vendredi 10 septembre 2010 - par Paul Villach

« La carte et le territoire », le rappel salutaire d’une règle d’information trop ignorée

On ne remerciera jamais assez un auteur à succès et chéri des médias (1) d’avoir intitulé son dernier livre « La carte et le territoire  ». On aimerait qu’à la faveur de la notoriété planétaire de l’auteur, ce couple de mots connût le même engouement.

 N’ayant pas lu le livre dont les médias ont assuré la publicité avant même qu’il fût disponible, on ignore quel usage précis l’auteur fait de ce titre. Mais peu importe ! On souhaite seulement que la formule « la carte et le territoire  » devienne familière aux oreilles du plus grand nombre car elle illustre une des règles cardinales de « la relation d’information » qui contredit la mythologie médiatique inculquée quotidiennement.
 
Paul Watzlawick, un des représentants de l’École de Palo Alto, est un de ceux qui ont contribué à répandre cette image lumineuse - « la carte et le terrain  » - pour aider à comprendre la perception de la réalité qui est seule accessible à l’homme du fait qu’elle transite obligatoirement par les canaux de médias déformants.
 
1- Les médias de masse
 
Longtemps le mot « médias » a été affecté aux seuls moyens collectifs de diffusion et de réception de l’information qui visent un grand nombre de récepteurs. Ainsi presse, radio, télévision et Internet sont-ils appelés des « médias de masse ». Et comme tous médias, ils exercent des contraintes qui laissent des empreintes profondes sur l’information traitée.
 
- Les ressources économiques considérables qu’ils nécessitent, faut-il le rappeler, font, par exemple, que ces médias de masse ne peuvent appartenir qu’à des individus ou des groupes richissimes ou des collectivités qui obéissent comme tout le monde au même « principe fondamental de la relation d’information » : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. On imagine tout de suite le filtrage sévère qui résulte de cette autocensure dictée d’abord par la survie.
 
- Ces ressources peuvent provenir encore d’une source patrimoniale auxiliaire qu’est la publicité. Et les annonceurs obéissent pareillement au même principe de la relation d’information ; ils ne sauraient pas davantage accepter que le journal qui diffuse leur publicité, pût critiquer leur produit dont ils vantent les vertus. 
En somme, du seul fait de l’autocensure ou de la censure de leurs propriétaires et de leurs annonceurs publicitaires, ces médias collectifs constituent des filtres déformants qui modifient à leur guise la perception de la réalité.
 
2- Les médias personnels
 
Mais on oublie souvent qu’ avant ces médias de masse, il existe d’abord des « médias personnels ». Ce sont ceux qui s’interposent par définition entre l’individu et la réalité. On en compte plusieurs qui sont disposés en série :
 
* les premiers sont évidemment les cinq sens avec leurs infirmités naturelles puisqu’ils n’ont qu’ un champ de perception limité : l’œil humain ne voit pas le rayonnement infra-rouge, par exemple ; de même l’oreille humaine ne perçoit pas les ultras-sons. Les individus peuvent, en outre, connaître des malformations natives : certains confondent des couleurs, par exemple.
 
* Aux cinq sens s’ajoutent les deux types de langage : le langage analogique avec l’apparence physique, les gestes, les postures et les images qui les représentent, et le langage digital ou arbitraire des mots, celui qui permet l’écriture et la lecture de cet article et qui implique l’apprentissage d’un code. À ces langages se joint celui des silences, puisque, « qui ne dit mot consent », dit le proverbe, par exemple.
 
* Enfin le cadre de référence de chacun est un autre « médium » par lequel est interprétée l’information disponible à la lumière de l’expérience, de la culture, des goûts et des aversions acquis par chacun au cours de son histoire personnelle.
 
Un accès non à « un fait » mais seulement à « la représentation d’un fait »
 
Ainsi, quand une information parvient par un écran de télévision, un haut-parleur de radio ou une page de journal, a-t-elle franchi un nombre considérable de filtres qui peuvent avoir sensiblement modifié la réalité qu’elle livre : aux médias de masse s’ajoutent en série les médias personnels de leurs utilisateurs, à la diffusion comme à la réception. C’est en ce sens que l’on peut dire que l’on n’accède jamais à « la réalité », mais uniquement à « une représentation de la réalité ».
 
