La fraude mystique de Marthe Robin par Conrad De Meester
Conrad de Meester fut docteur en théologie, historien de la spiritualité, éditeur scientifique et analyste critique réputé. Il a consacré l’essentiel de son œuvre aux grandes femmes mystiques du XXe siècle, dont Thérèse de Lisieux, Edith Stein et Elisabeth de la Trinité. Cela signifie clairement qu’il n’était pas le moins du monde hostile aux femmes mystiques ni en guerre contre elles.
Son ouvrage, fruit de vingt-cinq années de recherche, est intitulé « La fraude mystique de Marthe Robin ». Dans sa préface, le frère Paul de Bois, provincial des Carmes en Flandres, explique ce qui suit : « En 1988, l’évêque de Valence prit contact avec notre frère Conrad De Meester, pour lui demander d’examiner plus de 4000 pages dactylographiées, correspondant aux lettres et écrits de Marthe Robin, décédée en 1981. De son vivant, et plus encore après sa mort, elle fut considérée par beaucoup comme une grande mystique et une vraie sainte. A l’occasion de la phase diocésaine du procès de canonisation, le père Conrad a soigneusement lu et étudié tous ces documents. Il en a résulté un Rapport volumineux, soulevant de nombreuses interrogations. Transmis au Vatican, il n’a jamais obtenu (de) réponse ».
Le préfacier énonce que « le Père Conrad était d’abord un perfectionniste. Il approfondissait sans cesse ses recherches et ce jusqu’au moindre détail ». Il ajoute que « dans son livre, De Meester avoue plusieurs fois son étonnement voire sa stupéfaction à la suite de ses découvertes. Il fut même parfois tourmenté par les résultats de son enquête. Sa prudence et sa sagesse l’ont retenu de publier trop rapidement les conclusions de ses recherches ».
Dans le même ordre d’idée, l’éditeur dans son avertissement nous informe de la chose suivante : « Disons-le d’emblée, ce livre n’a pas été conçu comme une machine de guerre. Ni contre Marthe Robin, ni contre les Foyers de Charité qu’elle a inspirés ou encore contre les communautés nouvelles qui se réclament de son héritage ». Nous lisons : « Ce livre ne prétend ni percer le secret intrinsèque, ni pronostiquer la destinée ultime de la personne que fut Marthe Robin, pas plus qu’il ne vise à miner la fécondité de ces mouvements ».
Cependant, force est de constater que les mouvements spirituels nés après 1950 dans le sillage de Marthe Robin sont aujourd’hui touchés par des révélations très troubles et forcément dérangeantes. Effectivement, les fondateurs de ces communautés nouvelles, se réclamant et revendiquant une proximité avec Marthe Robin, ont été reconnus coupables d’abus sexuels : Gérard Croissant, alias Frère Ephraïm, fondateur de la Communauté des Béatitudes, le père Marie-Dominique Philippe, fondateur des Frères de Saint Jean, et aussi Jean Vanier, fondateur de l’Arche. Le père Finet est lui-même mis en cause pour des gestes « gravement déviants » sur des mineures. Il ne faut pas non plus oublier que Les Foyers de Charité reposent sur la promotion d’un laïcat mixte consacré et envoyé en mission pour une nouvelle évangélisation. Tout un programme…
Concrètement, j’ai lu ce livre avec grand intérêt, d’autant plus que dans l’avertissement - présent au début de l’ouvrage - figure le propos suivant : « Ce livre n’existe pas en vertu d’une volonté délibérée de son auteur de s’emparer de ce sujet et de le traiter selon sa subjectivité, mais en réponse à une demande officielle de l’Eglise, dans le cadre d’une enquête canonique pour laquelle il a été sollicité, qu’il a conduite selon la démarche prescrite et qui a abouti à un Rapport adressé au Vatican. C’est cette instruction, documentée et raisonnée, que le présent ouvrage reprend et poursuit ». De fait, je fus donc rassuré avant de commencer cet ouvrage écrit avec la volonté de rechercher la vérité. L’auteur n’était pas animé par un activisme politique ou militant ayant pour objectif de détruire Marthe Robin.
Le propos de Conrad De Meester se veut extrêmement clair. Au fil d’une enquête rondement menée, sa conclusion ne souffre pour lui d’aucune contestation : Marthe Robin a trompé tout son monde. L’éditeur écrit : « Vérité et liberté, mais aussi foi et raison, tel est bien le leitmotiv de ce livre. Réquisitionné pour sa qualité incontestée de spécialiste de la littérature mystique, particulièrement contemporaine et féminine, le père Conrad De Meester a conclu, en recourant à des méthodes critiques objectives, à l’inauthenticité des textes de Marthe Robin ».
Il convient de préciser « qu’au cours de sa longue existence, plus de 100 000 personnes l’ont visitée dans sa petite ferme de la Drôme. On l’a toujours connue clouée au lit, paralysée, aveugle, stigmatisée, souffrant chaque semaine la Passion du Christ ». L’auteur écrit que « Marthe Robin a laissé beaucoup d’écrits. De genre différents. Journaux spirituels, notes intimes, un volumineux récit sur la Passion du Christ, des poésies, des prières, des lettres… » En analysant dans le détail cette masse de documents manuscrits, De Meester conclut : « Marthe n’a pas dicté l’essentiel de ses écrits, mais dans leur plus grand nombre les a portés sur le papier de sa propre main, adoptant alors - presque parfaitement - diverses graphies afin de cacher la véritable identité du copiste ».
Selon des analyses graphologiques, grammaticales et orthographiques, la quasi-totalité des écrits proviendrait en réalité de la main même de Marthe Robin. Cette remarque jette un sérieux doute sur la réalité de sa paralysie. L’auteur confesse volontiers que « Marthe était bien sûr handicapée, mais pas paralysée au point d’être incapable de quitter son lit et n’était donc pas forcément clouée jour et nuit à son grabat ». En étudiant les textes commis officiellement par différents secrétaires, en dépit de la volonté de masquer qu’il s’agit de la même personne, De Meester certifie qu’on y retrouve les mêmes fautes à répétition, des formes de lettres similaires ainsi que des tournures de phrases identiques.
J’ai trouvé cette démonstration plus que convaincante. En regardant les annexes, je me suis rendu compte du travail d’orfèvre qu’il avait accompli pour produire cette preuve irréfutable. Ainsi, l’identité des secrétaires reste à ce jour inconnue, sauf pour une, Simone Ladret qui a formellement attesté que Marthe Robin lui avait dicté un cahier. Cela pose un problème majeur qu’après plusieurs dizaines d’années, la famille Robin et Les Foyers de Charité se montrent incapables de retrouver les commis rédacteurs ayant participé à cette aventure peu commune.
De Meester démontre de la plus brillante des manières que Marthe Robin a plagié au moins vingt-neuf mystiques, notamment Madeleine Sémer, Marie-Antoinette de Geuser, Véronique Giuliani, Gemma Galgani, Anne-Catherine Emmerich, Catherine de Sienne, et Thérèse d’Avila. Il écrit à ce sujet : « La quantité des emprunts effectués et le fait que Marthe elle-même ne les avait jamais signalés me déconcerta ». En allant à la source des documents pour vérifier ses propos, comme il a agi lui-même en tant que chercheur qui se respecte, le doute ne peut s’installer : Marthe Robin a bien copié de nombreux textes en les faisant passer pour ses écrits, parfois de manière intégrale, parfois en changeant ou en ajoutant un ou deux mots. De Meester écrit à juste titre : « Quel est ici le poids du mot vérité lorsque Marthe assure, en se rendant en secret maîtresse de la pensée et des termes » de vraies saintes, avoir dialogué avec Jésus-Christ ? La question mérite d’être posée. Plus suspect encore, De Meester découvre qu’elle demandait à ses correspondants de brûler ses lettres, acte que certains ont refusé de faire.
Sophie Guex, postulatrice de sa cause de béatification, a réagi dans Famille chrétienne en disant : « C’est vrai que Marthe a emprunté des paragraphes entiers à d’autres mystiques », ou encore « Elle a trouvé chez d’autres mystiques des mots qui convenaient parfaitement à son expérience. Elle s’est donc coulée humblement dans les mots d’autres personnes », sans pour autant ne jamais l’avouer. Elle insiste en disant : « Ce procédé de Marthe remonte au début de ses expériences mystiques. Imaginez que vous fassiez des expériences mystiques sans avoir la possibilité de comprendre ce qui vous arrive. Pour comprendre, Marthe a fait avec les moyens du bord, en lisant des livres ». Il faut quand même reconnaître que cet argument de la défense se montre très faible et donc peu convaincant. Ne pouvant nier l’évidence du plagiat, elle s’ingénie à le justifier maladroitement alors que les faits sont authentiquement attestés. Heureusement que toutes les saintes ayant eu des visions, des expériences mystiques et des révélations n’agirent pas comme Marthe en copiant les récits d’expériences vécues par d’autres car, à ce tarif-là, personne ne saurait déceler où se situe l’authentique et la copie…
De Meester soulève aussi les questions médicales au sujet de sa paralysie, et sur le fait qu’elle disait être aveugle. Pourtant, jamais un examen médical en bonne et due forme ne fut mené : « Les examens spéciaux tels radiologique et ophtalmologique n’ont pu encore être faits ». Il stipule pareillement que « la cécité de Marthe est ainsi renvoyée, implicitement au futur examen clinique » qui ne verra jamais le jour dans la mesure où Marthe Robin décédera avant que le corps médical puisse mener à bien son œuvre. Sophie Guex écrit même que « l’inédie ne pourra jamais être prouvée scientifiquement dans le cas de Marthe Robin ». Pourtant, de 1930 à sa mort en 1981, le temps n’a guère manqué pour réaliser cette étude essentielle qui aurait étouffé dans l’œuf toute vaine polémique. Marthe Robin disait souffrir, mal dormir, elle ne mangeait, ni ne buvait. Pourtant, elle ne séjourna pas à l’hôpital. Pourquoi ?
