jeudi 20 février 2020 - par Nicole Cheverney

La Grande muette ou la Grande bluette ? (Pamphlet)

Le 7 février 2020, E. Macron, à la 27e session de l’École de Guerre, s’est fendu d’un discours long, long, long comme le fleuve Amazone, devant l’État-major et un parterre de militaires, pour la plupart simples gradés ou haut-gradés, des quatre corps d’armée. Si bien que nous nous demandons si les porteurs d’uniformes à qui ce discours amphigourique et soporifique s’adressait, ont tout compris de cet exposé interminable des projets macroniens pour l’armée française. Nous nous posons également la question de savoir si Macron croit réellement à son déballage de lieux-communs, là où il se contredit en permanence.

Certains de ces militaires semblaient s’être réfugiés dans l’éther de leurs secrètes cogitations ou aspirations, ou directement dans les bras de Morphée, la paupière lourde et le bâillement discret, pendant qu’à leurs oreilles résonnaient le ronron présidentiel, largement amplifié par les micros branchés devant l’orateur. Un vrai cas d’école, au milieu de ce bel endormissement général.

Dans la troupe, dit la chanson, « Y’a pas d’ jambes de bois, y’a des nouilles mais ça n’ se voit pas  » ! Mais ici, ce rassemblement ne comptait que l’Élite du galon et de la barrette, des « cerveaux », des « intelligences », fait difficilement contestable au vu du nombre de sardines et décorations arborées par nos valeureux soldats sur leurs uniformes bariolés.

D’autant plus que l’armée française – après 15 siècles d’indépendance souveraine militaire d’une armée de défense face à nos nombreux ennemis héréditaires ou occasionnels, et au cours des nombreux conflits ou invasions qui jalonnèrent notre histoire – s’est vue jetée, d’un coup, par la magie du politique, dans les bras de l’OTAN ! C’est un peu comme si Merlin l’enchanteur avait transformée du bout de sa baguette notre belle armée tricolore cocardière et fière de le chanter, en bande de « gueux » au service de puissances étrangères, sous haut-commandement étranger et mobilisée par une « cinquième colonne intérieure », par exemple, sur des théâtres d’opérations dont les intérêts sont tout, sauf en direction de la France et des Français ! On se pose la question : quels bienfaits pour la France et le monde, d’aller renforcer des théâtres d’opérations en Afrique ou en Asie Mineure ? Pour des multinationales ? Pour les pétroliers ? Pour le complexe militaro-industriel ? Pour les marchands d’armes ? Il est vrai que depuis quelques années, le mot France rime avec Finances !

L’Otan, à laquelle nos valeureux soldats franchouillards n’ont jamais rien demandé, s’invite donc malgré eux, dans leurs cantines bien enfouraillées de notre belle Nation, sans oublier avec le package, les hommes, les équipements au grand complet, et bien entendu, le commandement intégré – matériel et bases logistique, et toutes les casernes qui vont avec ! Et avec tout cela, silence, motus, pas un mot de la part des galonnés, le jour où Sarko a vidé l’armée française de sa substantifique moelle : son indépendance totale, déjà bien compromise par ses prédécesseurs.

Sarkozy n’eût pas achevé comme il le fallait sa mission, sans verser l’armée tricolore dans le commandement intégré de l’OTAN, sans fermer les trois-quarts des casernes dans le pays, créant ainsi un grand vide économique dans les villes et les bourgades, qui, depuis des lustres, abritaient les casernes de nos quatre armées, les militaires et leurs familles. Cela faisait de la population et tout le monde y trouvait son compte. Après la fermeture de nos casernes et le départ de nos militaires, l’arrêt progressif ou brutal des industries liées à l’armement, pour ces villes et bourgades, grâce à Sarkozy surnommé l’Américain, commença leur lente agonie économique. Car le style Sarkozy ne cessera jamais de nous époustoufler.

Sarkozy, Hollande, Macron ! Une triade présidentielle et notre émerveillement constant pour la conduite des affaires militaires tricolores, à son comble ! Faisons donc une petite visite de courtoisie à nos chers Présidents de la République successifs, et jaugeons par la même occasion les fameuses valeurs militaires qui les animent. « Chefs des armées », titres conférés par la Constitution à tous les présidents de la république, depuis 1958 !

5eme République, avec une Constitution du tonnerre de Zeus, faite tout spécialement pour le Grand Charles, Général de Gaule ! Militaire de métier, dans l’âme et dans son corpus idéologique.

