La haine pour gouverner
Je suis favorable à la vaccination contre la CoViD et je pense fortement que dans le cadre d’une bonne gestion de la pandémie le courage politique aurait été de rendre la vaccination obligatoire. Aucun pays ne l’a fait d’emblée, certains s’y résolvent au bout de deux ans de propagation du virus. Aujourd’hui, en France, acculé par la puissance constante du virus que ce soit sa forme Delta ou celle Omicron, après une stratégie en forme de valse-hésitation on accumule les sanctions et les coercitions sociales pour forcer les gens à se faire vacciner alors que la vaccination n’est toujours pas obligatoire. Cette politique sanitaire autoritaire interroge en elle-même quant à son efficacité mais aussi parce qu’elle s’ajoute, depuis 2015 notamment, à un arsenal de lois qui restreignent fortement la liberté des individus, à tel point que l’opinion publique est asphyxiée.
Dans un tel contexte coercitif il n’est pas étonnant que le public cherche un bouc émissaire responsable du désordre hospitalier : les non-vaccinés. Outre que ceux-ci sont une cible facile, on peut penser que chacun se sent responsable de n’avoir pas suffisamment montré d’hostilité face aux gouvernements qui ont supprimé 75 000 lits dans les hôpitaux entre 2003 et 2019 et plus de 5700 en 2020. Dès lors l’aubaine est trop belle pour les gouvernants du pays qui s’en saisissent pour masquer leur politique hospitalière délétère derrière les non-vaccinés et décide de les emmerder.
Curieux vocable que celui-ci : emmerder. Il ne s’agit là d’un mot ni familier ni populaire, mais d’une vulgarité et d’une insulte. Que gagne-t-on à insulter les gens ? Plus grave, cette insulte qui rabaisse et stigmatise ceux de qui elle parle, conforte tous les ostracismes à l’instar de cette personne travaillant en EHPAD qui lors d’une rencontre avec le chef de l’État organisée par un journal quotidien suggérait qu’on puisse ne pas admettre les non-vaccinés en réanimation : « Et vous n’allez pas en réanimation ? » Depuis il n’est pas un jour sans qu’un médecin, un journaliste vienne sur les plateaux de télévision ou s’exprime dans les journaux pour s’exprimer sur ce sujet : si on fermait l’accès à la réanimation aux non-vaccinés, si on leur faisait payer les soins..., ouvrant ainsi la voix à toutes les idées plus ou moins nauséabondes suivant lesquelles on devrait faire payer les soins aux fumeurs atteints d’un cancer, par exemple... Demain ce sera quoi : on ne soigne plus les victimes d’un accident si elles sont à l’origine de l’accident, non plus les handicapés parce qu’ils coûtent à la société, les allocataires du RSA, les chômeurs ? D’ailleurs la pieuvre du désastre n’est pas loin puisque déjà au Canada les chômeurs ne percevront plus leur allocation s’ils ne sont pas vaccinés.
Pierre-Henri Teitgen[1], résistant et homme politique, un des pères fondateurs de l’Europe, disait « que les démocraties ne deviennent pas nazies en un jour : le mal progresse sournoisement avec une minorité opérant pour supprimer les leviers de contrôle. » Ne sommes-nous pas en train d’assister à un tel mouvement où un des fondements de notre société est remis en cause : la fraternité, et avec elle son corollaire : la solidarité ?
Que des journalistes à l’envie de la notoriété quel qu’en soit le prix naviguent sur cette vague de sottise puante. Plus grave est que des soignants et des médecins rejoignent ce courant, leur fatigue n’excuse pas tout, et se fassent les promoteurs de cette proposition dans laquelle les personnes malades sont ségréguées et ainsi séparées autant du reste de la société que de leur propre humanité : tu n’es pas vacciné donc tu ne serais pas un Humain identique aux autres et tu n’as pas droit aux soins ! Le serment d’Hippocrate et les valeurs de l’éthique médicale sont malmenés de façon brutale, avec comme conséquence une perte de confiance des gens envers les soignants ; qui prendra le risque d’aller à l’hôpital en n’étant pas assuré qu’il sera soigné ?
Comme ils l’ont fait pour masquer leur politique hospitalière délétère les politiciens sautent sur la vague d’ostracisation des non-vaccinés qui, du fait de leur choix, deviennent des irresponsables qui n’auront plus droit à la citoyenneté : « Un irresponsable n’est plus un citoyen. » On a échappé à la fureur de Manuel Valls et à l’instauration de la déchéance de nationalité, voilà qu’on invente la déchéance de citoyenneté ! Agnès Callamard[2] s’interroge à propos du devenir des sociétés : « serons-nous la génération des années 1930 [qui ont conduit à 1939] ou celle des années 1948, qui a rédigé la Déclaration universelle des droits de l’homme ? » J’ai bien peur que nous soyons de la génération « années 1930 » tellement cet ostracisme à l’égard des non-vaccinés auquel s’ajoute la volonté gouvernementale de leur refuser la citoyenneté pour n’avoir pas fait quelque chose qui ne relève que de leur volonté individuelle puisqu’elle n’est pas imposée par la Loi, me rappelle les trois Lois dites de Nuremberg en 1935. La deuxième de ces Lois ou « loi sur la citoyenneté » dépouillait les Juifs allemands des attributs de la citoyenneté. Elle distinguait les citoyens à part entière et les simples ressortissants, dépourvus de droits civiques. On va crier au scandale dans les rangs politiciens notamment de la majorité en lisant mes propos, mais c’est oublier qu’à la même époque la situation qui prévalait alors aux États-Unis était identique où les Lois dites « lois Jim Crow » faisaient que les afro-américains étaient, de fait, privés de droits civiques en conséquence des lois ségrégationnistes de la fin du XIXe siècle. Comme en politique, notamment en période électorale, personne ne veut prendre le risque de se démarquer soit on se tait soit on sort le karcher pour nettoyer la société.
Fallait-il s’attendre à autre chose qu’à cet ostracisme et à cette ségrégation pour répondre à une énième impéritie dans la gouvernance de la crise sanitaire ? Certes non puisque le clivage de la société et l’humiliation des plus faibles peut être considérée comme une stratégie politique gagnante suivant la façon dont on lit Machiavel lorsqu’il écrit dans Le Prince : « Vous devez donc savoir qu'il y a deux manières de combattre, l'une avec les lois, l'autre avec la force. » L’arrogance est alors élevée au rang d’une force de conquête du pouvoir rappelant les propos de Paul Coelho : « L'arrogance attire la haine et l'envie. L'élégance éveille le respect et l'Amour. », mais comme le disait le baron von Wessemberg au Congrès de Vienne en 1814 le : « Il n’y a rien de plus arrogant qu’un homme aux aptitudes moyennes qui arrive au pouvoir. ». En quelques mots les politiciens ont érigé la « haine » en moyen de gouvernement du pays !