par son pays. Or, sa décision pourrait bien avoir l’effet inverse de ce qu’il espérait.

Bien qu’il soit déjà arrivé qu’un président italien intervenienne pour bloquer la nomination d’un ministre jugé inapte, la décision de M. Mattarella est une première : son veto concerne les options politiques d'un candidat et non pas ses compétences techniques.

M. Mattarella n'avait pourtant pas hésité à accepter la candidature de M. Matteo Salvini, le leader de la Ligue, en tant que ministre de l'Intérieur, alors que celui-ci annonçait l’expulsion d'un demi-million de migrants et de réfugiés et ne cachait pas ses convictions racistes.

Le Mouvement des Cinq Étoiles et la Ligue ont refusé de proposer un autre candidat au poste de ministre des Finances. En attendant, M. Mattarella a réagi en nommant un cabinet de technocrates qui n’ont aucune chance d'obtenir une majorité parlementaire. Leur tâche se limitera à organiser des élections anticipées.

En fait, ce veto du président ne fait qu’exacerber la polarisation du spectacle politique, les Italiens étant contraints de rejoindre l'un de deux camps radicalement opposés :

  • d'un côté, les partis qui soutiennent le président, défendent l'adhésion de l'Italie à la zone euro et prônent la continuité des politiques sociale et économique. Ils représentent « l'establishment » et gravitent autour du Parti démocrate, qui vient de perdre le pouvoir pouvoir. Leur victoire verrouillerait l'engagement de l'Italie vis-à-vis de l'UE et garantirait le maintien du statu quo économique. Synonyme de stagnation économique et chômage à deux chiffres.
  • de l’autre côté, la Ligue et le Mouvement des cinq étoiles s’insurgent contre le diktat des marchés financiers transnationaux et de la bureaucratie de l'UE sur la « démocratie » italienne. Ils exigent que l'Italie "recouvre" sa souveraineté et cesse d'être "une colonie des Allemands ou des Français". Ces positions ont d’autant plus de succès que les « européens » eux-mêmes en remettent une couche. Lundi, le commissaire européen Guenther Oettinger a suscité l'indignation en déclarant que le coup de fouet des marchés financiers devrait dissuader les Italiens de voter pour les populistes.

Les marchés financiers en question ont réagi dans l’autre sens, avec la couardise coutumière à ceux qui détestent prendre les risques qu’ils mettent en avant pour justifier leurs prédations en périodes fastes. La bourse s'est effondrée parce que les prochaines élections seront perçues comme un référendum sur l'adhésion de l'Italie à la zone euro, alors que la décision de M. Mattarella a stimulé le camp nationaliste et radicalisé ses positions.

Les derniers sondages montrent que la popularité de la Ligue a presque doublé avec 27% de déclarations de vote (la Ligue a obtenu 17% lors des élections du 4 mars). Le Mouvement des cinq étoiles, lui, se maintient à 30 pour cent. L'Italie risque d’avoir écarté hierun ministre des finances eurosceptique pour se retrouver demain avec un gouvernement beaucoup plus véhément contre l'euro.

En fait, la situation en Italie reflète une tendance répandue un peu partout dans le monde, le partage de l'espace politique entre deux camps apparemment opposés, mais finalement symbiotiques :

  • un des deux camps représente une nouvelle vague de nationalisme nourrie par le discrédit d'une « classe politique » accrochée à un modèle économique obsolète qui engendre l'inégalité et l'injustice et qui prive un nombre croissant de personnes de leur droit à une vie décente. Le soi-disant consensus de Washington (promouvoir la mondialisation néolibérale, les flux financiers sans entraves et l'explosion du commerce international) a du plomb dans l’aile et la tentative des vieux chevaux de retour discrédités de s'y accrocher ne fait qu’alimenter ces mouvements.
  • L’autre camp, l'élite financiaro-industrielle, a besoin des nationalistes pour fonder sa dernière tentative de rester au pouvoir en les utilisant comme épouvantails à la manière d’Hillary Clinton qui avait déclaré en 2016 : « je suis le dernier rempart qui se dresse entre vous et l'apocalypse ». Le "vote utile" ou les appels franco-français au "réflexe républicain" en sont d'autres exemples. La dernière carte jouée par l’establishment est toujours celle de la peur de l’avenir. En Italie, le danger d'une rupture de la zone euro est utilisé pour effrayer l'électorat.