Paul Watzlawick a coutume d’illustrer cette analyse abstraite qui peut être rebutante, par une image concrète, celle de « la carte » et du « terrain ». Si « le terrain » - ou « le territoire » selon le mot de l’auteur à succès - symbolise « la réalité », « la carte » correspond à « la représentation de la réalité » qui parvient à l’individu après avoir transité par les multiples filtres médiatiques « interposés » entre lui et la réalité.
 
Paul Watzlawick n’est pas le premier à avoir attiré l’attention sur cette dangereuse illusion qui fait croire que l’on accède « directement » à la réalité parce que les médias finissent par se faire oublier. Combien de fois n’entend-on pas, en effet, les médias vanter leurs émissions « en direct et en public », par exemple, ou « en live », selon un argument d’autorité emprunté au jargon de la première puissance du monde ? On sait que Magritte avait, dès les années 20, peint une pipe et une pomme avec inscrit en légende sur chacune des toiles l’avertissement suivant : « Ceci n’est pas une pipe  », « Ceci n’est pas une pomme  ». Non, ce n’étaient que « les représentations d’une pipe et d’une pomme » qu’on ne pouvait ni fumer ni croquer.
 
Des médias obstinés dans l’erreur
 
Or que s’obstinent à faire croire les médias à longueur de temps ? Ils prétendent distinguer le « fait » et même le «  fait brut  » du « commentaire », et donc énoncer directement des « faits ». Comment le Petit Robert (1998) définit-il lui-même le mot « information » ? « Fait ou jugement qu’on porte à la connaissance d’une personne, d’un public, à l’aide de mots, de sons ou d’images  ». L’image de « la carte et du territoire  » enseigne au contraire qu’ « une information  » ne peut être qu’ « une carte  », c’est-à-dire « la représentation d’un fait, plus ou moins fidèle à la réalité, qu’on cache, livre volontairement ou extorque  ». Et quand on est ainsi conscient de l’effet déformant des filtres médiatiques par lesquels transite l’information jusqu’à soi, on est amené à chercher des moyens correcteurs pour tempérer la déformation qu’elle peut avoir subie.
 
On a beau faire, on ne peut jamais rapporter avec soi « le terrain ou le territoire » où l’on s’est rendu ou qu’on observe : on n’en établit tout au plus qu’ « une carte plus ou moins fidèle » qui va du croquis à la photo satellitaire. Ainsi, le tintamarre que les médias ont fait autour de la sortie du livre de l’auteur à succès, peut-il faire croire au génie de l’œuvre qui justifierait cet agenouillement universel. Heureusement, le titre du livre est là pour le rappeler : il ne faut pas confondre « la carte et le territoire  ». Par ce tapage publicitaire, les médias ne livrent tout au plus qu’ « une carte », c’est-à-dire « une représentation de ce livre et de son auteur » et non « le territoire » qui, lui, peut être plus ou moins proche ou au contraire fort éloigné de la représentation qui en est donnée. Paul Villach
 
(1) Il a été invité à venir faire la promotion de son livre « en direct » au journal de 20 heures de la chaîne publique France 2, mercredi 8 septembre 2010. Il a « la carte », auraient dit Jean-Pierre Marielle et Philippe Noiret. Mais il s’agit ici d’une "carte" différente de celle dont parle le titre du livre : elle désigne la faveur irrationnelle préférentielle rencontrée par certains artistes heureux auprès d’un microcosme de gens influents qui, tenant de grands médias, assurent à la moindre production de leurs protégés un retentissement maximal  : « (Ils assurent) aux porteurs (de la carte), disait plus crûment Philippe Noiret,  que quoi qu’ils fassent, pour leur plus petit pet, il y (aura) de l’écho ».


18 réactions


  • Jude 10 septembre 2010 11:06

    Une enveloppe est ouverte pour acheter une boussole à Paul Villach afin qu’il retrouve son chemin puisqu’il a déjà la carte et le territoire. (je pensais au départ à un GPS, mais je pense que le montant total des dons sera insuffisant).

    A vot bon coeur msieurs dames


  • Francis, agnotologue JL 10 septembre 2010 11:07

    Paul Villach serait-il jaloux de Paul Watzlawick  ?


    • Jude 10 septembre 2010 11:15

      Il semblerait que Béa ait un faible pour le deuxième... D’où ce léger agacement et cette critique d’un livre sans même l’avoir lu !! smiley


    • Paul Villach Paul Villach 10 septembre 2010 14:18

      @ l’intégriste triste Piffard

      En vers de mirliton comme vous savez les trousser - à défaut de savoir trousser autre chose - , votre fiel aurait eu une autre allure !

      De l’art d’imputer à autrui des reproches imaginaires ! Pratique d’intégriste bien connu !

      Je saisis l’occasion d’un titre qui me paraît très judicieux et que la notoriété de l’auteur qui en use, a toutes chances de rendre familier, pour rappeler une des règles cardinales de la relation d’information trop souvent ignorée. Cela vous dérange, intégriste Piffard ? Je m’en félicite ! C’est la preuve que j’ai visé juste ! Paul Villach


  • Paul Villach Paul Villach 10 septembre 2010 15:10

    @ Piffard l’intégriste

    Mais ce n’est pas le sujet de mon article  ! Voilà bien votre impudence d’intégriste que de vouloir dicter aux autres ce qu’ils doivent penser, croire et faire !

    Si moi, ce qui m’intéresse, c’est d’insister sur cette règle de la relation d’information - ne pas confondre la carte et le terrain ! - puisque le titre de ce livre m’en donne l’occasion ! En quoi ça vous dérange ? Faut-il vous demander une permission, M. l’inquisiteur Piffard ?

    Quant à votre passion pour ce M. Houllebecq que, c’est vrai, je ne partage pas du tout, ne faut-il pas y voir une compensation fort courante qu’appelle l’intégrisme chez ses partisans ? 

    Molière l’a superbement montré dans « Tartuffe » ! Ce dévot ne voulait-il pas s’encanailler avec la femme de son ami ? Bon sujet de méditation pour vous, M. l’intégriste Piffard ! Encanaillez—vous donc avec M. Houellebecq ! Vous retrouverez peut-être un peu d’humanité ! Mais dans le monde à la Houellebecq j’en doute fort quand même ! Paul Villach


    • Paul Villach Paul Villach 10 septembre 2010 17:02

      @ L’intégriste Piffard

      Voilà donc la raison de votre venue sur mon article : il s’agissait de présenter les liens de vos salades sur votre auteur bienaimé !
      Après tout, vous avez raison : mieux vaut venir là où il y a du monde qui passe plutôt que d’attendre le client au fond de sa boutique solitaire ! Sacré Piffard ! Intégriste, mais avec le sens des affaires ! Paul Villach


    • Francis, agnotologue JL 10 septembre 2010 17:59

      Pour ma part, les seuls « pékins dont Villach qui se battent ici en duel » que je vois sont ... Florentin Piffard !

       smiley


    • Paul Villach Paul Villach 10 septembre 2010 18:28

      @ JL

      Vous remarquerez que l’intégriste Piffard en est à parler de « duel » quand on n’est pas d’accord avec lui ! Paul Villach


    • Francis, agnotologue JL 10 septembre 2010 18:29

      Décidément, à chaque fois que je mets les pieds sur un article de Villach, je glisse sur un étron ! On ne m’y reprendra pas ! Pourtant, cette affaire de carte et territoire méritait mieux.

      J’ai, comme vous, banane Piffard, vu que cet article était néantissime. Je vous laisse à un adversaire « à votre mesure » !

       smiley


    • Francis, agnotologue JL 10 septembre 2010 18:32

      Tiens ! Nos messages se sont croisés ! Je vous dois un rectificatif, PV : cet article est néantissime en ce sens qu’il n’apporte rien de plus que ce que vous avez déjà écrit cent fois, pour autant que j’ai pu en lire.


