samedi 17 août 2019 - par christine

« La France vendue à la découpe » : l’abattoir de Sainte-Cécile

L’agroalimentaire, au fil de ces vingt dernières années, est devenu une histoire de marché financier et de spéculateurs étrangers. L’évolution récente de ce secteur le pose comme victime d’une guerre économique. Le patrimoine agricole français, particulièrement riche de terres, de savoir-faire et de traditions devient le creuset dans lequel la concurrence étrangère vient se servir.

L’internationalisation des marchés agricoles depuis la seconde guerre mondiale a créé un phénomène de mutations des filières, sous les pressions nord-américaines. La France n’a pas su s’adapter en termes de productivité, de durabilité et de qualité. Cette même période a vu le rapport aux métiers agricoles et aux modes de consommation se transformer pour faire apparaître les industries agroalimentaires que l’on connaît aujourd’hui, ainsi que les tendances de consommation émergeantes. Par ailleurs, certaines décisions politiques, dont on peut difficilement connaître les impacts futurs, modifient structurellement les avantages comparatifs et créent une nouvelle concurrence, comme par exemple dans le cadre des accords du CETA.

Il y a, de la même manière aujourd’hui, plusieurs risques informationnels qui mettent en danger l’agriculture française. Ils concernent l’ensemble des domaines : animal, végétal, laitier, et traditionnel. Nous pouvons donc interroger les différentes filières sur leurs singularités et leurs contradictions pour comprendre dans quelles mesures ces risques influent sur les marchés agricoles à l’échelle internationale, par rapport aux savoir-faire français et aux modes de consommation en mutation.

Que ce soit des terres ou des brevets, la France semble, de premier abord, bien incapable de protéger son patrimoine et ses métiers. Cela se caractérise par exemple par de nombreux rachats de domaine dans la filière viticole ou par des rachats de race. Notons le cas de la race Maine-Anjou qui illustre bien les opérations de achats d’espèces animales par l’étranger. En effet, dans le contexte d’après-guerre, les Etats Unis achètent en grand nombre cette race relativement délaissée par l’agriculture française. Aujourd’hui, par les différentes opérations de génétique réalisées par les américains, cette race a acquis des caractéristiques des plus intéressantes sur le marché bovin. Les industriels nord-américains revendent donc aujourd’hui cette race aux agriculteurs français, en faisant le bénéfice de leurs investissements. Nous pouvons constater par ailleurs que dans le même temps, la France a ainsi perdu la moitié de ses races bovines, alors qu’elle se positionnait en tant que leader sur le marché international au début de la période.

 

Aujourd’hui, en 2019, la France continue d’être « vendue à la découpe », selon la formule de Laurent Izard, sur les marchés internationaux, et ce notamment dans le domaine de la boucherie française.

Les filières des élevages français, peut-être par manque de communication avec les clients finaux et surtout par désintérêt du grand public pour l’agriculture, ne bénéficient pas de soutien de la part de la société civile. Par ailleurs, le manque criant d’engagement et de prise de position des associations interprofessionnelles, ne permet pas aux filières de prendre des décisions de long terme. Les éleveurs français, au gré des fluctuations des cours en bourse, n’ont donc qu’à s’adapter aux évolutions d’un marché. Là où la France disposait d’une position de premier plan pour pouvoir faire fluctuer le marcher, elle se cantonne aujourd’hui à suivre ses concurrents.

L’exemple de la réussite néerlandaise, illustre bien le propos dans son actualité. Dans mesure où les Pays-Bas ont une filière très forte et particulièrement bien organisée dans le domaine de la viande sur leur territoire, ils cherchent à se déployer à l’étranger, en opérant une remontée de filière. Au travers des entreprises néerlandaises VanDrie, Denkavit et Vion par exemple, le secteur de la viande française, se trouve pris d’assaut depuis de nombreuses années. Leurs stratégies aujourd’hui, après s’être installé dans l’élevage et l’alimentation animale, consiste en des prises de position sur le marché de l’abattage, pour maîtriser de bout en bout la chaîne de valeur. Appuyés par la Rabobank, qui est spécialisée dans l’agriculture et l’agroalimentaires, les investisseurs néerlandais profitent des pertes de puissance des entreprises françaises, pour organiser un nouveau marché où il y a de moins en moins de capitaux français. En 2016, le rachat à Lactalis des lignes d’abattages de Tendriade par VanDrie, positionnait déjà le géant néerlandais en temps qu’acteur incontournable du marché de la viande, avec une position de leader à 20% de part de marché. Ce rachat dans l’Hexagone n’est pas le premier, il fait suite notamment à l’absorption de Sobeval par VanDrie en 1994.