Les deux camps se renforcent mutuellement, tels l’abeille pollinisatrice et la fleur qui lui donne sont nectar.

Ce n'est pas un hasard si l'UE est la pierre d’achoppement de cette situation. Ses directives combinent des éléments de néolibéralisme débridé, comme le fonctionnement d’une banque centrale indifférente au sort des chômeurs, avec des éléments de solidarité internationale compensatoire (de moins en moins, d’ailleurs) sous la forme de fonds structurels pour les régions les plus pauvres du continent.

La monnaie commune affichait le projet de rapprocher les peuples et de favoriser le début d'une « démocratie transnationale » mais, tout comme les initiatives de M. Mattarella l’euro, une monnaie sans contrôle politique n’obéissant qu’aux objectifs « glacés du calcul égoïste » a abouti à un résultat contraire aux intentions affichées.

L'euro sépare les nations et les peuples et fragilise les états. Sans une transformation radicale des structures qui le constituent et sans une transformation radicale des institutions de l'UE qui donnent plus de pouvoirs à une commission non élue qu’à son parlement, la zone euro finira par se désintégrer, ce qui constituerait un tsunami, qu’on le souhaite ou pas. Or, ce qui est offert aux citoyens des pays constituant l’UE aux échéances électorales se résume à un faux choix entre la continuité suicidaire et l'implosion nationaliste.

Ce qui se passe en Italie aujourd'hui a des implications universelles. Une sortie de l'Italie de la zone euro déclencherait une tourmente financière et politique en Europe et l’effet papillon toucherait progressivement tous les pays de la planète.

Tels les compagnons d’Ulysse confrontés aux périls de deux monstres marins, Charybde l’establishment discrédité et Scylla le nationalisme renaissant, les citoyens italiens trouveront-ils la force et la vision nécessaires pour sortir du piège et montrer aux autres peuples la voie à suivre pour reconstruire un ordre international mourant ? Ils rendraient un grand service à tout le monde



20 réactions


  • papat 31 mai 2018 09:04
    La guerre des classes fait rage, le peuple ne peut plus reculer

    Les élites européennes, italiennes ou françaises, sont européistes.

    Elle représentent tout au plus les 10 % les plus riches de la population.

    Les élites européennes, italiennes ou françaises, veulent continuer à garder leur pognon, leur patrimoine, leur pouvoir politique, leur pouvoir médiatique, leur pouvoir bancaire, leur pouvoir universitaire.

    La guerre des classes fait rage : aujourd’hui encore, sous nos yeux, la classe des 10 % les plus riches continue à faire sa propagande européiste à la télévision et dans tous les médias.

    Les élites françaises sont retranchées dans la forteresse européiste, comme les partisans de l’Ancien Régime étaient retranchées dans le Palais des Tuileries le 10 août 1792.

    De la même façon, les élites italiennes sont européistes : les élites italiennes sont retranchées dans la forteresse européiste, et elles sont prêtes à tout pour garder leur pouvoir.

    Maintenant une chose est sûre : les élites européennes, italiennes ou françaises ou allemandes, n’accepteront JAMAIS le verdict des urnes s’il va contre les intérêts de leurs chers marchés financiers.

    Les élites européennes, italiennes, françaises, allemandes, belges, espagnoles, n’accepteront JAMAIS le verdict des urnes.

    La problématique pour les populations spoliées de leurs droits démocratiques est on ne peut plus simple : ce sera elles ou les élites.

    Notre choix tombe sous le sens. La guerre des classes fait rage. On ne peut plus reculer.


    • eddofr eddofr 31 mai 2018 10:59

      @papat

      Bonjour, selon le mode de calcul utilisé, je fais partie des 10% les plus riches, ou je suis juste en dessous du seuil.

      Et pourtant je ne me sens pas « riche ». Aisé oui, mais pas « riche ».

      Je ne me sens pas dans la catégorie des « élites ».

      Je suis expert technique (je ne « manage » personne, je suis juste « super bon » dans mon métier et ça se paie). 

      Je n’ai aucun pouvoir, aucune influence, aucun ami « bien placé ».

      Je suis propriétaire de ma résidence principale (crédit payé), mais je n’ai aucun investissement locatif, aucun fond de placement en actions.

      L’argent que je gagne, je le gagne par mon seul travail.

