samedi 13 mai 2017 - par

La littérature contre la connerie

à propos de "Endetté comme une mule" de Eric Losfeld réédité chez Tristram

 

J'ai eu envie de lire ce livre car au-delà de tous les clivages, des brouilles, des colères, la littérature et l'appétence pour icelle est toujours la plus forte dans ce que je partage avec d'autres (de "vieilles connaissances pour reprendre le terme de l'auteur de l'article en lien) comme moi passionnés par les Lettres. Dans cette biographie, Eric Losfeld, éditeur célèbre de livres sulfureux en son temps, des ouvrages des surréalistes, des bouquins érotiques à deux sous, des BD novatrices pour adultes telles "Barbarella" ou "Pravda la surviveuse", évoque cette même passion pour la chose écrite et comment il en est venu à l'édition après un parcours personnel pour le moins original. Il raconte ses rencontres avec des personnages connus, d'autres plus modestes, leur accordant à chacun la même bienveillance, la même sympathie. Il est également heureux qu'il soit très subjectif quant à ses affections littéraires, qui ne sont pas toujours les miennes. Mais quelle importance ?

Cette pseudo objectivité affichée depuis quelques décennies par les critiques, les auteurs, les critiques est de toutes façons particulièrement pénible. Elle les encourage à une vision scolaire, laborieuse, trop appliquée et difficile à supporter de la littérature. Celle-ci doit automatiquement servir à porter une cause, fût-ce de manière parfaitement ridicule, fût-ce bien après ce que l'on dénonce. Quand l'on ne sait pas trop quoi dénoncer, contre quoi s'indigner, il est d'usage de dénoncer encore et toujours le nazisme au nom du "plus jamais ça". Cela ne mange pas de pain, tout le monde est d'accord. Et personne n'osera dénoncer le ridicule d'une telle démarche par peur d'être assimilé au camp du Mal englobant toute la droite en général....

On aurait aussi pu penser un peu rapidement que la censure contre laquelle il s'est si souvent frotté, la sottise des bien-pensants de tout poil, étaient dorénavant bien oubliées en 2017. On aurait pu croire que son combat était désuet, que tout avait changé, un peu plus depuis l'avènement du net qui permettrait de publier tout (et n'importe quoi). Ce serait cruellement se tromper. La littérature garde largement son aspect transgressif, antisocial mais pas forcément là où on l'attendrait. L'acte de lire des romans, de la poésie est déjà en soi il est vrai une manière d'affirmer son existence en dehors du groupe, en dehors d'une communauté, quelle qu'elle soit, et de ne pas trop se soucier de la dynamique collective. Lire c'est quitter sa chapelle. Lire en soi devient quelque chose n'allant plus de soi et de plus en plus réservé à une élite autoproclamée qui aime bien les autofictions racontant les turpitudes morales et l'hédonisme bien étriqué de leur milieu, les névroses compliquées et infantiles de pauvres petites filles riches.

Ne parlons pas de l'acte d'écrire, je veux dire par là écrire vraiment et non faire une psy par écrit devant tous les passants...

En nos temps de pornographie omniprésente, de "porno chic" ou "porno gonzo", "Emmanuelle" et d'autres ouvrages paraissent bien innocents à côté de n'importe quelle vidéo traitant les femmes en animaux que n'importe quel adolescent peut visionner en deux "clicks". Bientôt les livres de William Burroughs, Vladimir Nabokov et André Gide seront interdits pour obscénité, exaltation entre autres de la pédophilie pour "Lolita" de l'un ou les pages de l'autre où il affirme son goût pour les "petits télégraphistes". Céline sera interdit de bibliothèque à cause de ses pamphlets. Je ne parle même pas de Proust qui passe des pages et des pages à exalter la culture selon une perception bourgeoise et bien trop ethnocentrique, bien trop "genrée" également. Quant au livre d'Emmanuelle Arsan on y trouve une femme mariée visiblement heureuse en ménage au sein d'un couple traditionnel malgré tout, déplorable exemple !

Sur ces livres il est instructif de lire leurs "critiques" parfois atterrantes de bêtise consternante sur de nombreux sites dits littéraires...

Ces nouveaux censeurs œuvrent au nom de bonnes intentions, au nom du politiquement correct. Mais de l'abbé Bethléem à eux, c'est toujours la même ignorance qui domine, la même haine de la culture contredisant, empêchant l'instinct grégaire des plus bêtes de trop se manifester. Ils ont déjà presque remporté la victoire. Qui a encore l'amour de la chose écrite en 2017 ? Qui se passionne encore pour les Lettres ? Même pas besoin de ficher le feu aux livres comme dans "Farenheit 451"...

 

Sic Transit Gloria Mundi, