L’ultime étape : la colonisation de la France
C’est de l’écart entre perception et compréhension que procèdent toutes les manipulations. Notre cerveau est lent, c’est un fait, mais surtout il est embrouillé, ce qui retarde encore son entendement. Un événement intéressant est survenu cette semaine : l’établissement de JP Morgan à Paris. Fidèle à ses origines, le président s’est félicité de cette implantation extrêmement prometteuse en termes d’investissements étrangers en France, comme s’il fallait se réjouir de ces investissements, nous y reviendrons après un détour historique par les étapes de la colonisation, puisque c’est de cela qu’il s’agit.
Phase 1 - L’idée de colonisation est assez proche de celle du pillage, toutes deux étant des formes de prédation. Les vikings ne s’embarrassaient pas avec l’administration, l’éducation ou la conversion des peuples, ils se servaient et s’en allaient, ce qui les privait finalement de la vraie richesse puisqu’il n’est de richesse que d’homme (Jean Bodin). Au fil du temps, l’idée de colonisation d’une contrée s’est affinée : jouant de son avance technologique, la nation colonisatrice y dépêchait légionnaire, percepteur et missionnaire. Ce dernier se chargeait d’adoucir le troupeau tandis que le second récupérait la laine et que le premier traitait les inévitables écarts par rapport à la doxa religieuse (les premiers seront les derniers, tendez la joue gauche, etc.). Toute cette petite entreprise fondée essentiellement sur la servitude volontaire (Étienne de La Boétie) aidée par une coercition minimale aurait pu durer des siècles si la nature humaine avait été différente, mais légionnaire et percepteur ont voulu fonder famille et donc importer les facilités de la métropole (école, hôpital, route, administration, etc.), ce qui entraina évidemment des coûts qui grevèrent d’autant la rentabilité de la colonie, jusqu’au point ou celle-ci devint négative. Il fallut donc trouver une autre idée.
Phase 2 - L’idée suivante, celle de la colonisation par la dette, fut de rapatrier tout le monde à l’exception du légionnaire, chargé non plus de s’assurer de la religiosité de la population, mais de maintenir au pouvoir un dictateur archiendetté (par les bons soins du colonisateur) et chargé d’exploiter sa population pour rembourser les intérêts - surtout pas le capital - tout en assurant l’ouverture des marchés et l’accès à l’exploitation des ressources de son pays aux investisseurs étrangers. Les mesures d’ajustement structurel du FMI sont une parfaite illustration de la perversité de ce système qui a été très bien décrit par John Perkins dans son ouvrage « confession d’un assassin financier ». Mais ce mode d’exploitation finit inévitablement par tuer l’hôte qui l’héberge ou par générer une situation sociale tellement instable qu'elle balaie la crainte du dictateur et peut amener la population à rechercher des soutiens extérieurs. Ce type de système ne peut fonctionner que dans un monde unipolaire, ce qui n’est - malheureusement pour la finance - pas le cas du notre, du moins pour l’instant.
Phase 3 - Il fallut donc trouver une nouvelle méthode, qui est d’une certaine façon un retour à la phase 1, non plus sur les territoires étrangers, mais sur les territoires d’origine de la colonisation. Coloniser les États riches est plus simple qu’il y parait. Il suffit d’y installer des comptoirs, comme au bon vieux temps de la compagnie des Indes orientales, pour repérer les bonnes affaires et se les approprier. Les politiques appellent ça des investissements étrangers, mais il s’agit ni plus ni moins d’une appropriation des marchés, des savoir-faire, des brevets, de la main-d’œuvre et parfois même de la trésorerie. Les dividendes sont rapatriés chez les investisseurs. Évidemment, ce type de colonisation exige la mise en place d’un système de garantie. Il faut avant tout se prémunir contre les risques étatiques que sont la régulation et la taxation. Enfin, il faut éviter que les moutons aient une perception trop rapide de leur condition, ce qui exige de maitriser aussi la narration.
Les esprits malins rétorqueront que cette phase 3 est absurde puisque les états se sabordent eux-mêmes. Il faut, pour accepter cette idée, comprendre que les États n’occupent pas le sommet de la chaine alimentaire sur la scène internationale et que cette position est occupée par la « finance », ce groupe limité de personnes qui accumulent biens et richesses depuis que la monnaie existe. Ce groupe de personnes ne craint rien ni personne, si ce n’est l’État, son ennemi mortel, qui en accordant du pouvoir aux peuples, menace via l’impôt et la régulation les fondements de son exceptionnalisme : la richesse. Ce groupe est effayé également par la surpopulation et la destruction de l'environnement mais c'est un autre sujet qui a été largement traité.
La boucle est bouclée et lorsque les États démocratiques auront disparu, ce qui ne saurait tarder, la finance poursuire ses affaires avec des États plus stables, moins susceptibles de créer des surprises, capables - entre autre - de moduler la taille de leur population en fonction des ressources disponibles, de maitriser les risques de cette population grace à une surveillance généralisée et acceptée. N’a-t-elle pas achevé le transfert du savoir-faire démocratique vers les pays communistes totalitaires ?