samedi 4 décembre 2021 - par Emile Mourey

La Gaule en cartes et en croquis ; archéologues, ouvrez les yeux !

Suite à mon précédent article intitulé "Question à Mme Rogé, Drac Bourgogne : Bibracte, est-ce le Mont-Beuvray ou est-ce le Mont-Saint-Vincent ? Répondez sans détours !" qui n'a évidemment pas répondu après les réponses "langue de bois" de trois ministres de la Culture au Journal officiel et qui persiste, même après la publication de cet extrait de carte ancienne ou figure Bibracte à proximité de Chalon-sur-Saône (ci-contre).... nous sommes là dans un scandale d'Etat ou des fonctionnaires impliqués n'ont qu'un souci : continuer dans leur utopie d'une capitale des Gaules perdue au fond des bois, en espérant que je m'épuise. 

Dans la dédicace encadrée d'une des deux cartes anciennes que m'a fait connaître M. le commentateur Rinbeau, que je remercie chaleureusement, nous lisons, ligne après ligne, la dédicace suivante : MAGco AC INSIGNI VIRO MARCO ANTONIO, Au très grand, illustre, homme, Marc Antoine, en dessous : RADICI, les racines (?), puis : Paulus Forlani Veronensis.SD, Paul Forlani de Véronne. Puis le texte en très mauvais latin : ad nostris manu Marce Antoni prestantissime, totius Galliae ...toute la Gaule de la main de Marc Antoine dans les nôtres... avec les lieux autour. Date : 1546.

Marc Antoine est un célèbre compagnon puis rival de Jules César. Paul Forlani est un célèbre graveur qui s'est spécialisé dans la reproduction de cartes anciennes. Que nous dit cette dédicace ? que Forlani a eu entre les mains une suite de cartes, croquis ou relevés, depuis l'époque de Marc Antoine jusqu'à son époque, dont il a fait une synthèse historique. Voilà pourquoi, sur la carte, le nom et la vignette de Lutèce voisinent avec le nom plus récent de Paris, non pas parce que ce serait un de ses quartiers, mais bel et bien parce que c'était son nom gaulois à l'origine. Voilà pourquoi Bibracte y figure alors que le souvenir de son nom était perdu depuis longtemps au temps de Forlani. Voilà pourquoi le mot "Bibracte" est mieux mis en évidence que celui de Chalon, car, au temps de César, c'étaient les capitales militaires qui faisaient l'Histoire. Tout cela pour dire que l'intention de Forlani étant de faire la carte de la Gaule, il me semble logique qu'il soit parti d'un relevé cartographique à usage militaire qui devait forcément exister au moment de la guerre des Gaules, document aujourd'hui perdu.

César écrit : La Gaule était divisée en deux confédérations de peuples. A la tête de l'une se trouvaient les Eduens, à la tête de l'autre, les Arvernes. Pendant de longues années, ils luttèrent les uns contre les autres avec une telle âpreté que les Arvernes et les Séquanes avaient dû faire appel à des mercenaires germains. Il en était passé environ 15 000 en Gaule. (DBG,I,31). Dès lors que l'on admet, comme le précise Strabon, que les Eduens se trouvaient entre la Saône et la Dheune, et non entre la Saône et le Doubs, comme je l'ai plusieurs fois expliqué, le militaire le plus ignare comprend aussitôt que les Eduens, maîtres de la Saône, étaient naturellement poussés par le vent de l'Histoire à s'étendre jusqu'à la Loire que contrôlaient les Arvernes depuis leur position stratégique du mont Beuvray, alias Gorgobina, Gergovina, la petite Gergovie.

En s'emparant de cette position, les Eduens étendaient leur territoire et contrôlaient dorénavant les deux voies du commerce les plus importantes de la Gaule. Ainsi s'explique l'appel des Arvernes à Arioviste pour renforcer la défense de la position. Ainsi s'explique le mouvement de l'armée éduenne de Mont-Saint-Vincent/Bibracte pour s'en emparer en empruntant le chemin qui y mène, chemin de crête, dit des druides, jalonné de pierres branlantes toutes plus mystiques les unes que les autres.

