lundi 22 janvier 2018 - par Christian Laurut

La démocratie directe en débat : 1. La peur des consultations populaires

Question : la démocratie directe étouffe le bien fondé des opinions basées sur l’intérêt général et portées par des groupes avisés. Pour le nucléaire, par exemple, on sait très bien où est l'intérêt général (ou on en prendra conscience complètement lorsqu'un accident nucléaire nous obligera à abandonner la moitié du territoire européen). Et on sait très bien quelle sera la réponse des consommateurs individualistes dont le confort n'est pas négociable !... Le problème, c’est que les générations futures ne participent pas au scrutin de la Démocratie Directe, ni même les autres espèces vivantes sur la planète.

Réponse : ce raisonnement concernant le nucléaire ressemble à celui souvent entendu à propos de la peine de mort. A savoir que vous êtes persuadés à l’avance de l’avis de 43 millions de personnes consultées directement. Cette posture, très courante chez les militants alternatifs, témoigne de plusieurs convictions que, pour notre part, nous trouvons plutôt inquiétantes.

Tout d’abord vous dites : « on » sait très bien où est l’intérêt général. Mais qui est ce « on » ? Ce « on », c’est probablement vous, au sein d’un groupe d’opinion, certes respectable, mais qui considère détenir la vérité absolue et qui s’autoproclame détenteur d’un « intérêt général », cet intérêt général étant, bien sûr, de nature supérieure au droit ordinaire et devant être imposé de force sans débat populaire. Ce sujet est déjà abondamment débattu dans le chapitre 16 « Populisme et intérêt général ».

Mais nous pourrions ajouter afin de continuer à alimenter cette polémique, que, pour ce qui concerne le domaine spécifique du nucléaire, de très éminents spécialistes de l’énergie, polytechniciens de surcroît, tels Mrs. Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean déjà cités, considèrent, chiffres à l’appui que la conduite de l’industrie nucléaire est moins dangereuse que l’extraction du charbon. Nous sommes d’autant plus à l’aise pour nous exprimer sur ce sujet que nous sommes des opposants résolus à l’industrie nucléaire depuis 1970 et les premières actions de Pierre Fournier contre le projet de centrale de Bugey. Mais, à la différence de vous, nous n’imaginons pas un seul instant de militer pour cette idée autrement que dans le cadre de la démocratie directe. Autrement dit, nous considérons que la totalité des citoyens doit pouvoir se prononcer, après mûrs réflexions et débats, sur la pertinence de cette industrie et que la décision majoritaire qui en sortira devra s’appliquer à tous. Si cette décision devait être la poursuite du nucléaire, nous continuerions néanmoins à travailler pour faire évoluer l’opinion et tenter de provoquer un nouveau vote citoyen abrogatif, comme le système de démocratie directe nous permet de le faire, et comme le système de démocratie représentative, lui, ne nous le permettrait pas.

Deuxièmement, pour parler des individus appelés à se prononcer sur un choix de société, vous ne dites pas « les citoyens », mais vous dites les « consommateurs individualistes », c’est à dire que, encore une fois, vous présupposez une certaine « coloration » de ces électeurs par rapport à vos propres convictions culturelles. Manifestement, lorsque vous traitez le citoyen ordinaire de « consommateur », vous le présupposez défenseur irréductible de la société de consommation que probablement vous, vous dénoncez. Et lorsque vous ajoutez au substantif de consommateur, l’adjectif « individualiste », vous grossissez encore le trait, en laissant clairement apparaître vos convictions anti-libérales.

En résumé, pour vous, le citoyen actuel n’est qu’un individu néolibéral, qui ne pense qu’à consommer, et qui ignore l’intérêt général. Intérêt général dont vous détenez la substance, en exclusivité avec quelques autres !…. Nous dénommons cette posture, tout simplement, « impérialisme des idées ». Le système de démocratie directe considère, lui, que tous les citoyens sont égaux, neutres à priori, libres de leurs idées, responsables de leurs convictions et que l’intérêt général est le produit arithmétique des vœux individuels, exprimés dans le cadre d’un dispositif d’initiative, de débat et de votation, libre, souverain et permanent, excluant toute forme de représentation. Nous insistons sur cette définition très précise de l’intérêt général afin de vous éviter la peine de nous faire le procès du référendum tel qu’il est conçu actuellement, et que nous considérons comme un leurre de démocratie directe.

Vous parlez ensuite des générations futures, et même des animaux. Vous auriez pu également ajouter, pourquoi pas, les insectes et les végétaux. Ce discours vous honore, mais nous craignons qu’il ne se limite à une clause de style d’apparence généreuse, à défaut d’introduire un raisonnement plus développé. Dans l’attente, nous ne voyons pas d’inconvénient à dire que l’intérêt des générations futures est une question qu’il conviendrait de prendre en compte dans les décisions collectives et que ce n’est pas fait, en tout cas actuellement, dans le cadre de la démocratie représentative.