Notons par ailleurs, que la perte de puissance de la filière française profite également aux marchands de machines industrielles d’occasions. Une actualité récente autour de la liquidation de l’abattoir AIM de Sainte Cécile est très représentative des manœuvres venant des Pays-Bas. La liquidation prononcée par le tribunal de Rouen a donné lieu à la séparation des biens immobiliers et des lignes de production. Le cabinet BTSG, ayant un lourd historique aux Pays-Bas et dans le secteur de l’agriculture, a été désigné comme mandataire judiciaire par le tribunal de Rouen pour la reprise. Cette séparation a permis à l’entreprise PIPM France, qui appartient à PIPM BV basé à Amsterdam, de se porter acquéreur des machines seules.

Plus tard, on retrouve ces mêmes machines en ventes aux enchères, en petits lots, sur un site néerlandais : Troostwijk. Le passé des employés de PIPM, en tant que commerciaux chez le revendeur néerlandais, montre que PIPM agit en tant qu’apporteur d’affaire pour Troostwijk, ce qui rend déjà toute offre de rachat impossible. Le mode de vente rend également impossible la reconstitution de la ligne de production dans son intégralité. Ce système rachat permet d’évincer toute nouvelle relance d’activité française, et laisse la place libre aux grandes coopératives néerlandaises. Privée d’outils de production, privée de possibilité de reprise d’activité, la filière doit s’adapter et se tourner vers les nouveaux acteurs qui peuvent accueillir les matières premières. Livrées aux marchés financiers, les industries locales françaises n’ont pas d’autres choix que de s’incliner devant les capitaux étrangers.

La France, au regard des attaques qu’elle subit, doit donc aujourd’hui prendre des mesures pour protéger le patrimoine agricole français, et se prémunir de toutes dépendances en termes d’approvisionnements. L‘indépendance de décisions dans le domaine de l’agroalimentaire constitue, pour les années à venir, un espace stratégique indispensable à la France dans le contexte du réchauffement climatique et de la hausse de la demande de produits alimentaires.



21 réactions


  • HELIOS HELIOS 17 août 2019 11:36

    ... partout où la finance passe, la souveraineté s’en va, la dépendance arrive, dans le meilleur des cas, sinon la pénurie !


  • Attila Attila 17 août 2019 11:39

    "La France, au regard des attaques qu’elle subit, doit donc aujourd’hui prendre des mesures pour protéger le patrimoine agricole français "

    Oui, je connais un agriculteur qui, pour prendre sa retraite, a vendu ses terres à des investisseurs hollandais.

    Pour que la France puisse se protéger, les électeurs devront d’abord élire autre chose que ce ramassis de corrompus et de traîtres qu ils mettent habituellement au pouvoir. 

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    • Durand Durand 17 août 2019 12:46

      @Attila

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      En tant qu’adorateur d’Asselineau, vous pourriez au moins dire que c’est le Traité de Maastricht qui organise les délocalisations et la vente de la France à la découpe, plutôt que de vous en prendre au « ramassis de traîtres » que les Français élisent alors qui ne font qu’appliquer ce traité.

      Décidément, tout périclite, même à l’UPR !

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    • Attila Attila 17 août 2019 13:16

      @Durand

      TFUE-Article 63

      1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.

      Le TFUE, c’est le traité de Lisbonne . Le Traité formant constitution de l’Union européenne a été rejeté en 2005 par le référendum. C’est Nicolas Sarkozy et les parlementaires de l’époque qui ont trahis les français en votant le Traité de Lisbonne : ce sont des traîtres.

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    • Attila Attila 17 août 2019 13:18

      @Durand
      Au fait, comment va Salvini ? Sa stratégie est-elle en bonne voie ?

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    • Durand Durand 17 août 2019 15:33

      @Attila

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      Le TFUE, c’est le Traité de Rome de 1957 qui a été rebaptisé TFUE en 2007. La libre circulation des capitaux, des biens et des services, c’est Maastricht en 1992 : la CEE devient l’UE... Tout à été repris en 2007 dans le Traité de Lisbonne.

      Dans son art.56, le TCE, rejetté par référendum, reprenait également Maastricht.

      Révisez vos classiques !

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    • Durand Durand 17 août 2019 16:13

      @Attila

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      Je ne me fais aucun souci pour Salvini..., il gagnera certainement les législatives d’Octobre...

      Il ne subsiste qu’une incertitude :

      – gagnera-y-il seul ou devra-t-il faire de nouvelles alliances avec Fratelli d’Italia et les ex-Forza Italia de Berlusconi ?

      A noter que sa politique anti-migrants est soutenue par nombre d’italiens, y compris à gauche, qui ne votaient pas pour lui jusque-là...

      Même si vous en avez l’habitude, vous allez être très déçu !...