 Ainsi s'explique la bataille de Magetobriga de l'an 63 avant JC, 5 ans avant l'arrivée de César. Les historiens situent la bataille en plaine d'Alsace ? Certainement pas ! Magetobriga ? le grand pont, c'est l'antique bourgade de Mesvres, au bord de l'Arroux. Au Moyen âge, elle s'appelait encore Magobrium. Qu'on rajoute le “g” qui a disparu à l'usage et on obtiendra Magobrigum. Voilà le lieu de la grande bataille ! Il se peut même que les Eduens aient été attaqués par Arioviste alors qu'ils se trouvaient encore dans leurs camps de toile. Peut-être même n'avaient-ils pas franchi l'Arroux

Lettre de Cicéron à son ami Atticus, Rome, 15 mars. 6o avant JC

A. I. 19  Ce qu'il y a en ce moment de plus grave en politique, c'est la crainte d'une guerre dans les Gaules. Elle est déjà chez nos frères, les Éduens, qui viennent de livrer un combat malheureux. Les Helvètes sont sans doute sous les armes et ont fait des incursions dans la Province. Le sénat a décidé que l'on tirerait au sort les consuls qui iront commander dans les deux Gaules, qu'il y aura une levée de troupes, qu'on n'admettrait point d'exemption, qu'on nommerait des ambassadeurs, avec pleins pouvoirs, qui iront dans les cités des Gaules avec la mission de les dissuader de se joindre aux Helvètes. (traduction E. Mourey)

Le passage que je viens d'écrire est un extrait de mon "Histoire de Bibracte, l'épée flamboyante" que j'ai publié en 1995. J'ajoutais alors : "Mais où sont les tumulus ? Où sont les armes brisées et perdues ? Où sont les équipements des morts ? La parole est aux archéologues." Wikipédia me donne aujourd'hui la réponse en indiquant à Mesvres : "maison forte des XVe et XVI ème siècles (ancien prieuré), restes d'un camp retranché antique au signal de Notre-Dame-de-la-Certenue, vestiges celtiques et gallo-romains". Non, vraiment, il faut être d'une mauvaise foi incommensurable pour ne pas vouloir comprendre.

J'ajoute ce qu'Arioviste a dit à César lors de leur face à face dans la plaine d'Alsace : « Ce n'est pas moi qui ai commencé à faire la guerre aux Gaulois (aux Eduens et à leurs alliés), mais le contraire. Toutes les cités gauloises (de la confédération éduenne) qui sont venues dresser leurs camps contre moi pour m'attaquer (au Mont-Beuvray), je les ai vaincues. Il m'a suffi d'une bataille pour culbuter et repousser leurs troupes (jusqu'à l'Arroux). Si les Gaulois (de la confédération éduenne) veulent de nouveau tenter le sort, je suis prêt à me soumettre une nouvelle fois au jugement des armes. » (DBG I,44) Et César ajoute : « Arioviste avait donc vaincu une première fois (semel) les troupes gauloises à Admagetobriga ; à partir de ce moment-là, il imposa sa volonté ; et il ne dissimulait plus ni son orgueil, ni sa cruauté. » (DBGI,31)

Remarque : Si “Semel” est la bataille côté arverne qui s'arrêta au bord de l'Arroux, au pont de Magetobriga, et qui ne vit pas les Eduens livrer d'otages, “Iterum”ne peut évoquer que la bataille côté séquane où sombra la puissance éduenne et qui vit les Eduens livrer des otages aux Séquanes. Dans une très courte phrase, César dit par ailleurs (VI,12) qu'après les désastres subis par les Eduens, la partie la plus frontalière de leur territoire avait été occupée de force par les Séquanes. Cette partie — on le devine — correspond à la région des côtes, de Nuits-St-Georges (Vosne-Romanée) à la Cosanne prolongée de l'autre côté de la Dheune par la double muraille de Chassey-le-Camp. Les monts de Sène, côté séquane, de Rome et de Rème, côté éduen, sont des indices toponymiques très sérieux. C'est donc bien dans cette région, aux portes de Chassey-le-Camp jusqu'au Mont-Saint-Vincent qu'il faut localiser la deuxième bataille.

