La Gaule en cartes et en croquis ; archéologues, ouvrez les yeux !
Suite à mon précédent article intitulé "Question à Mme Rogé, Drac Bourgogne : Bibracte, est-ce le Mont-Beuvray ou est-ce le Mont-Saint-Vincent ? Répondez sans détours !" qui n'a évidemment pas répondu après les réponses "langue de bois" de trois ministres de la Culture au Journal officiel et qui persiste, même après la publication de cet extrait de carte ancienne ou figure Bibracte à proximité de Chalon-sur-Saône (ci-contre).... nous sommes là dans un scandale d'Etat ou des fonctionnaires impliqués n'ont qu'un souci : continuer dans leur utopie d'une capitale des Gaules perdue au fond des bois, en espérant que je m'épuise.
Dans la dédicace encadrée d'une des deux cartes anciennes que m'a fait connaître M. le commentateur Rinbeau, que je remercie chaleureusement, nous lisons, ligne après ligne, la dédicace suivante : MAGco AC INSIGNI VIRO MARCO ANTONIO, Au très grand, illustre, homme, Marc Antoine, en dessous : RADICI, les racines (?), puis : Paulus Forlani Veronensis.SD, Paul Forlani de Véronne. Puis le texte en très mauvais latin : ad nostris manu Marce Antoni prestantissime, totius Galliae ...toute la Gaule de la main de Marc Antoine dans les nôtres... avec les lieux autour. Date : 1546.
Marc Antoine est un célèbre compagnon puis rival de Jules César. Paul Forlani est un célèbre graveur qui s'est spécialisé dans la reproduction de cartes anciennes. Que nous dit cette dédicace ? que Forlani a eu entre les mains une suite de cartes, croquis ou relevés, depuis l'époque de Marc Antoine jusqu'à son époque, dont il a fait une synthèse historique. Voilà pourquoi, sur la carte, le nom et la vignette de Lutèce voisinent avec le nom plus récent de Paris, non pas parce que ce serait un de ses quartiers, mais bel et bien parce que c'était son nom gaulois à l'origine. Voilà pourquoi Bibracte y figure alors que le souvenir de son nom était perdu depuis longtemps au temps de Forlani. Voilà pourquoi le mot "Bibracte" est mieux mis en évidence que celui de Chalon, car, au temps de César, c'étaient les capitales militaires qui faisaient l'Histoire. Tout cela pour dire que l'intention de Forlani étant de faire la carte de la Gaule, il me semble logique qu'il soit parti d'un relevé cartographique à usage militaire qui devait forcément exister au moment de la guerre des Gaules, document aujourd'hui perdu.
César écrit : La Gaule était divisée en deux confédérations de peuples. A la tête de l'une se trouvaient les Eduens, à la tête de l'autre, les Arvernes. Pendant de longues années, ils luttèrent les uns contre les autres avec une telle âpreté que les Arvernes et les Séquanes avaient dû faire appel à des mercenaires germains. Il en était passé environ 15 000 en Gaule. (DBG,I,31). Dès lors que l'on admet, comme le précise Strabon, que les Eduens se trouvaient entre la Saône et la Dheune, et non entre la Saône et le Doubs, comme je l'ai plusieurs fois expliqué, le militaire le plus ignare comprend aussitôt que les Eduens, maîtres de la Saône, étaient naturellement poussés par le vent de l'Histoire à s'étendre jusqu'à la Loire que contrôlaient les Arvernes depuis leur position stratégique du mont Beuvray, alias Gorgobina, Gergovina, la petite Gergovie.
En s'emparant de cette position, les Eduens étendaient leur territoire et contrôlaient dorénavant les deux voies du commerce les plus importantes de la Gaule. Ainsi s'explique l'appel des Arvernes à Arioviste pour renforcer la défense de la position. Ainsi s'explique le mouvement de l'armée éduenne de Mont-Saint-Vincent/Bibracte pour s'en emparer en empruntant le chemin qui y mène, chemin de crête, dit des druides, jalonné de pierres branlantes toutes plus mystiques les unes que les autres.
Ainsi s'explique la bataille de Magetobriga de l'an 63 avant JC, 5 ans avant l'arrivée de César. Les historiens situent la bataille en plaine d'Alsace ? Certainement pas ! Magetobriga ? le grand pont, c'est l'antique bourgade de Mesvres, au bord de l'Arroux. Au Moyen âge, elle s'appelait encore Magobrium. Qu'on rajoute le “g” qui a disparu à l'usage et on obtiendra Magobrigum. Voilà le lieu de la grande bataille ! Il se peut même que les Eduens aient été attaqués par Arioviste alors qu'ils se trouvaient encore dans leurs camps de toile. Peut-être même n'avaient-ils pas franchi l'Arroux
Lettre de Cicéron à son ami Atticus, Rome, 15 mars. 6o avant JC
A. I. 19 Ce qu'il y a en ce moment de plus grave en politique, c'est la crainte d'une guerre dans les Gaules. Elle est déjà chez nos frères, les Éduens, qui viennent de livrer un combat malheureux. Les Helvètes sont sans doute sous les armes et ont fait des incursions dans la Province. Le sénat a décidé que l'on tirerait au sort les consuls qui iront commander dans les deux Gaules, qu'il y aura une levée de troupes, qu'on n'admettrait point d'exemption, qu'on nommerait des ambassadeurs, avec pleins pouvoirs, qui iront dans les cités des Gaules avec la mission de les dissuader de se joindre aux Helvètes. (traduction E. Mourey)
Le passage que je viens d'écrire est un extrait de mon "Histoire de Bibracte, l'épée flamboyante" que j'ai publié en 1995. J'ajoutais alors : "Mais où sont les tumulus ? Où sont les armes brisées et perdues ? Où sont les équipements des morts ? La parole est aux archéologues." Wikipédia me donne aujourd'hui la réponse en indiquant à Mesvres : "maison forte des XVe et XVI ème siècles (ancien prieuré), restes d'un camp retranché antique au signal de Notre-Dame-de-la-Certenue, vestiges celtiques et gallo-romains". Non, vraiment, il faut être d'une mauvaise foi incommensurable pour ne pas vouloir comprendre.
J'ajoute ce qu'Arioviste a dit à César lors de leur face à face dans la plaine d'Alsace : « Ce n'est pas moi qui ai commencé à faire la guerre aux Gaulois (aux Eduens et à leurs alliés), mais le contraire. Toutes les cités gauloises (de la confédération éduenne) qui sont venues dresser leurs camps contre moi pour m'attaquer (au Mont-Beuvray), je les ai vaincues. Il m'a suffi d'une bataille pour culbuter et repousser leurs troupes (jusqu'à l'Arroux). Si les Gaulois (de la confédération éduenne) veulent de nouveau tenter le sort, je suis prêt à me soumettre une nouvelle fois au jugement des armes. » (DBG I,44) Et César ajoute : « Arioviste avait donc vaincu une première fois (semel) les troupes gauloises à Admagetobriga ; à partir de ce moment-là, il imposa sa volonté ; et il ne dissimulait plus ni son orgueil, ni sa cruauté. » (DBGI,31)
Remarque : Si “Semel” est la bataille côté arverne qui s'arrêta au bord de l'Arroux, au pont de Magetobriga, et qui ne vit pas les Eduens livrer d'otages, “Iterum”ne peut évoquer que la bataille côté séquane où sombra la puissance éduenne et qui vit les Eduens livrer des otages aux Séquanes. Dans une très courte phrase, César dit par ailleurs (VI,12) qu'après les désastres subis par les Eduens, la partie la plus frontalière de leur territoire avait été occupée de force par les Séquanes. Cette partie — on le devine — correspond à la région des côtes, de Nuits-St-Georges (Vosne-Romanée) à la Cosanne prolongée de l'autre côté de la Dheune par la double muraille de Chassey-le-Camp. Les monts de Sène, côté séquane, de Rome et de Rème, côté éduen, sont des indices toponymiques très sérieux. C'est donc bien dans cette région, aux portes de Chassey-le-Camp jusqu'au Mont-Saint-Vincent qu'il faut localiser la deuxième bataille.
D'autre part, dans le discours qu'il prononça devant ses troupes à Besançon pour leur remonter le moral avant de marcher contre l'armée germaine d'Alsace, voici ce que César disait des Gaulois (nous précisons : des Eduens et de leurs clients) : Si la funeste bataille des Gaulois (la deuxième) et leur déroute (devant les mercenaires d'Arioviste) inquiètent certains d'entre vous, réfléchissez ! Arioviste avait établi ses camps dans les marécages et il est resté ainsi pendant un grand nombre de mois sans se manifester. Les Gaulois (les Eduens) ne purent le découvrir. Fatigués par une guerre qui n'en finissait pas, désespérant de combattre, ils avaient dispersé leurs forces. C'est alors qu'Arioviste, brutalement, les attaqua. C'est par l'habileté et l'intelligence tactique de leur chef que les Germains ont vaincu, plus que par leur valeur militaire. Arioviste lui-même sait pertinemment que les légionnaires que vous êtes ne se laisseront pas prendre à des ruses qui, à la rigueur, peuvent se révéler efficaces contre des hommes inexpérimentés qui n'ont pas la chance d'être romains...(I,40)
Après s'être infiltrés de nuit, les Germains restèrent cachés dans les forêts marécageuses de la région, ce qui en dit long sur leur rusticité et leur discipline. Puis, lorsqu'ils se rendirent compte que les Eduens avaient allégé leur dispositif, brutalement, une nuit, avant le lever du jour, ils se lancèrent à l'assaut des positions éduennes. Les combats dans la vallée, sur les monts d'Agneux, sur ceux de Santenay et de Chassey-le-Camp furent d'une rare violence. Inférieurs en nombre et surpris, les Eduens qui s'y trouvaient se firent tuer sur place, nous n'en doutons pas.
