jeudi 21 octobre 2010 - par Paul Villach

La création de l’homme selon Michel-Ange et ses pastiches publicitaires

À la différence de certaines coqueluches du marché spéculatif de l’art contemporain, Michel-Ange n’a pas, sauf erreur, de musée à son nom. Il n’en a pas besoin. Ces œuvres comme celles de Gian Lorenzo Bernini, où qu’elles soient, suffisent par leur présence à transfigurer les lieux qu’elles magnifient ou qui les abritent : la place du Capitole à Rome dessinée selon ses projets, « Moïse » dans l’église de San Pietro in vincoli, « David » aux multiples copies à Florence, et puis, bien-sûr, la coupole de Saint-Pierre et la chapelle Sixtine au Vatican.

 On ne peut que se réjouir que le splendide Musée de l’Albertina, établi dans un quartier du Palais de la Hofburg à Wien, donnant sur l’arrière de l’Opéra, propose une exposition des dessins de Michel-Ange du 8 octobre 2010 au 9 janvier 2010. Certains, est-il annoncé, sont des travaux préparatoires de ses chefs-d’œuvre comme ses peintures qui couvrent la chapelle Sixtine
 
Simplicité du symbole et richesse de sens
 
L’une d’elles est devenue par l’extrême simplicité du symbole qu’elle représente, une des images exemplaires de la culture européenne. C’est l’instant de la création de l’Homme par Dieu selon la Bible. Michel-Ange n’a retenu qu’une métonymie d’une grande ambiguïté volontaire, deux mains qui à la fois se rencontrent et se détachent.
 
Celle de Dieu, l’index pointé, suffit à elle seule à canaliser la puissance créatrice éternelle pour donner forme temporelle à l’Homme. La main de celui-ci, en revanche, aux doigts fléchis, paraît être celle d’une prise soudainement lâchée qui provoque sinon une chute , du moins une dérive redoutée. Et la posture de l’Homme étendu au sol au bord d’un abîme, cou et visage désespérément tendus vers son créateur, est celle d’une séparation consommée à regret. Dieu, planant dans les cieux entouré d’une cour d’anges, n’entend pas le regard d’imploration que lui adresse sa nouvelle créature angoissée : il la détache de lui et la propulse résolument contre son gré dans l’espace et le temps intersidéraux, comme un vaisseau, toutes amarres levées, est emporté vers le désert des mers.
 
Pour Michel-Ange, croit-on lire, l’Homme n’a pas demandé à naître et n’augurant de l’avenir rien de bon, part à reculons vers la vie que vient de lui offrir son Créateur. Cette mise au monde originelle est à l’image de toutes les autres où l’enfant répugne à s’éloigner de sa mère et de son père. C’est pourtant cette séparation qui fera de lui un homme ou une femme. 
 
Une intericonicité recherchée
 
Faut-il s’indigner qu’une image aussi puissante de significations soit pastichée sans vergogne par la publicité ? Sans doute, devrait-elle être respectée et ne pas être associée à la promotion de la frivolité et de la trivialité. La réflexion qu’elle offre sur la condition humaine, ne lui vaut-elle pas sinon sacralisation du moins intangibilité ? Qu’elle soit pourtant rappelée à la mémoire par intericonicité, n’est-ce pas une manière de la garder vivante et même la preuve qu’elle l’est toujours, puisqu’il est attendu de son association avec l’objet à promouvoir qu’il jouisse de son réseau d’affinités incitatives. 
 
- La promotion d’une agence de location de deux-roues
 
Seul l’humour, toutefois, qui parle gravement de ce qui est léger ou inversement, permet de telles alliances incongrues. Une agence romaine de location de deux-roues n’a pas hésité ainsi à coucher le Premier Homme sur la selle d’un scooter. L’intericonicité capte évidemment aussitôt l’attention. On reconnaît tout de suite le Premier Homme de Michel Ange (voir photo ci-dessous). Et le nouveau contexte de farce où il est égaré, la retient avec le sourire. Les deux mains de la créature et du créateur sont cette fois tendues sans ambiguïté : c’est la métonymie d’un au-revoir et de rien d’autre. En ce sens, l’image de Michel-Ange n’est pas trahie, puisqu’elle exprime, a-t-on dit plus haut, la séparation de l’Homme quittant la main de Dieu à regret. Mais ici, le loueur de deux-roues la veut joyeuse grâce à ses scooters ! Étendu comme un pacha et tournant résolument le dos à la route, le conducteur est on ne peut plus décontracté : c’est la métonymie de la confiance absolue. Le logo-slogan traduit le même bonheur de partir : « Bici e Baci  ». Le jeu de mots qui assimile deux sens éloignés dans une quasi-équation de sons, est impossible malheureusement comme toujours à traduire en Français : « Un deux roues et bons baisers ». Du coup, la location d’un scooter est présentée par cette métaphore comme la création d’un nouvel homme.
 