Mais pour ce qui est de l’intérêt des autres espèces vivantes, c’est une question beaucoup plus complexe, touchant à l’écologie profonde (la « deep ecology » comme la dénomme les anglo-saxons) et qui pourrait nous emmener assez loin , en tout cas qui nécessiterait un débat spécifique que nous préférons remettre à plus tard, sans pour autant en refuser le principe.

La notion d’intérêt des générations futures comporte un certain nombre d’éléments subjectifs, mais d’autre sont tout à fait objectifs ou factuels, sans pour autant relever de la fumeuse notion d’intérêt général. En effet :

1°. Dire que toute quantité de ressource naturelle finie, telle des minerais ou de des hydrocarbures (par exemple) qui est prélevée par une génération donnée restera indisponible pour la génération suivante relève avant tout de l’arithmétique, avant que de relever de l’intérêt (général) des générations futures.

2°. Dire que toute quantité d’une ressource renouvelable, telle la forêt amazonienne (par exemple) qui est prélevée au delà de son taux de renouvellement par une génération donnée, obligera la génération suivante à se priver du produit annuel de pousse pendant un certain nombre d’années nécessaires à sa régénération, relève avant tout de la botanique avant que de relever de l’intérêt (général) des générations futures.

3°. Dire que la dégradation des sols en humus par suite de l’utilisation massive des engrais chimiques par une génération donnée obligera la génération suivante à se priver pendant un certain nombre d’années des surfaces correspondantes, relève avant tout de la microbiologie avant que de relever de l’intérêt (général) des générations futures.

Ces trois exemples montrent que la qualification d’intérêt général ne peut être utilisée qu’en parallèle d’une loi physique prouvée. Toute autre utilisation risque d’être sous-tendue par une volonté d’un groupe de pression d’imposer ses convictions en dehors du processus démocratique.

Sur la base de ces trois exemples, que nous pourrions décliner dans d’autres domaines, mais en gardant toujours un principe de rigueur mathématique,nous disons que la démocratie directe est largement plus apte à édicter des règles environnementales tenant compte de l’intérêt des générations futures, et ceci pour deux raisons principales :

  • La première raison résulte d’un raisonnement par opposition : la démocratie représentative ne s’étant pas préoccupé le moins du monde de l’intérêt des générations futures, la démocratie directe ne peut faire que mieux.
  • La deuxième raison résulte d’une analyse du fondement de la démocratie représentative. Ce fondement est l’exercice unique du pouvoir par les représentants de l’oligarchie économico-financière, celle là même qui a liquidé la monarchie au milieu du dix-huitième siècle. Cette oligarchie fonctionne en cercle fermé, et pour la seule satisfaction immédiate de ses besoins matériels, c’est pourquoi, naturellement, elle se fiche comme d’une guigne de la problématique des générations futures.

La démocratie directe, au contraire, est un pouvoir partagé par tous les citoyens à parts égales. Par des citoyens qui sont aussi des parents et qui, on peut le supposer, pensent plus à la survie de leurs enfants qu’au rendement boursier de leurs valeurs mobilières.



12 réactions


  • foufouille foufouille 22 janvier 2018 13:23

    tous les animaux et insectes de tchernobyl sont morts.


  • 4 ou 15 SEDORRHOIDE 22 janvier 2018 15:44

    Mais non... pas adaptés ; ils ont une durée de vie inférieure à l’évolution des cancers et donc vivent « normalement » le temps de leur vie.
    S’ils avaient une vie ormale plus longue, ils tomberaient malade, bien sûr.


    • baldis30 23 janvier 2018 10:41

      @SEDORRHOIDE
      « S’ils avaient une vie ormale plus longue, ils tomberaient malade, bien sûr. »

       Si ... si .... comme disait Pierre DAC ... « Si ma tante en a.... ce serait mon oncle ..... »

      Une autre zone redevenue parfaitement protectrice : l’espace neutralisé entre les deux Corées !

      Surtout qu’on ne réunifie pas ( d’abord parce que ce serait encore nous qui payerions ... merci pour l’Allemagne on a déjà payé !)


  • xana 22 janvier 2018 16:29

    Merci Christian Laurut pour cet article.


    Vous remarquerez que les avis pour ou contre ne se bousculent pas dans les commentaires.J’ai remarqué que la démocratie directe est une sorte de tabou dans les discussions : Personne ne veut en parler, même pour en critiquer l’idée. Vous en parlez, on ne vous répond pas. On change de sujet.

    Mon interprétation est que, à part quelques originaux comme vous ou moi, personne n’a envie d’essayer la démocratie directe. Les gens ne croient pas en la capacité du peuple de se gouverner sans les professionnels de la corruption et de la trahison qu’ils élisent régulièrement. Ils ont peur de se retrouver gouvernés par une masse anonyme et incompétente. Sans doute aussi craignent-ils de devoir passer une partie de leurs précieux week-ends à voter pour des trucs qui les ennuient. Mais il leur est impossible de critiquer l’idée car ce serait admettre publiquement qu’ils sont antidémocrates au fond !