« Tous les nobles cavaliers éduens et tous les membres du Sénat périrent. » (I,31)
Alors, Arioviste, monté sur un cheval insigne, l'œil dur et le sourire narquois, s'approcha, suivi de son état-major de guerre.
Le vergobret gaulois vint à sa rencontre et demanda la paix. Les familles les plus distinguées de la cité livrèrent leurs enfants en otages. Seul, Divitiac ne livra pas les siens ; il enfourcha un cheval et, avec eux, il s'échappa.
Le sénat romain avait été pourtant alerté du danger germain.
Druide suprême de la Gaule, Divitiac s'était rendu à Rome avant tous ces événements. Cicéron l'avait hébergé. Il avait prononcé devant le sénat un discours historique dans lequel il avait prédit tous ces évènements (Panégyriques, Lat.8, par.3). On l’avait écouté, sans plus. N’ayant pas obtenu le soutien militaire qu’il pouvait espérer, Divitiac ne pouvait, logiquement, que se tourner vers un autre peuple disposant d’une armée, les Helvètes. Pour sceller la nouvelle alliance, son frère Dumnorix avait épousé la fille du chef helvète, Orgétorix.
Et là encore, il faut être d'une mauvaise foi incommensurable pour ne pas vouloir comprendre que si les Eduens ont fait appel aux Helvètes et aux Boïens, c'est aussi pour reprendre la position du mont Beuvray aux Germains d'Arioviste.
J'ai expliqué l'intervention inattendue et surprenante de César qui a sauvé provisoirement Arioviste et les Germains du mont Beuvray, en remportant une victoire imprévue sur les Helvètes et les Boïens, à Sanvignes, puis son retournement contre les Germains d'Arioviste dans la plaine d'Alsace, la défaite de ces derniers, ce qui - ipso facto - a isolé leur tête de pont beuvraysienne.
Ensuite, César écrit : "qu'à la demande des Eduens, il avait autorisé les Boïens à s'établir sur leur territoire (ou sur leurs frontières), parce qu'ils étaient particulièrement réputés pour leur valeur militaire. Les Eduens leur donnèrent des terres, et par la suite, ils les placèrent sur le même pied d'égalité qu'eux dans le cadre de leurs lois". (DBG I,28)
Frontières, territoire, il est clair que les Boïens ont été installés en deça de la Loire et non au-delà comme on le pense. Bibracte étant à Mont-Saint-Vincent, la position forte du mont Beuvray, oppidum offrant de larges vues sur les terres concédées, s'impose. Il ne fait pas de doute que les Boïens en ont chassé les Germains qui s'y trouvaient encore.
Les noms changent, les points forts du terrain perdurent. Encore merci au commentateur Rinbeau qui dans le débat que j'ai initié sur Agoravox depuis 2006 m'a fait connaître deux cartes anciennes dont j'ignorais l'existence. Incroyable ! comme le nez au milieu de la figure nous sautent aux yeux les deux principales voies de l'étain dont Strabon donnera plus tard les distances : la voie Sequanas remonte jusqu'à Verdun-sur-le Doubs avant de rejoindre par un court traget terrestre un affluent de la Seine ; l'autre voie rejoint la Loire par le couloir de la Dheune/Bourbince. Sur ces deux voies, deux capitales s'imposent : Cabillo et Bibracte
Nous revenons dans la logique militaire géographique. Chalon-sur-Saöne, ou plutôt Taisey sur la hauteur, commande manifestement les deux principales voies de l'étain. Sur la bretelle, la forteresse de Bibracte est en relai de Cabillodunum/Cabillo/Taisey/Chalon-sur-Sâone, laquelle localité, en toute logique, ne peut être que l'Alésia que Diodore de Sicile qualifie de métropole de la Celtique. Sur la carte, il suffit de descendre "Bibracta Challon" d'un centimètre pour les remettre à leurs emplacements logiques.
Enfin, cerise sur le gâteau, cette carte ancienne nous permet de comprendre la logique militaire de cette époque d'une façon beaucoup plus intelligente que celle dont on nous bourre le crâne à force de gauloiseries. Célèbre population vivant sous les armes, réputée pour sa bravoure, c'est une fraction du peuple boïen qui accompagnait les Helvètes auxquels les Eduens avaient fait appel. Ce sont ces Boïens que César installa au mont Beuvray à la demande des Eduens. Les historiens pensent qu'ils ont, par la suite, émigré à Autun dans la ville nouvelle. Certainement pas !
Dans son célèbre discours "Pour la réparation des écoles, V, IV, 3 ", le rhéteur Eumène écrit que, non contents de reconstruire la ville d'Autun, les empereurs y avaient fait venir des ouvriers d'outre-mer, et des colons choisis parmi les plus illustres familles des provinces, et donc politiquement choisis... politiquement "pro-romains". Mais alors, où sont partis les Boïens que César avait installés au mont Beuvray ? Réponse : sur la Loire et au-delà pour y étendre la puissance éduenne. La preuve sur les deux cartes anciennes : Borbon Boii, Bourbon-Lancy, le Borbonois des Boïens... le Bourbonnais.
Emile Mourey, 3 décembre 2021