      Je n’ai aucune solidarité, aucune valeur commune avec les Grand Dirigeants, les Actionnaires majoritaires, les rentiers, les nantis, les banquiers, les politiciens, les avocats d’affaire, les opticiens, les pharmaciens, les grands céréaliers ....

      Je crois qu’aujourd’hui, si vous voulez parler d’élites, il va falloir viser les 5%, voire les 1% les plus riches ...



    • foufouille foufouille 31 mai 2018 11:40

      @eddofr

      tu es certainement un cas à part.
      par contre, patpat oublie les petits fils de fonctionnaires teigneux et pas riches.


    • Clark Kent Clark Kent 31 mai 2018 12:44

      @foufouille

      les élites ne sont pas italienne, française, allemande ou grecque...« europésistes », mais « européennes ». 
      Le capital a lu Marx et compris la force de l’Internationale. Il serait temps que les peuples de tous les pays le comprennent et s’unissent. Le capital européen, contrairement à celui des Etats-Unis, n’est pas nationaliste, ni corporatiste ni catégoriel. Il constitue une classe sociale qui a conscience de ses privilèges et met en oeuvre une stratégie efficace. En face, il est urgent de déployer des analyses et des forces qui correspondent aux réalités d’aujourd’hui plutôt que de lancer des vieux slogans ou de proférer des incantations mysti...ficatrices.

    • Cateaufoncel2 31 mai 2018 13:50
      @Blek

      « Vous l’avez perdu la guerre des classes... »

      Tout cela est fort bien observé et ce qui coince un type comme Papat, c’est que le « populisme » progresse à peu près partout, à l’enseigne de la « lutte des races ».

      Le passage de la « lutte des classes » à la « lutte des races », s’est opéré au moment où les défenseurs autoproclamés du prolétariat ont abandonné leurs protégés « naturels » pour reporter leur sollicitude sur le sous-prolétariat issu de l’immigration du tiers monde.

      Et ils ne peuvent pas revenir en arrière, car ils ne peuvent pas se départir de la croyance dans un avenir universel de paix, d’harmonie, de fraternité et de solidarité, hors duquel leur idéologie perd tout son sens. Ce faisant, ils favorisent le dessein oligarchique de destruction de l’homogénéité interne des nations européennes sans, pour autant, faire progresser la cause de leur révolution.

    • papat 31 mai 2018 15:17

      @Blek
      si nous avons perdu ,c’est eux qui ont gagné ??


      Les 500 Français les plus fortunés possèdent 571 milliards d’euros, soit 117 milliards de plus qu’en 2016 (+26%). Entre 1996 et 2017, le montant total de la fortune des 500 plus riches du classement Challenges a été multiplié par sept tandis que le PIB français a seulement doublé au cours de cette période. Ainsi, les actifs des « 500 » ont progressé, en valeur, trois fois et demi plus vite depuis 1996 que la production de richesse en France, avec une accentuation particulière parmi les plus grandes fortunes. La fortune minimale d’insertion dans le classement a quant à elle presque décuplé en l’espace de 21 ans, atteignant 130 millions d’euros cette année.

      vous pensez sans doute que le ruissellement va venir jusqu’à vous ?

    • Clark Kent Clark Kent 31 mai 2018 15:22

      @papat

      la guerre n’est pas finie...

      mais comme pour la guerre tout court, la lutte des classes est devenue une guerre froide, un jeu de false-flags et de proxi-wars truffée de valises de billets e=servant à rémunérer les mercenaires et acheter les roitelets corruptibles... l’histoire jugera, mais il faudra du temps et du recul.

    • papat 31 mai 2018 16:59

      @Blek
      Premier constat, qui agacera sans doute les aficionados de la préférence nationale : sans ses immigrés, la France ne serait pas la cinquième puissance économique du monde. Loin s’en faut ! Au classement de la richesse nationale, elle serait distancée par le Royaume-Uni, l’Italie, le Brésil et peut-être même talonnée par la Russie. Cela tient à une simple question arithmétique. Selon les calculs de Michèle Tribalat, les étrangers accueillis sur notre sol depuis 1960 représentent aujourd’hui avec leurs descendants une masse de près de 10 millions d’habitants, autrement dit 15% de la population. Or, comme les 55 millions d’autres, ces personnes consomment des biens, travaillent, se logent, bref, nourrissent l’activité dans l’ Hexagone. D’après les estimations de Lionel Ragot et Xavier Chojnicki, deux des rares économistes à avoir travaillé sur le sujet, les seuls immigrés de première génération ont acquitté en 2005 un peu plus de 18 milliards d’euros de taxes sur la consommation, c’est-à-dire proportionnellement presque autant que le reste de la population. Autant dire que, sans eux, bien des entreprises devraient fermer leurs portes, faute de débouchés.