Rien de tout cela chez ses successeurs.

Pompidou ? Un ancien de chez Rothschild, grand intellectuel, mais véritable rond de cuir ! « Chef des armées » nous semble tout à fait superfétatoire, au point de vue titre et fonction.

Giscard ? Tout pareillement. De plus, jouant de l’accordéon, il eût été en tant que Chef des Armées, bien plus inspiré de jouer du clairon, bien qu’il excellât au pipeau !

Et Puis Mitterrand ! là, les choses se rapprochent, l’être et la fonction ! Un vieux de la vieille, dirons-nous, la rose au bout du fusil ! Et à l’autre bout du fusil et de la rose, tenus en respect, ses généraux et ses ministres de la Défense. L’on se souvient du vieux Charles… Hernu, porteur de chapeau, militaire aussi dans l’âme, jusqu’au jour où un simple rafiot de Greenpeace et son explosion dans les lagons du Pacifique nous firent entrevoir les coulisses de l’exploit de la Mitterrandie. Ils aiment l’uniforme mais relégué au rang de petits soldats de bois, justes bons à défiler les 14 juillet sous le cagnard estival et le 11 novembre sous la drache parisienne ! Du parasol au parapluie, nous remarquerons le bel usage qu’ont fait de l’armée, tous nos présidents sourcilleux du bien-être de notre belle armée tricolore fidèle et entraînée, qui n’a jamais failli sur les Champs Élysées. Et croyez-moi, ils mettent du cœur à l’ouvrage pour défiler en plein été, sous le cagnard, c’est tout de même une sacrée performance. Et en prime, en passant devant la tribune officielle, avoir, en tant que troufion, gradé ou pas, l’insigne honneur et privilège de saluer la main au coin du képi, le Chef des Armées lui-même ! Que d’émotion, que d’émotion ! C’est comme si vous eussiez aperçu Pharaon, perché, avec au-dessus de lui Râ l’irradier ! Manque plus qu’une pyramide comme décor de fond et le tableau est complet.

Chirac ? Fanfan au pays de la tête de veau ! Résonnez tambours, sonnez clairons ! Confondre la légion étrangère avec le cul des vaches ou la sauce Gribiche, cela ne donnera jamais un bon soldat ! Mais reconnaissons à notre regretté Chichi, que pour une fois, il fit fort en nous évitant de gaspiller nos bombes et missiles sur la tête des Irakiens. Grand Chef des armées, fumer calumet de la paix avec Saddam Hussein. Madame Garaud avait beau lui trouver le charme de l’émail des bidets, pour une fois, le charme du grand Jacquot alla tout droit aux bidasses et leur évita un carnage, ou plutôt une Busherie à laquelle il refusa de s’associer. Nous lui en rendrons grâce éternellement. Grâce que nous lui refuserons tout de même, personne n’est parfait, pour son allégeance à l’OTAN et sous couvert de l’UE, lorsqu’il lui prit l’idée de bombarder la Serbie, en compagnie de ses joyeux camarades Yankees et Rosbeef !

Sarkozy, quant à lui, c’est autre chose. Là, on touche au sacré, nous avons un inspiré doublé d’un hypocondriaque de la chose militaire. Chef des armées, titre qu’il confond certainement avec celui de ministre de l’Intérieur, conduisant ses militaires comme l’on conduit des armada de flics, CRS, bœufs-carottes ou autres. Et d’ailleurs, pour mieux marquer son empreinte intérieure, notre bien-aimé Sarkozy dit l’Américain, confondant les uniformes, s’adjoignit le droit en tant que chef des armées, de mettre gendarmes, soldats et policiers sous la même oriflamme, pour les futurs combats de rue, le maintien de l’ordre, les patrouilles dans les rues, etc. !

Vous avouerez que mélanger la maison Poulaga avec Saint-Cyr Koet-Quidan relève d’un savoir faire de Premier charcutier médaillé et cordonné de France, lauréat ! Premier prix : une Rollex !

Hollande ! Chef des armées – désarmées ! Hollande ce fut le plat pays de la chose militaire, la raplaplatitude du haut commandement. Son principe est simple et sans adjuvants : je laisse tout aux mains de mes copains de Washington jusqu’à Vilnius, en passant par Bruxelles, c’est l’UE qui me le demande, vous comprenez mes chers compatriotes, mes amis milliardaires ne comprendraient pas, bla, bla, bla…, que j’aie une once d’initiative, moi, vous savez, on me passe commande et je livre le tout clé en main !