D'autre part, dans le discours qu'il prononça devant ses troupes à Besançon pour leur remonter le moral avant de marcher contre l'armée germaine d'Alsace, voici ce que César disait des Gaulois (nous précisons : des Eduens et de leurs clients) : Si la funeste bataille des Gaulois (la deuxième) et leur déroute (devant les mercenaires d'Arioviste) inquiètent certains d'entre vous, réfléchissez ! Arioviste avait établi ses camps dans les marécages et il est resté ainsi pendant un grand nombre de mois sans se manifester. Les Gaulois (les Eduens) ne purent le découvrir. Fatigués par une guerre qui n'en finissait pas, désespérant de combattre, ils avaient dispersé leurs forces. C'est alors qu'Arioviste, brutalement, les attaqua. C'est par l'habileté et l'intelligence tactique de leur chef que les Germains ont vaincu, plus que par leur valeur militaire. Arioviste lui-même sait pertinemment que les légionnaires que vous êtes ne se laisseront pas prendre à des ruses qui, à la rigueur, peuvent se révéler efficaces contre des hommes inexpérimentés qui n'ont pas la chance d'être romains...(I,40)
Après s'être infiltrés de nuit, les Germains restèrent cachés dans les forêts marécageuses de la région, ce qui en dit long sur leur rusticité et leur discipline. Puis, lorsqu'ils se rendirent compte que les Eduens avaient allégé leur dispositif, brutalement, une nuit, avant le lever du jour, ils se lancèrent à l'assaut des positions éduennes. Les combats dans la vallée, sur les monts d'Agneux, sur ceux de Santenay et de Chassey-le-Camp furent d'une rare violence. Inférieurs en nombre et surpris, les Eduens qui s'y trouvaient se firent tuer sur place, nous n'en doutons pas.

« Tous les nobles cavaliers éduens et tous les membres du Sénat périrent. » (I,31)

Alors, Arioviste, monté sur un cheval insigne, l'œil dur et le sourire narquois, s'approcha, suivi de son état-major de guerre.
  Le vergobret gaulois vint à sa rencontre et demanda la paix. Les familles les plus distinguées de la cité livrèrent leurs enfants en otages. Seul, Divitiac ne livra pas les siens ; il enfourcha un cheval et, avec eux, il s'échappa.

Le sénat romain avait été pourtant alerté du danger germain.
  Druide suprême de la Gaule, Divitiac s'était rendu à Rome avant tous ces événements. Cicéron l'avait hébergé. Il avait prononcé devant le sénat un discours historique dans lequel il avait prédit tous ces évènements (Panégyriques, Lat.8, par.3). On l’avait écouté, sans plus. N’ayant pas obtenu le soutien militaire qu’il pouvait espérer, Divitiac ne pouvait, logiquement, que se tourner vers un autre peuple disposant d’une armée, les Helvètes. Pour sceller la nouvelle alliance, son frère Dumnorix avait épousé la fille du chef helvète, Orgétorix.

Et là encore, il faut être d'une mauvaise foi incommensurable pour ne pas vouloir comprendre que si les Eduens ont fait appel aux Helvètes et aux Boïens, c'est aussi pour reprendre la position du mont Beuvray aux Germains d'Arioviste. 

J'ai expliqué l'intervention inattendue et surprenante de César qui a sauvé provisoirement Arioviste et les Germains du mont Beuvray, en remportant une victoire imprévue sur les Helvètes et les Boïens, à Sanvignes, puis son retournement contre les Germains d'Arioviste dans la plaine d'Alsace, la défaite de ces derniers, ce qui - ipso facto - a isolé leur tête de pont beuvraysienne. 

Ensuite, César écrit : "qu'à la demande des Eduens, il avait autorisé les Boïens à s'établir sur leur territoire (ou sur leurs frontières), parce qu'ils étaient particulièrement réputés pour leur valeur militaire. Les Eduens leur donnèrent des terres, et par la suite, ils les placèrent sur le même pied d'égalité qu'eux dans le cadre de leurs lois". (DBG I,28)

Frontières, territoire, il est clair que les Boïens ont été installés en deça de la Loire et non au-delà comme on le pense. Bibracte étant à Mont-Saint-Vincent, la position forte du mont Beuvray, oppidum offrant de larges vues sur les terres concédées, s'impose. Il ne fait pas de doute que les Boïens en ont chassé les Germains qui s'y trouvaient encore.

