lundi 19 septembre 2011 - par Paul Villach

La Féria de Nîmes : un camion de boucher comme métonymie de la tauromachie !

Ce dernier week-end, comme chaque année en septembre, a eu lieu la Feria des Vendanges à Nîmes. Dans le cœur historique de la ville romaine, et au-delà, les trottoirs sont alors investis d’une multitude de bistrots ou de restaurants sous tente, qu’on baptise « bodegas » pour la circonstance dans la tradition espagnole : dans des musiques assourdissantes saturées de batteries frénétiques, qui s’entremèlent d’un comptoir à l’autre,  bière, rosé et sangria coulent à flots ; gardiane de taureau et paella sont les plats du jour invariables. Et comme il est d’usage aussi en Espagne, les corridas rythment la journée dans l’amphithéâtre romain, appelé communément « Les Arènes ».

On rôdait autour, vendredi soir, 16 septembre, tendant l’oreille aux clameurs et applaudissements de la foule qui s’élevaient, par instants. Une corrida allait s'achever, quand on est tombé en arrêt devant une scène qu’on n’attendait pas. On en a pris une photo. Elle illustre cet article.

La mise hors-contexte, premier procédé structurel de l’image

Aux lecteurs qu’on agace malgré soi, depuis plusieurs années, par l’usage de termes spécifiques qui seuls permettent d’analyser l’information condensée dans une image, on voudrait montrer qu’on ne peut pas s’en passer sous peine de faire de la paraphrase sans s’appuyer sur des indices probants.

1- Comme toute photo, celle-ci est une mise hos-contexte de la scène exhibée. Le champ est à ce point rétréci qu’on ne voit qu’un fourgon stationnant par l’arrière sous une arche d’un édifice qu’on devine romain. C’est ou un théâtre ou un amphithéâtre. Une légende doit préciser ce que l’image ne peut dire : il s’agit de l’amphithéâtre de Nîmes, a-t-on déjà dit.

2- La mise hors-contexte n’est pas seulement spatiale, mais aussi temporelle : la photo est incapable d’informer le lecteur sur le moment de sa prise. Là encore, une légende doit pallier cette infirmité : c’était, vendredi 16 septembre, vers 19h30, pendant le week-end de la Feria de Nîmes, au moment où s'achevait une des corridas qui s’y donnent traditionnellement, a-t-on encore dit plus haut.

Les métonymies de la corrida

Le fourgon, stationné en marche arrière sous l’arche, porte ensuite un logo, celui d’un boucher bien connu, « Bigard ». Cette présence insolite de ce camion de boucher est ce qu’on nomme une métonymie. À vrai dire, on ne reconnaît pas moins de trois métonymies, car cette scène présente à la fois des parties pour le tout et l’effet pour la cause

1- Deux arches et deux pilastres suffisent à désigner un amphithéâtre et d’autre part, le fourgon au logo reconnu renvoie à l’activité de la boucherie tout entière.

2- Quant à l’effet exhibé, ce n’est n’est ni plus ni moins que l’issue programmée de la corrida qui est ici affichée : un fourgon de boucher attend sa livraison de viande qui ne peut être que celle du taureau que les toreros sont encore en train de faire courir dans l’arène sous les ovations du public, et d’affaiblir en le lardant de banderilles avant de lui plonger l’épée entre les omoplates dans une ultime estocade.

En somme ce fourgon de boucher en attente apparaît à lui seul comme une métonymie de la corrida, qui, le cérémonial excepté, n’est qu’une variante de l’activité bouchère. Et de fait, par le vantail du portail entrouvert, on a pu voir une masse noire au sol traînée par un attelage d’ânes ou de mulets, emportée de l’arène vers le camion en attente. Qu’on regarde la photo qu’on a prise, ci-dessous : le regard de l’âne ou du mulet est à lui seul une autre métonymie  : n’y lit-on pas tout le plaisir qu’il y a, en cet instant, à être un âne ou un mulet et non pas un taureau ?

On sait d’avance qu’on va horrifier les passionnés de tauromachie. Mais ce fourgon sous une arche de l’amphithéâtre de Nîmes, à deux pas d’un long camion qui achemine les taureaux de l’élevage à l’arène, offre un raccourci du spectacle qui fait vibrer les aficionados. Si cérémonieuse que soit la corrida, elle ne peut être rapprochés des autres arts ou sports. Au théâtre, sans doute, il arrive que les personnages meurent sur scène, mais, Dieu merci, les acteurs qui les incarnent restent bien vivants. Dans l’art de la corrida, un des acteurs est obligatoirement condamné à mourir : c’est le taureau en général, quoiqu’il arrive que le torero y laisse la vie. Pour mesurer la cruauté programmée de ce spectacle, il suffit d’imaginer qu’à côté du fourgon de boucherie dans l’attente de chair fraîche, stationne sous une autre arche un corbillard. Paul Villach



10 réactions


  • 65beve 65beve 19 septembre 2011 11:25

    bonjour,
    La corrida vue de l’extérieur.
    Saisissant raccourci de la vie.
    Du taureau.

    cdlt


    • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 19 septembre 2011 11:42

      « Saisissant raccourci de la vie du taureau »

      À comparer à la vie du boeuf d’embouche qui, lui, ne vit pas 5 années de pleine liberté avant de mourir à l’abattoir...


