La Banque, bonne ou mauvaise mère ?
En 40, notre pays se cherchait un protecteur pour temps difficiles. Il le trouva en la personne d’un maréchal, héros de 14-18, qui reçut les pleins pouvoirs de la gauche pour l’essentiel, par un vote de la chambre issue du Front Populaire (députés + sénateurs : 569 voix pour - en majorité gauche non communiste et centre gauche - sur 669). En 2017, de nouveaux périls nous menacent au plan économique et financier. Une grande partie de la France de gauche va sans doute élire au 2ème tour La Banque pour nous protéger. Le CAC40 est monté en flèche dès le 1er tour.
Bientôt un siècle depuis 40, et toujours la même question : face au danger, quel sera notre bouclier, notre ultime protecteur ?
Le danger est aujourd’hui la perspective de la faillite, suite à une hypothétique remontée des taux de refinancement de la dette. Qui pour nous l’éviter ? La Banque naturellement qui, comme une mauvaise mère en 2008, eut le pouvoir de nous faire sombrer, mais aussi le pouvoir de nous remettre à flots à la condition que l’on soit gentil avec elle, et soumis. Bonne mère, pardonne-nous nos péchés. Ce pouvoir extraordinaire, on vient de le voir renforcé. Cela s’est produit sous la gouvernance de « l’ennemi de la finance ». La Banque peut désormais ratisser l’épargne de ses enfants quand bon lui semble, et sans leur demander leur avis.
Ainsi, celui que les Français de gauche et d’ailleurs vont probablement élire, celui qui aura pour mission de les protéger face aux dangers qui montent, ce néo-maréchal en mocassins à clochettes, l’uniforme du CAC40, est justement un délégué de La Banque, le meilleur qui soit. Brillantissime, il connaît La Banque comme sa propre mère, comme s’il l’avait épousée.
Le « maréchal » sera investi, mais pas de « général » à l’horizon, avec un « PC » en appui. Quelque chose y ressemble, entre Marine et Insoumission, mais les Français préfèreront se mettre sous la protection de La Banque. Et puis l’on sent bien que le compte n’y est pas. Car « l’ennemi », l’ordre économique mondial écrasant, impitoyable qui gouverne notre vie est partout, jusque dans nos têtes, hors d’atteinte et insaisissable.
Les Français vont ainsi rejeter le repli sur soi, cette phase de concentration qui précède le grand-large, et qui n’est pas sans danger. Passionnés d’égalité et de liberté, ils en ont mesuré le prix en songeant au destin de leurs aïeux, au cortège des souffrances passées. La liberté d’être soi-même, la vraie, se payait fort cher jadis. On ne leur jettera pas la pierre quand on ignore soi-même, au terme d’une vie douillette, de quel bois on est fait.
La flamme s’est-elle éteinte ? Mais de quelle flamme parle-t-on. Pas d’uniforme étranger à Paris, pas de von Choltitz à l’horizon. Juste un sentiment diffus de dépossession. « Il n’y a plus de démocratie » dit l’un, constatant que le vrai pouvoir, dont celui décider de la guerre ou de la paix, est parti à Washington et Wall Street via Bruxelles. « On n’est plus chez nous » dit l’autre, constatant que des îlots de cultures allogènes se multiplient dans le pays. Ceux-là, un tiers des Français de toutes origines, se sentent exclus du monde « en marche ». Leur usine s’est volatilisée, ils n’ont pas de startup à proposer.
Ils seront ubérisés. Des capitaux venus de nulle part, en masse suffisante pour tolérer de perdre des milliards durant quelques années, le temps de nettoyer la concurrence (les métiers installés, traditionnels, réglementés), leur proposeront un « job », juste de quoi bouffer. C’est ça ou rien diront les nouvelles lois, celles du « maréchal ». Derrière la bonne mère, se tapit la mauvaise. Dans ces conditions, la flamme aux couleurs des luttes ouvrières fin XIXème devrait se ranimer à terme. Espérons que notre mère La Banque aura la lucidité de ne pas recourir à la guerre pour l’éteindre, car elle risquerait cette fois de disparaître elle-même dans le brasier.
En attendant, les très riches continueront de s’enrichir, de pomper toute la valeur ajoutée du travail. Les classes moyennes et précaires continueront de perdre pied. La mécanique infernale est « en marche » et rien ne semble devoir l’arrêter. Il suffira aux très riches de puiser dans le réservoir inépuisable de main d’œuvre quasi gratuite, leur pétrole à eux, pour assurer leurs bénéfices et concentrer leurs capitaux, en écrasant les classes moyennes et précaires.
Les grands médias, tenus par La Banque, par les patrons des industries de l’armement, du luxe et des télécommunications, ainsi que les médias publics tenus par les hommes du « maréchal » proches de La Banque, injecteront aux Français leur dose quotidienne : il n’y a pas d’alternative, hors le fascisme, la dictature, le racisme, le chaos.
Parmi ceux qui à gauche n’ont pas voté « maréchal », certains croient tenir une solution : il y aurait, numérisation oblige (*), de moins en moins de travail à offrir ( ?), alors payons les gens à attendre qu’il y en ait. Avec quel argent ? D’autres refusent de se soumettre et menacent de bousculer l’ordre juridico-économique en place, de brouiller le fonctionnement de la machine infernale à pomper la valeur ajoutée vers le haut. Une pompe d’une efficacité redoutable, déversant sur quelques dizaines de familles plus de richesses que n’en possède la moitié de l’humanité. Cela s’appelle une révolution, du moins ça y ressemble.
Tsipras en Grèce a vaguement essayé, pour finalement échouer. Un délégué de La Banque un rien éméché lui a infligé en souriant une petite claque sur la joue, comme à un gamin. Ce geste traduit un rapport de force, la force du capital face au travail, la puissance de La Banque portée par ses délégués. Notre « maréchal » en est un, pur sucre. Ça rassure certains, surtout à gauche bizarrement, mais pas tous.
Nul ne sait ce que l’histoire nous réserve. Quand près de 40% des Français auront voté en exprimant le souhait d’un changement radical, on peut s’attendre à tout. D’autant qu’ils n’ont rien à attendre du « maréchal », ce maître des inclus, le successeur du prétendu « ennemi des riches et de la finance ». Les exclus se révolteront-ils contre La Banque, cette mère tout à la fois protectrice et impitoyable ?
*Un bureau d’études de la métallurgie comportait 3000 ingénieurs et techniciens dans les années 70. Avec l’arrivée de la modélisation mathématique, de la numérisation généralisée, ils étaient plus de 10 000 au début des années 2010. Le cocktail numérisation-modélisation + concurrence effrénée sur les prix a entraîné une évolution exponentielle des travaux d’optimisation.