    Jean Xana



    • Captain Marlo Fifi Brind_acier 22 janvier 2018 22:10

      @xana
      Mais si, mais si, l’ UPR propose, après la sortie de l’ UE, de mettre dans la Constitution plusieurs éléments qui concourent à la démocratie directe :
      - Assurer la liberté de la presse et des débats contradictoires, pour que les citoyens, soient correctement informés. Actuellement, il y a collusion entre ceux qui n’aiment pas la démocratie directe, parce qu’ils pensent que les Français sont des buses, et qu’eux, détiennent la vérité.

      Et ceux qui ont des intérêts financiers à protéger, et qui ne veulent aucun débat contradictoire sur toute une série de sujets tabous, comme les énergies, le nucléaire, la dette, le Frexit, l’euro, l’ OTAN ou l’immigration... Silence radio.


      - Puis organiser des referendums au moins sur 3 sujets clivants : la dette, les énergies et l’immigration.

      - Et le referendum d’initiative populaire, comme en Suisse. Pour que les citoyens puissent peser sur les processus législatifs.

      PS : il faut d’abord sortir de l’ UE.
      Dans le cadre européen, la démocratie directe, ni même représentative, ne servent à rien. Les décisions ne sont pas prises en France, elles sont prises à la BCE à Francfort, à la Commission européenne à Bruxelles, et à Washington, pour le FMI et l’ OTAN.

      On ne vous a jamais demandé de voter pour ces gens là ? Forcément, ils ne sont pas élus ! Ils viennent la plupart du temps du monde de la finance, ils se cooptent entre eux. Et ceux qui sont élus, du Maire aux Députés européens, ne décident de rien d’important.

      Le Parlement européen a un rôle consultatif, il ne décide de rien.


    • Legestr glaz Ar zen 22 janvier 2018 22:54

      @xana

      La démocratie « directe » n’existe dans aucun pays au monde. C’est, pour le moment, une utopie. 

      La démocratie la plus proche étant la démocratie « semi directe » de la Suisse. Ce pays peut élire des représentants qui, toutefois, restent sous le « contrôle » du peuple à travers le référendum facultatif et l’initiative populaire. (Ne pas confondre référendum facultatif et initiative populaire qui sont deux choses distinctes). 

    • xana 23 janvier 2018 19:24

      @Ar zen
      Quand les Français ont fait la révolution de 1789, cela n’existait encore dans aucun pays au monde, comme vous dites. Cela n’a pas empêché qu’elle arrive, la République ! Et 230 ans plus tard on est toujours en république (un peu dictatoriale, il est vrai), et vous vous y accrochez, non ?

      Un système de gouvernement qui n’existe encore dans aucun pays au monde n’est pas irréaliste pour autant comme vous le suggérez avec votre « utopie ».

      Cela dit il est clair qu’il ne faut pas attendre que la démocratie directe nous tombe toute rôtie dans le bec. Les politiciens du moins savent parfaitement qu’il ne leur resterait plus que Pôle Emploi comme avenir...


    • xana 23 janvier 2018 19:41

      @Fifi Brind_acier

      Fifi, je veux bien décerner à l’UPR le brevet du parti le moins anti-démocratie-directe. Je suis bien d’accord avec vous sur le fait que la sortie de l’UE est primordiale si on veut faire quoi que ce soit chez nous en France.

      Par contre je ne vois pas un élu, fût-il de l’UPR, renoncer à sa sinécure à l’Assemblée Nationale le jour où les citoyens voteront eux-mêmes la totalité des décisions concernant le gouvernement du pays. Ce jour-là les partis politiques pourront se reconvertir en clubs de pêche à la ligne, et ils le savent. Ce jour-là les politiciens iront mendier un job à Pôle-Emploi, et ils le savent. Ce jour-là, les lobbyistes perdront leur job, et leurs commanditaires chercheront comment semer le chaos en France comme lis l’ont fait en Irak, en Lybie et ailleurs, pour se débarrasser d’un pouvoir qu’ils ne sauront pas corrompre.

      La Démocratie directe ne sera jamais offerte aux citoyens par des politiciens, si gentils soient-ils, car cela va absolument à l’encontre de leurs intérêts.
      Elle viendra de la base, sans doute à petite échelle d’abord.

      Jean Xana


    • Christian Laurut Christian Laurut 27 janvier 2018 09:04

      @xana
      Tout à fait d’accord. Je ne saurais pas mieux dire


  • Legestr glaz Ar zen 23 janvier 2018 06:41

    Le 27 novembre 2016, les citoyens suisses ont rejeté l’initiative populaire « Sortir du nucléaire » (54,2% Non). 




    • baldis30 23 janvier 2018 10:44

      @Ar zen
      bonjour,

      Pour la Suisse sortir ou non du nucléaire ils s’en f...... ils font construire leur outil de production nucléaire à l’étranger ....et importe ensuite cette production mais cela on oublie de le dire !

      Pour l’hypocrisie ....


    • Christian Laurut Christian Laurut 27 janvier 2018 09:08

      @Ar zen
      Ce n’est pas parce que une initiative est d’origine « populaire » (c’est à dire non issue de la classe politique professionnelle) qu’elle « doit obligatoirement » être adoptée. La majorité des citoyens décidera en dernier ressort. C’est cela la démocratie.


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