  • docdory docdory 19 septembre 2011 13:31

    Cher Paul Villach

    Voilà en tout cas qui déclenche la suspicion légitime du consommateur sur la qualité de la viande vendue par la société Bigard ! C’est même une véritable contre-publicité.
    J’ose espérer que cette société ne proposera pas pour l’alimentation humaine un taureau ainsi passé de vie à trépas.
    En effet, déjà à la base, la viande de taureau est assez coriace ( c’est pour ça que les bouchers vendent du boeuf )
    Par ailleurs, les races taurines ont été sélectionnées pour leur agressivité et non pour les qualités gustatives de leur viande.
    Ensuite , le stress maximum prolongé et les efforts intenses accomplis pendant de longues minutes par un taureau pour échapper à une mort quasi certaine doit s’accompagner d’une accumulation musculaire d’acide lactique et autres composés qui ne doivent pas concourir à la qualité gustative finale de la viande d’un animal ainsi abattu, dont la consistance doit plutôt s’approcher de celle des semelles des chaussures du toréador qui l’a occis !
    Enfin, normalement , dans les abattoirs, les animaux sont éviscérés dans les minutes qui suivent l’abattage, pour éviter que les innombrables bactéries du tube digestif bovin ne viennent proliférer intempestivement dans la viande.
    Un taureau ainsi abattu reste plusieurs minutes mort en plein soleil, puis une bonne demi-heure dans la camionnette des boucheries Bigard avant d’arriver à l’abattoir, ce qui laisse un temps plus que suffisant, à mon avis ( bien que je ne suis pas spécialiste de ces questions ) pour qu’une contamination bactérienne de la viande ait lieu dans des proportions non négligeables.

    Reste à élucider la question sous-entendue par votre article :
    Faut-il, afin de supprimer cette façon peu ragoûtante de faire de la boucherie qu’est la corrida, en interdire la pratique ?
    Je doit dire que la question n’est pas simple.
    Certes, je considère à titre personnel cette activité comme étant d’une cruauté parfaitement répugnante. Néanmoins, d’autres choses me répugnent dans l’existence ( comme la consommation de concombres ou de pastèques ), est-ce pour autant que je vais militer pour leur interdiction à mes contemporains ?
    Les officines qui militent pour l’interdiction de la corrida sont souvent les mêmes que les officines liberticides qui prétendent faire interdire par l’UE le gavage des oies et du canard pour en faire du foie gras. Leur donner raison sur le sujet de la corrida risque de concentrer leurs attaques contre le foie gras.
    Le métier de toréador n’est-il pas un dérivatif de la violence pour certains individus particulièrement sanguinaires qui seraient peut-être devenus autrement des serial killers ?
    Il serait intéressant de comparer la proportion de tueurs en série dans les régions pratiquant la tauromachie, à celle qui existe dans les régions sans toréadors.

    D’un autre côté, je milite pour l’interdiction de l’abattage rituel pour les animaux, dont la cruauté effarante ( égorgement sans assommer électriquement préalablement l’animal, suivi de longues minutes d’agonie ) est encore pire que celle de la corrida. 
    La logique voudrait donc que je milite également contre la corrida.
    Une chose est certaine : je suis partisan du fait que le consommateur soit mis au courant par un étiquetage obligatoire du fait que l’animal qu’il se prépare à acheter a été tué sans être assommé préalablement, que ce soit au cours d’une corrida ou d’un abattage rituel. Les deux procédés sont, l’un comme l’autre, des reliquats d’une pensée primitive ou moyen-âgeuse caractérisée par sa violence sanguinaire, et dont on peut espérer qu’elle disparaisse enfin avec la civilisation.

  • Michel Tarrier Michel Tarrier 19 septembre 2011 13:37

    Des arènes à l’équarrissage : magnifique le patrimoine culturel français ! Merci Frédéric Mtiterrand pour la noblesse du geste. 


  • Hadj Ahmed 19 septembre 2011 13:48

    "Aux lecteurs qu’on agace malgré soi, depuis plusieurs années, par l’usage de termes spécifiques qui seuls permettent d’analyser l’information condensée dans une image, on voudrait montrer qu’on ne peut pas s’en passer sous peine de faire de la paraphrase sans s’appuyer sur des indices probants."

    Wow smiley Simple comme bonjour, s’adresser à ses lecteurs, expliquer, avoir un minimum d’égards pour ceux qui n’ont pas la science infuse, chapeau, je vous en savais capable mais je croyais que vous ne le feriez jamais.

    Alors juste pour le fun mais une dernière fois promis, extrait d’un article posté à l’époque par Renève :

    Dans cette méta-œuvre, l’imaginaire déstructuré magnifie métonymiquement le signifiant métaphorique au moyen d’ une abstraction déconstruite  trahissant une infinie créativité sous l’effet d’ une sensibilité exacerbée smiley


  • marcel et yvette marcel et yvette 19 septembre 2011 17:30

    Oh ben maintenant on trouve du saucisson aux épices dans les rayons hallal de chez Ed , la viande est broyée, et vu le nombre d’ingrédients,et d’épices et colorants pour masquer le goût ,même si c’est un glorieux Taureau ayant péri pour distraire les cons , une fois le tout réduit en purée et entassé dans un boyau de plastique , on bouffe du « Boeuf » point barre !

    p’têt bien qu’on a déjà bouffé du saucisson de Toréador sous l’appellation Boeuf aux épices ?


  • terreetciel terreetciel 19 septembre 2011 17:49

    La culture française disparue on importe des traditions étrangères les plus repugnantes


Réagir