    • foufouille foufouille 31 mai 2018 17:15

      @papat

      " les étrangers accueillis sur notre sol depuis 1960 représentent aujourd’hui avec leurs descendants une masse de près de 10 millions d’habitants"
      ce qui fait quelques millions de sans emploi ..................


    • waymel bernard waymel bernard 31 mai 2018 21:59

      @papat

      Faire venir des immigrés pour trouver des débouchés aux entreprises, c’est quand même fort.
      Et ces 18 milliards de taxes sur la consommation payées par ces immigrés (ils en récupèrent beaucoup si ce n’est tout en bénéficiant des services publics), ce n’est rien à côté du coût de l’immigration que certains estiment à près de 100 milliards d’euros.

    • soi même 31 mai 2018 22:40

      @papat, crétin il y a jamais eu de lutte classes, il y a juste beaucoup d’égoïsme égocentrique. 


    • papat 31 mai 2018 23:41

      @soi même
      travelo


    • Cateaufoncel2 1er juin 2018 16:28
      @foufouille

      « ...ce qui fait quelques millions de sans emploi... »

      Et, par conséquent, sans ces dix millions d’individus globalement peu performants du point de vue économique, le PIB/hab serait considérablement plus élevé. Et c’est bien le critère qui compte.

      On nous dit que la Chine est la première puissance économique mondiale, mais son PIB/hab la situe, selon les classements, au 82e rang mondial (FMI), au 84e rang mondial pour la Banque mondiale, et au 106e rang mondial pour le CIA World Factbook

    • Sparker Sparker 1er juin 2018 16:33

      @Blek


      « les gens se tournent vers les partis nationalistes , ouvrez les yeux et regardez en Europe la progression de ces partis. »

      Oui peut-être mais quand ces peuples sentiront le prix socio/culturel à payer de ces choix instinctuels et sans grande réflexion anthropologique (et anthropo/écologique, moins encore) on en reparlera.
      Si vous êtes prêt à croire qu’il suffise de mettre des partis nationaliste réactionnaire pour arranger les choses grand bien vous fasse, mais je crains que vous ne déchantiez bien rapidement.

    • soi même 17 juin 2018 23:30
      @papat crème d’andouille.


  • Cateaufoncel2 31 mai 2018 11:34
    « ...eur l’adage du mariage de la carpe (brune)... »

    C’est bien d’annoncer la... couleur dès le début, ça indique le niveau et ça évite de perdre son temps à lire la suite...

    • Clark Kent Clark Kent 31 mai 2018 12:45

      @Cateaufoncel2

      Pourquoi tourner autour du pot ? Il faut appelelr un chat un chat.

    • Sparker Sparker 1er juin 2018 16:35

      @Clark Kent


      Et si ça permet d’écarter les commentaires absurdes et nombrilocentrés à la Cateaufonce, c’est toujours ça de pris et de moins à faire rouler la molette de la souris. smiley

  • Clocel Clocel 31 mai 2018 13:54
    Gladio II ?

    Pauvres italiens... Dès qu’ils cessent de sucer la roue de l’Allemagne, ils ont des emmerdes...

  • pipolo 2 juin 2018 09:00

    la mentalité des peuples cher ami ,la mentalité des peuple . l’Italie n a pas besoin de gouvernement pour avancer l italien se gouverne par elle même et une économie parallèle et officieuse soutient celle officielle l’ordre du désordre et cela depuis des temps ancien. Mussolini piqué du syndrome de la chute de l Empire Romain avait inventé le fascisme et peine perdu l italien n avait pas changé pour cela sa façon de pensée , les peuples se sont forgé le tempérament dans leur inconscient et par leur histoire , chassé le naturel il revient au galop . il reste que l italien se complet dans le flou et l a peu prés , laissons a ce pays la résolution de ses problèmes , a coup de palabres et de gesticulations et occupons nous plus tôt de notre gamelle car notre menu a nous n’est pas excellent vu la qualité des cuisiniers officiant devant les fourneaux de la politique . les plats me paraissent avoir un gout amer !


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