- La promotion d’une bière ou une parodie de la publicité
 
Dans un bar de Padova en Italie encore, c’est à une autre création que l’image de Michel-Ange est conviée à participer (voir photo ci-contre et en dessous). La même intericonicité et le même humour captent et retiennent l’attention. Mais cette fois la farce est encore plus corsée. Si les deux mains se tendent toujours l’une vers l’autre, celle du Créateur tient une canette de bière Moretti. La métonymie est toujours celle d’un départ de l’Homme, mais Dieu qui a perçu son désarroi, lui tend pour la route et l’odyssée qui l’attend, une bonne bière qui doit le consoler. Ainsi la bière Moretti est-elle associée ni plus ni moins à la création de l’Homme et à l’apaisement de son angoisse : c’est dire son excellence !
 
On ne sache pas que ce soit une publicité officielle de cette marque de bière italienne. C’est plutôt une parodie ambiguë qu’un artiste a faite de la publicité : l’ironie qui consiste à dire le contraire de ce qu’on pense en laissant des indices, est ici évidente. L’indice est la scène de farce qui consiste à mettre de manière incongrue une canette de bière dans la main de Dieu à un moment aussi grave et solennel que la création de l’Homme. Cette affiche peut donc être lue aussi comme une critique de la publicité capable de tout profaner pour promouvoir n’importe quoi.
 
La pérennité à travers les siècles des images qu’il a créées, est sans doute la marque de l’artiste de génie comme l’est Michel-Ange. Elles imprègnent la mémoire collective pour, à l’occasion, l’inviter à se retourner vers les interrogations qu’elles illustrent. Leur utilisation à des fins commerciales n’est certes pas toujours du meilleur goût, mais la distanciation par l’humour autorise bien des libertés dans le pastiche. Plutôt que de crier au sacrilège, mieux vaut y voir leur heureuse survivance dans les esprits même les moins cultivés à l’appel de l’intericonicité. Les publicitaires ne chercheraient pas à profiter de leur rayonnement si celui-ci avait cessé. Paul Villach 


5 réactions


  • Bibimoimême 21 octobre 2010 13:58

    A la zépoque, j’avais préféré celelui ci
    http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/un-deodorant-bourjois-pour-pieds-57295
    La réclame Bourgeois, réclamait au moins un minimum d’imagination pour l’intericochose tandis que dans celelui la…
    Par contre, j’aime bien l’idée de séparation, déchirure… Je parie qu’elle est de vous.


    • Paul Villach Paul Villach 21 octobre 2010 14:21

      @Bibimoimême

      Merci de rappeler cette autre intericonicité que j’avais étudiée et aussi appréciée.

      Je doute que l’oeuvre d’Arman que vante actuellement Beaubourg puisse dans 5 siècles inspirer les publicitaires de l’époque !

      Il va de soi que quand je ne cite pas quelqu’un, ce que j’avance m’appartient, mais nourri d’une culture qui emprunte inconsciemment à tout ce qu’on glane ici et là au cours d’une vie. C’est la grande différence avec la culture potache qui ne sait que citer et réciter. Paul Villach


  • kitamissa kitamissa 21 octobre 2010 14:25

    quand on a une si petite bistouquette il vaut mieux avoir un gros scooter ! smiley smiley


  • Halman Halman 22 octobre 2010 10:10

    Dans son Intelligence Suprême et Absolue, Dieu a forcement de l’humour et ne doit surement pas attacher à moindre importance à ces futilités. Il a d’autres chats à fouetter.

    Il ne doit donc pas prendre au sérieux ce genre de détails commerciaux dont tout le monde se fout royalement.

    Moi aussi d’ailleurs. Qu’est ce qu’on s’en fout des affiches publicitaires commerciales. Je préfère regarder le ciel, même quand pour les boeufs il est gris et moche comme aujourd’hui.


  • Waldgänger 22 octobre 2010 10:22

    Arrêtez donc de poster, il faut un nombre de commentaires final à la mesure de cet article. Bon, je sais que je suis obligé de faire monter le score pour faire passer le message, mais on n’a rien sans rien, on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. smiley


Réagir