Les noms changent, les points forts du terrain perdurent. Encore merci au commentateur Rinbeau qui dans le débat que j'ai initié sur Agoravox depuis 2006 m'a fait connaître deux cartes anciennes dont j'ignorais l'existence. Incroyable ! comme le nez au milieu de la figure nous sautent aux yeux les deux principales voies de l'étain dont Strabon donnera plus tard les distances : la voie Sequanas remonte jusqu'à Verdun-sur-le Doubs avant de rejoindre par un court traget terrestre un affluent de la Seine ; l'autre voie rejoint la Loire par le couloir de la Dheune/Bourbince. Sur ces deux voies, deux capitales s'imposent : Cabillo et Bibracte
Nous revenons dans la logique militaire géographique. Chalon-sur-Saöne, ou plutôt Taisey sur la hauteur, commande manifestement les deux principales voies de l'étain. Sur la bretelle, la forteresse de Bibracte est en relai de Cabillodunum/Cabillo/Taisey/Chalon-sur-Sâone, laquelle localité, en toute logique, ne peut être que l'Alésia que Diodore de Sicile qualifie de métropole de la Celtique. Sur la carte, il suffit de descendre "Bibracta Challon" d'un centimètre pour les remettre à leurs emplacements logiques.

Enfin, cerise sur le gâteau, cette carte ancienne nous permet de comprendre la logique militaire de cette époque d'une façon beaucoup plus intelligente que celle dont on nous bourre le crâne à force de gauloiseries. Célèbre population vivant sous les armes, réputée pour sa bravoure, c'est une fraction du peuple boïen qui accompagnait les Helvètes auxquels les Eduens avaient fait appel. Ce sont ces Boïens que César installa au mont Beuvray à la demande des Eduens. Les historiens pensent qu'ils ont, par la suite, émigré à Autun dans la ville nouvelle. Certainement pas ! 

Dans son célèbre discours "Pour la réparation des écoles, V, IV, 3 ", le rhéteur Eumène écrit que, non contents de reconstruire la ville d'Autun, les empereurs y avaient fait venir des ouvriers d'outre-mer, et des colons choisis parmi les plus illustres familles des provinces, et donc politiquement choisis... politiquement "pro-romains". Mais alors, où sont partis les Boïens que César avait installés au mont Beuvray ? Réponse : sur la Loire et au-delà pour y étendre la puissance éduenne. La preuve sur les deux cartes anciennes : Borbon Boii, Bourbon-Lancy, le Borbonois des Boïens... le Bourbonnais.

Emile Mourey, 3 décembre 2021

 



24 réactions


  • Clark Kent Schrek 4 décembre 2021 10:29

    Dans « La Guerre des Gaules » (et non pas de la Gaule), César écrit aussi :

    «  Fere libenter homines id quod volunt, credunt. (Les hommes croient volontiers ce qu’ils désirent.) »

    A méditer.


    • Rinbeau Rinbeau 4 décembre 2021 11:07

      @Schrek

      Certes, il est toujours bon de méditer ce genre de maxime !
      Mais en l’occurrence, prenez une carte moderne et la carte ancienne dont parle M Mourey et comparez sur les deux la position de Bibracte (voir le Mont Beuvray. et le Mont saint Vincent). On pourrait répondre que la carte ancienne est moins précise que les cartes modernes et donc qu’elle est fausse !
      Hé bien je vous assure, pour avoir éplucher toutes les cartes de la BNF que plus les cartes sont récentes plus les localisations anciennes se font évanescentes, jusqu’à les perdre littéralement ! Ce fut pour moi une grande surprise, assurément on dirait que les cartes anciennes ont mieux imprimées le souvenir des localités anciennes.


    • Emile Mourey Emile Mourey 4 décembre 2021 12:50

      @Rinbeau

      Merci ! Votre témoignage est très important pour la recherche historique. Je prépare un nouvel article ; cette fois, sur la carte de Peutinger mais je fatigue.
      Cordialement


    • Rinbeau Rinbeau 4 décembre 2021 13:07

      @Emile Mourey

      bonjour monsieur Mourey !
      ça tombe bien car je me penche moi aussi ces derniers temps sur cette carte de Peutinger que vous m’avez fait connaitre et qui m’intrigue au plus haut point !
      Car lorsque l’on regarde coté ITALIA On trouve POMPEIS HERCLAUNUM NEAPOLI (je n’ai pas encore vue Florence), Mais lorsque l’on regarde coté Gallia, où donc est passée la Gaule décrite par César dans la guerre des Gaules ??


    • Rinbeau Rinbeau 4 décembre 2021 13:32

      @Rinbeau

      D’ailleurs ITALIA n’est pas explicitement inscrit à la différence ROMA, avec un personnage sur un trône qui semble indiquer le centre du monde de cette époque !
      Mais laquelle non de nom ?