Car, si « les choses civiles sont bien trop sérieuses pour les laisser aux militaires », « les choses militaires sont bien trop délicates, pour les laisser aux mains de n’importe quel civil ».

Avec ce XXIe siècle qui n’arrête pas de commencer depuis 20 ans cette année, nous aurons donc, l’apothéose avec des ministres des armées issus de la société civile, ou bien, des fonctionnaires ENArchisés, qui ne connaissent de la chose militaire strictement rien, rien et toujours RIEN ! Mais, ils sont sauvés, car toutes décisions ne sont plus prises directement depuis Paris, mais depuis Bruxelles, l’UE d’abord, ensuite Washington, par le grand tour de passe-passe que j’évoque plus haut. l’OTAN les siffle, ils rappliquent.

Et l’armée dans tout ça ?

J’y viens. C’est bien pour cela qu’on l’a surnommée la « grande muette » ! Elle se tait, elle est calme comme une mer d’huile. Chut, pas un mot ! Parfois, une tête dépasse, celle d’un général 5 étoiles qui hausse du col pour hausser le ton, qui vitupère, qui dérange le pouvoir, sans pour autant le déranger tout fait. Car tout « chef des Armées » qui se respecte sait jusqu’à quel point, l’âme humaine est faillible. Un pet de travers ? Un général qui a une crise d’urticaire ? Hop ! on le vire à grands coups de canon médiatique, car toute guerre d’influence entre politique et soldats alerte et voit rappliquer tout le Barnum du petit écran et des radios pour informer le bon peuple qu’en haut-lieu, ça coince du képi et de la gesticule ministérielle. Les sanctions pleuvent, les démissions, avec la rémission des péchés républicains, vous me réciterez trois Pater et deux Ave ! Bien, chef ! Et pour ceux qui la jouent trop remuants, quelques petites gratifications supplémentaires seront accordées, aux généraux, en veux-tu, en voilà, il y en a légion !

Le doigt sur la couture du pantalon, certains de la gente à képi, badent leur « chef des Armées » ! Nos grands-pères à moustaches les appelaient les « fayots » ! Et un fayot, qu’est-ce qu’il sait faire de mieux sinon de fayoter ? On croirait les entendre d’ici : « Oh ! dis-moi donc, mon chef des Armées adoré, r’joues moi en, d’la trompette, d’la trompette ! Oh ! Je t’en prie, Oh mon Superbe, r’joue moi zan ,zan, zan ! »

Popu, lui, il s’en fout, il subit, tout ! Car de son armée tricolore, il n’y croit plus. Il sait qu’elle ne ressemble plus à grand-chose de ce qu’il a connu dans sa jeunesse, aux temps des bidasses en folie, de ce qu’en disaient ses pères et ses aïeux, il sait que la France, elle n’existe quasiment plus et quand un vieux chanteur botoxé ramène sa fraise sur les plateaux de télé pour lui faire sa petite leçon de patriotisme en égrenant ses éternelles resucées : »Si les Ricains n’étaient pas là.. gna, gna, gna... » ! eh bien, Popu, il hausse les épaules. A quoi tient-elle encore sa France en lambeaux ? Par le cœur de son peuple ?

Oui, lui, il est encore là, il bat sous son gilet jaune, simple comme un manifestant, comme un gréviste, celui qui courageusement va se faire défoncer le crâne à coups d’hypocrites munitions, avec blessures semblables à celles des gueules cassées de leurs aïeux dans les tranchées. Popu défile sur les grands boulevards, à Paris et dans les grandes villes de France pour manifester, droit fondamental qu’on lui refuse par ceux qui ne sont pas dans le même camp que lui, ce droit inaliénable du petit contre le puissant ! Oui, « les cœurs purs », comme chantaient le grand Roger Caussimon.

Et au milieu de tout cela, une armée française devenue l’ombre d’elle-même, au service exclusif de la puissance tutélaire d’un Empire décadent, certes, mais qui n’en reste pas moins infiniment toxique pour les peuples de la terre. Parfois, parmi ces gilets jaunes, une petite note d’espoir, certains relèvent la tête comme ce haut-gradé qui a endossé le gilet jaune et parcourt avec les autres, depuis des mois, les boulevards parisiens. Cet homme est âgé et il n’est pas besoin d’être devin pour ressentir son écœurement.




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