    • Paul Villach Paul Villach 10 septembre 2010 18:56

      @ JL

      Ravi que vous remarquiez que cette règle de « la distinction entre la carte et le terrain » est une de celles que je ne manque pas une occasion de rappeler.

      Pourquoi ? Parce qu’elle est cardinale et que la mythologie médiatique continue de l’ignorer.

      Tant mieux si vous, vous avez intégré cette règle ! Qui vous a appelé pour venir lire mon article. Le titre aurait dû vous suffire pour aller voir ailleurs !

      Pardonnez-moi de vous renvoyer votre compliment ! Qu’avez-vous besoin de venir perdre votre temps à déposer des commentaires « néantissimes » ?
      Je ne viens pas sur vos articles, si vous en écrivez ! Vous avez bien le droit d’écrire ce que vous voulez. Accordez-moi la même liberté. Mais c’est sans doute trop demander à votre intolérance ! Paul Villach
       


  • Castor 10 septembre 2010 16:09

    Pardon, ne vous dérangez, je suis juste venu lire les commentaires.


    • L'enfoiré L’enfoiré 11 septembre 2010 11:58

      Demian,

       Villach ne pense qu’à aller vers le sud, se faire dorer la pilule.
       Quand j’ai vu le piètre rapprochement avec Magritte, je me suis dit, qu’il n’en ratait pas une.
       Bruxellois, nous le sommes tous des fans de Magritte et de son surréalisme. Ce dernier est dans nos gènes, je l’ai dit dans mon dernier article même s’il ne fonctionne pas toujours.
       Depuis l’ouverture du Musée de Magritte à Bruxelles, dont j’avais parlé l’année passée, il ne désemplit pas. Des Chinois, des Japonnais défilent.
       Je me réserve toujours un moment propice d’y aller surtout qu’il y a toujours de nouveaux tableaux.
       smiley


  • Yohan Yohan 10 septembre 2010 22:04

    Rhaaah lovely  !!!!..... Quel savoureux moment que celui qui voit le grand Paul Villach, phare de la pensée citoyenne, Doge de Capri et de l’interconicitude et accessoirement, détaché de presse d’Agoravox, couperosé de honte, tenter de faire bonne figure et perdre son sang froid, après une magistrale claque du sieur Piffard, suivie de la non moins retentissante du sieur DW.
    Pas de doute, ce média gouleyant qui avait de la cuisse (de Bea) a également du retour..... smiley  smiley 
    + 50


  • Philou017 Philou017 10 septembre 2010 22:10

    Ce me rappelle les citations d’ Alfred Korzybsk , l’auteur de la la sémantique générale, que Alfred E. Van Vogt citait en tête des ses chapitres du « Monde des Non-à» et « Les Joueurs du Non-à».

    Deux formidables bouquins de SF qui n’ont pas pris une ride.

    Je cite Korzybsk, d’apres Wikipédia :

    "Une discipline pratique pour que chacun puisse prendre un recul critique sur les réactions (non verbales et verbales) à un « événement » au sens large (comprendre ses propres réactions, ainsi que les réactions des autres et leur interaction éventuelle). Cette approche, nouvelle pour l’époque et surtout très structurée, remet en cause les postulats de la logique d’Aristote (IVe siècle av. J.-C.) élaborée sur la base de la physique euclidienne[2], et les schémas de pensée aristotéliciens ancrés dans le langage occidental habituel (approche figée, typiquement noir-blanc, sans tenir compte de l’infinité des nuances qui se trouvent dans « le monde où l’on vit »)."

    Je trouve cela bien vu. Tellement de gens ont tendance à confondre la carte et le territoire, même quand c’est pas eux qui tiennent la carte, mais le présentateur TV.


  • Jesse Darvas Jesse Darvas 11 septembre 2010 00:25

    Houellebecq a très probablement découvert Korzybski via Van Vogt, en bon amateur de SF. A vrai dire ma surprise a été de constater que très peu ont fait le lien entre le titre de son dernier ouvrage et la théorie « non-aristotélicienne », lien qui saute aux yeux (ou aux oreilles) pour quiconque a lu les aventures de Gosseyn.


Réagir