    • Emile Mourey Emile Mourey 4 décembre 2021 13:34

      @Rinbeau
      Et si on avait consulté ces cartes, on aurait constaté que les trois bourgs des Séquanes étaient Dijon, Besançon et ? et il n’y aurait pas eu de polémique d’Alésia.


    • Clark Kent Schrek 4 décembre 2021 13:44

      @Rinbeau

      La Gaule, Gallia en latin, est une invention linguistique des Romains qui nommaient galli les tribus  menaçant le nord de la péninsule italique à partir du IVe siècle avant notre ère. C’est une zone géographique, pas un pays. Gallia correspond à l’espace occupé par ces galli. La première « Gaule », pour eux, était donc sur le territoire de l’Italie actuelle (Gaule cisalpine = Piémont + Lombardie).

      Quand César a atteint le Rhin, c’est lui qui a décrété que ce fleuve serait désormais la frontière entre deux régions romaines colonisées (d’où le nom de Cologne, d’ailleurs) : Gallia et Germania, espaces purement géographiques et non pas politques, occupés par de nombreux peuples non fixés et toujours susceptibles de migrer en masse dans des zones espérées plus accueillantes (ce qui a amené César à embaucher des mercenaires éduens pour stopper une migration helvète qui voulait aller s’installer en Gironde). Et jusqu’à la « chute de l’Empire romain d’Occident », « la Gaule » est restée cette fiction géographique.

      Au IVe siècle de notre ère, aucune entité administrative de l’Empire ne portait ce nom. Les grandes migrations d’autres peuples venus de l’est et du nord, qui ont contribué à la disparition de l’Empire romain, ont fait naître de nouvelles configurations aux limites flottantes, les royaumes dits « romano-barbares » (la Burgondie des Burgondes non celtes future Bourgogne, Aquitaine des Visigoths pas plus celtes, l’Allemanie de germains, l’Austrasie d’autres germains…).

      Mais au début du VIe siècle, les Francs (l’un de ces peuples germains venus de l’est) ont réussi grâce aux succès militaires de Clovis (petit roi de Tournai soutenu par l’Église à laquelle il avait prêté allégeance à travers une deal appelé « baptême »), à imposer leur domination sur la plupart des autres royaumes. Dans la deuxième moitié du VIIIe siècle, tandis qu’au sud des Pyrénées, des califes arabo-musulmans gouvernaient l’Espagne (l’université de médecine de Montpellier a été fondée par les Arabes), Pépin le Bref, un grand d’une autre famille franque, les Pipinides (futurs Carolingiens), s’est emparé de la royauté franque par un « coup d’État » et il a été sacré « roi des Francs » par le pape soi-même. Charles (Charlemagne), son fils, a été proclamé empereur en 800. Les royaumes placés sous la souveraineté des Carolingiens s’étendaient de l’océan à l’Elbe, la Bretagne restant à l’extérieur. L’histoire des conflits et des partages ultérieurs du grand royaume des Francs est complexe et mouvante. L’idée de l’enchaînement d’une histoire « de France » se déroulant des Gaulois aux rois capétiens est fausse.

      Un royaume dit « de France » (regnum Franciae en latin) n’apparaît dans les textes que vers le XIIIe siècle. Annexer Clovis et Charlemagne à l’« histoire de France » est donc abusif. D’ailleurs, pour les Allemands, Charlemagne était allemand, et i parlait en effet allemand. Une viste d’Aachen (Aix-la-Chapelle est instructive à cet égard).

      Ces siècles ont connu, en Europe occidentale, des brassages, des métissages de populations et une très lente transformation des parlers. Dans le cloisonnement de ruralités aux communications difficiles, les langues foisonnaient, le latin demeurant celle de l’écrit, des manuscrits, des clercs et des chancelleries. De grands ensembles linguistiques encadraient cette diversité.

      A cet univers multiethnique et multilingue, la puissante Église catholique, héritière de l’administration romaine, régie par le pape et les évêques, a conféré au long des décennies une unité spirituelle et structuré en diocèses (notion romaines) les royaumes qui devenaient des embryons d’états. Elle a aussi cautionné le nouveau système de relations sociales, la féodalité, qui s’est diffuse au IXe et au Xe siècles : la société dite d’ordres qui a établi une stricte hiérarchie entre ceux qui priaient, ceux qui combattaient et ceux qui ‘travaillaient’ pour nourrir tous les autres.