Beaucoup regrettent que cette inédie n’ait jamais été prouvé scientifiquement. Cela aurait pu être réalisé en 1949 quand, selon le Père Bernard Peyrous, un neuropsychiatre parisien se rendit chez Marthe Robin pour lui proposer de la « mettre en clinique pendant un ou deux mois afin de pouvoir convaincre ses collègues de la réalité des phénomènes extraordinaires ». Bien évidemment, elle refusa en évoquant un faible argument d’autorité : seuls son directeur, son évêque ou même le Pape auraient pu lui intimer l’ordre de se faire hospitaliser pour procéder à des tests cliniques. Après sa mort des chaussons usés furent retrouvés dans son armoire. Marthe les a bien portés, alors qu’elle était censée ne pas pouvoir marcher…
Le 6 février 1981, le jour même de sa disparition, une personne qui aide à ranger, trouve de manière fortuite dans la chambre de Marthe Robin une cuvette pleine de méléna, résidu sanguin gastrique, accompagnée de papiers journaux avec des traces qui laissent à penser qu’ils furent utilisés pour s’essuyer. Le directeur spirituel de Marthe Robin, le fameux père Finet, demande immédiatement que la cuvette et son contenant soient jetés. Si elle pouvait faire ses commissions toute seule, était-elle vraiment paralysée ? Et que dire des chaises renversées dans sa chambre - dont la porte était fermée à clé - que ses proches retrouvaient chaque matin ? Certains témoins disent ou pensent avoir vu et entendu Marthe Robin se déplacer la nuit en rampant… Tout cela fait beaucoup !
Il y a également un point sur lequel nous aimerions insister, même si De Meester n’en parle pas dans son Rapport : Marthe Robin, selon l’aveu même du Père Bernard Peyrous - lui aussi accusé de « gestes gravement inappropriés » - n’a pas assisté au saint Sacrifice de la Messe pendant des décennies car elle était, officiellement, intransportable. Il n’est venu à l’esprit de personne de demander une dispense, qui lui aurait été certainement accordée, pour qu’un prêtre ou un religieux viennent célébrer la Messe à son domicile. Aucun de ses proches n’a donc eu l’idée de mettre Marthe Robin dans un fauteuil roulant ou sur une civière pour qu’elle puisse se rendre à la messe ? Tout ceci n’est vraiment pas clair, à moins que…
Comme l’indique le titre du Figaro « La chute du cardinal Angelo Becciu fait frémir le Vatican ». Ce n’est pas lié directement à Marthe Robin mais le cardinal a été contraint de renoncer à son poste de préfet de la Congrégation pour la cause des saints parce qu’il est suspecté d’investissements financiers douteux, ce que l’intéressé réfute. A croire que le sort s’acharne sur tous ceux qui défendent ou accompagnent le chemin de Marthe Robin vers la sainteté. Au début de son ouvrage, De Meester avait écrit : « Dieu saura écrire droit sur des lignes courbes ». Il a sûrement raison mais aujourd’hui il peut être difficile de s’y retrouver et de faire confiance à autrui. Quoiqu’il en soit, les 400 pages doivent se lire en étant réellement concentré car les matières étudiées et les enjeux soulevés, qui dépassent de loin le présent sujet, sont importants.
Initialement, De Meester avait un avis plutôt favorable à l’égard de Marthe Robin, étant donné ses sujets de prédilection. Cependant, il s’aperçut rapidement, au fil de son étude qui devait être rapide, que plusieurs éléments posaient de sérieuses complications. Ne voulant pas se précipiter à tort et à travers, il a mené de véritables recherches. Il a très vite saisi que Marthe Robin ne disait pas toute la vérité. Nous laissons le mot de la fin au père De Meester : « C’est pourquoi à mon sens, de la fraude mystique de Marthe Robin, il n’y a rien, à proprement parler, non seulement à vénérer, mais aussi à conserver ».
Franck ABED