lundi 4 mars 2019 - par Alain Roumestand

La jeunesse d’Algérie et le système Bouteflika

L' Algérie, plus de 41 millions d'habitants, n'a pas connu dans son passé récent le "printemps arabe" à la tunisienne ou à l'égyptienne. Bouteflika n'est ni Ben Ali, ni Hosni Mubarak.

L'Algérie a surpris et surprend encore alors que les observateurs décrivent régulièrement le pays au bord du gouffre.

Depuis quelques jours la jeunesse algérienne manifeste alors que la candidature pour un 5ème mandat présidentiel d' Abdelaziz Bouteflika a été annoncée, alors qu'il est très vieux, malade, d'une grande faiblesse physique, victime d'un AVC en 2013, qu'il circule en fauteuil roulant, sans s'exprimer oralement.

Cette image relayée par les médias ne doit pas masquer les transformations sociales et politiques qu'a connues le pays depuis l'arrivée (en 1999) au pouvoir suprême de l'homme du Front de Libération Nationale, ancien ministre, efficient, aux Affaires Etrangères et régulièrement réélu pour 4 mandats à la tête de l'état algérien.

Bouteflika de plus en plus absent et son entourage de plus en plus omniprésent, jouent les diviseurs pour tenir les institutions militaires, les médias, les partis, les groupes d'intérêts. Les luttes d'influence sont constantes, les trop âgés sont évincés avec des mises à la retraite d'office.

Les institutions fonctionnent et le gouvernement de Bouteflika a réussi à s'émanciper de l'armée qui l'avait porté au pouvoir.

La politique de sécurité est, de par la constitution, mise en place par le Haut Conseil de Sécurité toujours présidé par Bouteflika.

La Fédération algérienne du patronat ne cherche qu'à maintenir le statu quo. Plus des 3/4 des entreprises algériennes ont été créées sous le pouvoir de Bouteflika. Elle ne souhaite absolument pas une libéralisation du pouvoir ou de l'économie. Et la répartition de la rente pétrolière qui permet de multiples subventions la satisfait pleinement.

Les forces syndicales se satisfont également des dépenses sociales financées par l'état redistributeur, interventionniste.

La compagnie nationale pétrolière, la Sonatrach, est un véritable état dans l'état. Elle intervient dans la politique sociale, la construction d'infrastructures, le financement des actions pour la jeunesse, pour la contenir, les rémunérations des anciens combattants, le financement d'une armée professionnalisée.

L'enjeu actuel pour une partie de la société algérienne est la poursuite de la politique menée depuis des années et le maintien de Bouteflika au pouvoir.

La corruption peut régner, les services de renseignements peuvent être opaques, les programmes immobiliers peuvent s'envoler dangereusement, les clans régionaux nés après l'indépendance peuvent régenter leurs circonscriptions : tout est figé.

Depuis 1989 le multipartisme existe mais la prise en compte des aspirations des jeunes algériens n'est pas la préoccupation des partis.

Le code de la famille, traditionnel, impose dans le mariage un homme supérieur à la femme. Pour l'égalité homme-femme dans la société, on est loin du compte, même si des femmes accèdent maintenant à des postes de responsabilités. La jeunesse fait de fréquents voyages en France, regarde les télévisions, a sous les yeux la liberté de ton et de comportement de la femme française. Ce qui crée des distorsions.

La jeunesse algérienne est très nombreuse. Présentée par les observateurs comme dépolitisée, passive, apolitique, après les années 90 qui ont vu une Algérie éclatée, une guerre civile éprouvante, des milliers de morts. La jeunesse met en avant la soif de justice sociale, se méfie totalement des politiciens.

Pour rallier la jeunesse à la religion, un islamisme modéré s'est opposé au radicalisme du Front Islamique du Salut qui avait gagné les élections de 1991, rendu responsable des massacres et des violences, interdit par la suite. Bouteflika et ses proches ont oeuvré pour diviser les islamistes et se sont appuyés sur une forme "soft" de l'islam, le soufisme. Des postes ont aussi été donnés aux islamistes.

Les contestataires jeunes se sont lancés dans des protestations utilitaires, avec une exigence du respect du contrat social mis en avant par le gouvernement. Des milliers de jeunes se sont mis à manifester pour lutter contre les difficultés quotidiennes d'approvisionnement en électricité, en eau, contre les problèmes d'évacuation des eaux usées...

Il y a 5 ans un mouvement, "Cà suffit", a déjà protesté contre une candidature présidentielle de Bouteflika, déjà dans l'incapacité de gouverner. Mais sans lien avec les classes populaires, surtout implanté dans la classe moyenne avec étudiants, universitaires, journalistes, il n'a pas suffisamment mobilisé. Bouteflika l'a emporté fort de son image d'homme ayant rétabli la paix civile et il a tenté de travailler avec les partis politiques algériens.

Les jeunes algériens semblent alors attachés au système de redistribution permettant d'assurer un quotidien frugal. Il faut bien vivre. Mais le plus grand nombre en a assez de la corruption, des passe-droits, des places détenues par la nomenklatura liée au régime.

Beaucoup observent que la manne pétrolière n'a pas transformé l'industrie du pays en terme de création d'emplois et de richesses. L'innovation incontournable est au point mort.

Une autre question taraude l'Algérie. Et si le système redistributif était mis à mal ? Baisse des prix des produits pétroliers, rentrées financières moindres peuvent jouer négativement sur la répartition sociale mise en place par le pouvoir.

Le Sud algérien est englué dans le montée du terrorisme et du djihadisme en provenance notamment du Mali. La Libye en décomposition est une voisine dangereuse de l'Algérie.

Le FIS que l'on dit divisé, éliminé en tant que tel, continue d'embrigader clandestinement une jeunesse désoeuvrée, largement touchée par un chômage endémique.

En Algérie on parle encore en cas de crise grave d'une émigration vers la France où vivent 3 à 4 millions d"algériens très liés à leurs familles restées au pays.

En fin de semaine passée la mobilisation de plusieurs milliers (certains disent plusieurs centaines de milliers) de personnes dans les villes dans tout le pays (Oran, Constantine, Annaba, Alger) a été supérieure à celle du début de semaine , contre le 5 ème mandat éventuel de Bouteflika. Qu'en sera-t-il de cette semaine qui s'ouvre ?



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