      Le Xe siècle a vu la lente ascension d’une nouvelle famille franque venue d’Austrasie, les Robertiens, futurs Capétiens. On leur chercherait en vain des ancêtres gaulois. La notion romaine de Gaule survivait fugitivement dans les hautes sphères de l’Église, mais les ancêtres des Capétiens, ‘rois de France’ au XIIIe siècle, sont des guerriers francs descendant des légendaires Troyens vaincus par les Grecs au temps du roi Priam. L’origine troyenne des Francs est racontée dans la première grande histoire à la gloire des rois de France rédigée au XIIIe siècle par les moines de l’abbaye de Saint-Denis. Pas trace d’ancêtres gaulois dans ces grandes ‘Chroniques de France’ ni dans aucune ‘histoire de France’ jusqu’au XIXe siècle !

      Les Gaulois avaient fait leurs premières apparitions avec les grands bouleversements intellectuels et techniques des XVe et XVIe siècles  : l’humanisme, l’imprimerie, la redécouverte des textes de l’Antiquité. Certains écrivains qui, comme tous les contemporains, pensent que l’origine de l’humanité est écrite dans la Bible, ont substitué les Gaulois aux Troyens comme ancêtres des Francs, et ils les ont décrits comme un peuple fabuleux descendant de Noé, le patriarche dont l’arche a sauvé l’humanité du Déluge.

      Au XVIIIe siècle, les débats autour des ‘Gaulois’ se sont modifiés en s’idéologisant. Ancêtres du peuple, les théoriciens officiels les ont opposés aux ‘Francs’ qui auraient été les ancêtres des aristocrates. Dans une telle perspective, la Révolution de 89 aurait donc constitué le triomphe des ‘Gaulois’.

      Au XIXème, un peu partout en Europe, naissent les nationalismes et l’idée que les nations nouvelles ou à former descendent d’un peuple primitif. Pour les historiens français héritiers de la Révolution, les Gaulois auraient été ce peuple primitif. Du coup, ils sont devenus alors l’objet de savantes études ou d’imageries populaires (grands, blonds, longues chevelures, teint clair…). Le personnage de Vercingétorix a alors été imaginé, à partir d’une phrase ambiguë de César, comme le premier de nos héros (inconnu avant le XIXe siècle) et de pièces de monnaie qui faisaient figurer un totre et non pas un patronyme : « le chef des guerriers ». Il est entré en fanfare dans les manuels d’histoire du Second Empire puis de la République.

      La lecture du passé français à travers la grille d’une Gaule qui préfigurerait la ‘nation’ a des effets pervers : elle conditionne spatialement le passé autour du seul Hexagone, elle confère à la durée de la présence sur le sol hexagonal présumé ‘gaulois’ une vertu quasi-magique au nom d’une antériorité généalogique qui serait synonyme de supériorité., et l’idée d’une souche gauloise ethnicise le fantasme d’une ‘véritable’ nation en niant la diversité ethnique et culturelle qui a constamment accompagné la création historique du pays.

      Comment, dès lors, voulez-vous que le mot « Gallia » figure sur un document qui, en outre, n’est pas une carte mais une figuration graphique d’itinéraires indiquant les grands carrefours et bifurcations ? Ce serait anachronique.


    • Rinbeau Rinbeau 4 décembre 2021 13:51

      @Emile Mourey
      On pourrait penser à Chalon mais plutôt 
      Certainement Bibracte !


    • Rinbeau Rinbeau 4 décembre 2021 14:22

      @Schrek

      Je connais la version plus où moins officielle de l’histoire de France merci !

      Comment, dès lors, voulez-vous que le mot « Gallia » figure sur un document qui, en outre, n’est pas une carte mais une figuration graphique d’itinéraires indiquant les grands carrefours et bifurcations ? Ce serait anachronique.

      EFFECTIVEMENT POURQUOI GALLIA sur une carte du 16ème siècle et l’emplacement précis de Bibracte complètement oublié dès le 18ème siècle !


    • Emile Mourey Emile Mourey 4 décembre 2021 14:33

      @Schrek

      Désolé pour votre leçon magistrale. Les Helvètes n’ont jamais voulu menacer la Province romaine en allant jusqu’en Gironde. César a fait une connerie - une bavure, comme on dit en termes militaires  en les attaquant ; il faut bien qu’il se justifie. Votre Histoire est à revoir.
      Cordialement


    • Emile Mourey Emile Mourey 4 décembre 2021 14:39

      @Schrek

      ...une belle connerie... une bavure


    • Clark Kent Schrek 4 décembre 2021 15:35

      @Emile Mourey

      vous avez des amis helvètes qui vous ont dit la vérité ?