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    • Captain Marlo Fifi Brind_acier 17 août 2019 16:47

      @Durand
      Il y a eu bien plus de Traités que ceux que vous citez.
      Le TFUE englobe tous les Traités précédents.

      Il fut à nouveau modifié en profondeur à la signature du traité de Lisbonne le 13 décembre 2007 et devint le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.



    • Attila Attila 17 août 2019 19:30

      @Durand
      Si tout a été repris dans le Traité de Lisbonne, pourquoi ont-ils signé ce nouveau traité ? Ben non, c’est bien parce qu’il y a des nouveautés qu’il y a un nouveau traité.
      Votre blabla ne change rien à mon message, les français avaient refusé un nouveau traité par référendum et Sarkozy les a trahi en faisant voter ce nouveau traité et en modifiant pour cela la Constitution grâce à la procédure du Congrès. Le fait qu’il ait fallu modifier la Constitution prouve bien qu’il y a quelque chose de nouveau.

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    • Captain Marlo Fifi Brind_acier 17 août 2019 20:12

      @Durand
      sa politique anti-migrants est soutenue par nombre d’italiens, y compris à gauche,

      Petite précision, Salvini n’a pas une politique anti migrants, mais anti accueil des migrants primo arrivants, ce qui est normal, Bruxelles a laissé l’ Italie se débrouiller seule, les Italiens en ont ras le bol.

      Mais les primo arrivants, une fois accueillis dans d’autres pays européens peuvent circuler dans tout l’espace Schengen, sauf si provisoirement un pays remet des contrôles aux frontières. Ce qui n’est pas le cas de l’Italie, ni de la Hongrie, qui n’ont pas demandé à fermer leurs frontières intérieures.

      Cf Schengen : carte des contrôles aux frontières intérieures.


    • Durand Durand 18 août 2019 14:45

      @Attila

      .

      C’est Maastricht qui induit les délocalisations : liberté de circulation des personnes, des biens et des capitaux.

      Le TFUE, c’est le Traité de Rome (1957)... C’est écrit dès la première ligne sur le lien que propose Fifi... (bisous, FIfi !...).

      Lisbonne innove surtout par la création d’un bloc Constitutionnel concernant l’UE et par l’établissement formel de la prééminence du Droit européen sur les droits nationaux des états membres.

      Contrairement à ce que vous affirmiez, ce ne sont donc pas « les élites corrompues » que les Français élisent qui sont le problème mais les contraintes juridiques des traités qu’elles appliquent, conformément à la Constitution.

      Bon, je sais, dans vos rêveries, vous devez penser que les Français auraient pu voter pour FA et le Frexit... Vous êtes même 1,17% à le penser !

      Ben non, ils n’auraient pas pu voter pour FA parce que l’immense majorité des Français ont peur... Peur du Frexit, peur de tout perdre d’un coup... Ils préfèrent tout perdre petit à petit et ça, vous ne le changerez pas..., il est déjà trop tard.

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    • Durand Durand 18 août 2019 14:52

      @Fifi Brind_acier

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      « Petite précision, Salvini n’a pas une politique anti migrants, mais anti accueil des migrants primo arrivants, ce qui est normal, Bruxelles a laissé l’ Italie se débrouiller seule, les Italiens en ont ras le bol. »

      Très juste, merci pour la remarque !

      Concernant les migrants, Salvini se vante actuellement d’avoir diminué l’immigration de 80%... Bon c’est une grande gueule mais il doit bien y avoir un peu de vrai dans ce qu’il annonce... Il faudrait avoir des chiffres sûr pour en juger...

      .


    • Attila Attila 18 août 2019 18:02

      @Durand
      « ce ne sont donc pas « les élites corrompues » que les Français élisent qui sont le problème »
      Ben tiens !

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    • UnLorrain 19 août 2019 09:30

      @Durand

      « ils préfèrent tout perdre petit a petit » Judicieuse observation .


  • leypanou 17 août 2019 11:42

    L‘indépendance de décisions dans le domaine de l’agroalimentaire constitue, pour les années à venir, un espace stratégique indispensable à la France dans le contexte du réchauffement climatique 

     : qu’est ce que le réchauffement climatique a à voir avec la recherche d’indépendance de décisions dans le domaine de l’agroalimentaire ?

    Parce que vous croyez que s’il n’y a pas réchauffement climatique, on peut vouloir dépendre des autres dans le domaine agroalimentaire ?


  • the clone the clone 17 août 2019 16:39

    Il serait grand temps a songer a brader l’Élisée , le parlement et le sénat avec toute la clique dedans bien entendu.... 


    • Durand Durand 18 août 2019 17:19

      @the clone

      .

      « avec toute la clique dedans bien entendu.... »

      .

      Mais « la clique » est déjà vendue depuis le début !

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