    • Rinbeau Rinbeau 4 décembre 2021 15:45

      @Schrek

      Les helvètes connaissaient la Gironde ? Les Parisiens commencent juste à la connaitre !


    • Clark Kent Schrek 4 décembre 2021 16:44

      @Rinbeau

      ils connaissaient l’estuaire, oui, pas le département, forcément, de la même façon que personne ne connaissait LA GAULE qui n’existait pas. Ce qui existait, c’était des « pagis », des territoires peuplés par ce que les gens politiquement corrects actuels appelleraient des communautés ! Ce mot « pagis » est souvent traduit par « tribu » ou « clan », mais en fait, c’est le mot « pays » qui devrait avoir le même sens que ce mot qui l’a engendré. Les soldats de la première guerre mondiale étaient réconfortés quand ils rencontraient un « pays », c’est-à-dire un gars de chez eux, un sens qui n’est plus usité aujourd’hui, le mot « pays » n’ayant conservé que son sens territorial, géographique et perdu son sens ethnologique.
      Un « pagis », ce n’était pas un état-nation, mais un ensemble homogène de familles qui s’étaient attribuées un territoire, respecté par les autres « pagis », mais pas figé dans le marbre, un peu comme les peuples d’Amérique du Nord avant l’arrivée des Européens.
      Pour ce qui est des Parisiens actuels, le changement de système pour les plaques d’immatriculation a porté un coup de grâce à leurs tentatives de s’intéresser à autre chose qu’à leur nombril !


    • Emile Mourey Emile Mourey 4 décembre 2021 17:39

      @Schrek
      Ayant appris que le gouverneur de la Gaule Narbonnaise (César) avait fait couper le pont de Genève, ils lui envoyèrent une ambassade composée des personnages les plus en vue de leur pays. A leur tête se trouvaient Nameius et Veroductius. Ils dirent à César qu’ils avaient l’intention de traverser la Province sans y causer aucun dommage, et ils lui demandèrent l’autorisation de suivre cette voie.
      César répondit aux envoyés qu’il lui fallait du temps pour réfléchir. Il leur donna rendez–vous au treize avril.(De Bello Gallico)...
      Et il ne s’agit là que de la Province des Allobroges ; mais je vous accorde le fait que les directives qui lui étaient données par le sénat étaient loin d’être claires.


  • SilentArrow 4 décembre 2021 12:03

    Sur la seconde carte, au coin inférieur droit, il y a le mot « Héduens » avec un « H ».


    • Emile Mourey Emile Mourey 4 décembre 2021 14:46

      @SilentArrow

      Oui, peut-être parce que c’est l’orthographe d’origine, je ne sais pas ; mais cela peut être une simple variante en orthographe.


  • Antenor Antenor 4 décembre 2021 17:13

    Le territoire éduen limitrophe annexé par les Séquanes (DBG 6.12.) ne peut être que l’Auxois mandubien. Pour permettre aux Germains de rejoindre le Morvan depuis la Côte d’Or (citadelle de Vergy) et maintenir leurs communications avec eux ; les Séquanes ont forcément dû effectuer une percée au Nord du territoire éduen. Voilà pourquoi César n’est pas très clair sur l’appartenance politique des Mandubiens, anciens Eduens sous domination séquane à la frontière des Lingons.

    La bataille d’Admagetobriga a eu lieu à Mesvres, plus aucun doute là-dessus. Par contre, pourquoi situer la seconde bataille à l’opposé ? Si la bataille entre César et les Helvètes n’a pas eu lieu à Montmort, on peut cependant remarquer qu’à côté de Montmort se trouvent les marécages de la Boulaye et en déduire que c’est dans ce secteur qu’il faut placer la seconde bataille entre Eduens et Germains.

    https://adessertenne.pagesperso-orange.fr/un_projet_routier_dans_l_autunois_au_18e_s._373.htm


    • Emile Mourey Emile Mourey 4 décembre 2021 17:58

      @Antenor

      Je viens de jeter un oeil sur votre pièce jointe du projet routier ; Très interessant au sujet de Toulon-sur-Arroux etc...
       Concernant les marécages où Arioviste et ses troupes se sont cachés, je vous confirme qu’ils existent bien dans ma région.


    • Emile Mourey Emile Mourey 4 décembre 2021 19:34

      @Antenor

      @Antenor

      Montmort ? Certainement pas !
      La partie annexée par les Séquanes ? Je maintiens que c’est le cours supérieur de l’Arar et donc la région dont on sait, par César, que c’était une raison de litige à cause des péages. En revanche, votre commentaire jette le trouble dans mon esprit. J’ai fait attaquer Bibracte/Mont-Saint-Vincent par les Séquanes et Arioviste ? Il faudrait retrouver les forêts marécageuses où les Germains se sont cachés pendant de longs mois ? forêt de Citeaux ? Arioviste n’aurait-il pas plutôt attaquer les Eduens de Chalon/Cabillo ? Forêt de Citeaux ? Si c’est Chalon, cela voudrait dire que les notables etc... après s’être mis à l’abri à Mont-Saint-Vincent/Bibracte, sont revenus dans la ville. Si c’est le Mont-Saint-Vincent, il faut retrouver le marécage, s’il existe.


    • Antenor Antenor 5 décembre 2021 20:46

      @ Emile

      Je postulais que la Côte-d’Or était déjà séquane avant le conflit avec les Eduens. Mais qu’ils l’aient conquise aux cours des combats ne change pas grand chose ; pour atteindre le Morvan, il leur fallait couper à travers le territoire éduen jusqu’à l’Yonne.

      Les Helvètes poursuivis par les Romains empruntent sans problème l’axe Dheune-Bourbince. Ce n’est qu’à Toulon-sur-Arroux qu’ils décident de faire demi-tour vers Bibracte. Ce qui signifie que les Séquanes et leurs supplétifs germains n’ont pas réussi à franchir l’Arroux-Drée. Le pagus de Mont-Saint-Vincent n’a pas été envahi. Si les Séquane s’étaient emparés de Uchon et Montcenis, je vois mal les Helvètes aller se promener sous leur nez alors qu’ils avaient déjà les Romains aux trousses. Et la frontière en ligne de crête entre le plateau d’Autun et la Côte-d’Or devait toujours être verrouillée par la citadelle de Couches, les Séquanes n’ayant pas dépassé Nolay. Pour atteindre le Morvan, ils ont dû passer plus au Nord, c’est à dire par l’Auxois.

      Lorsque César intervient en Gaule, la majorité de l’armée d’Arioviste se trouve encore en Germanie. Les Germains déjà présents en Gaule n’en constituaient qu’une avant-garde utilisée comme supplétifs par les Séquanes. Les Eduens se sont alliés aux Helvètes précisément pour anticiper l’arrivée en nombre de l’armée d’Arioviste en cours de constitution. A Admagetobriga, Arioviste a sans doute laisser les Gaulois s’entretuer, n’engageant qu’une faction de son armée. Il n’avait plus ensuite qu’à se baisser pour récupérer le leadership sur la Gaule.

      César ne le dit pas mais la seconde bataille livrée par Arioviste contre les Gaulois ne semble pas avoir été un succès éclatant, plutôt un match nul. Je pense qu’il a tenté de franchir l’Arroux depuis le Morvan et que les Eduens ont réussi à le repousser. Il est ensuite retourné en Germanie pour renforcer son armée. Je ne connais pas assez bien la région mais les marais ne pourraient-ils pas être constitués par toutes les petites vallées des affluents de l’Arroux qui descendent du Morvan ?


    • Emile Mourey Emile Mourey 5 décembre 2021 22:15

      @Antenor
      Actions de guerre tout ce qu’il ta de plus classiques. A Magetobriga, l’armée éduenne est surprise de nuit dans son camp. A Chalon ou à Mont-Saint-Vincent, les Eduens sont assiégés jusque dans leur forteresse. ils rendent les armes. Les notables sortent des portes pour demander la paix. Leurs enfants sont livrés en otages.
      Le seul problème, c"est la Ministre, c’est la DRAC, c’est la presse, ce sont les médias. Quant à nous, c’est un autre combat que notre ami Rinbeau a initié concernant l’interprétation des cartes anciennes... c’est un autre combat. Merci de nous accompagner.


    • Emile Mourey Emile Mourey 5 décembre 2021 22:28

      @Antenor @ Rinbeau

      Voyez mes deux articles proposés en modération


    • Emile Mourey Emile Mourey 6 décembre 2021 16:24

      @Antenor @ Rinbeau

      Nouvel article paru ce jour as Peutinger


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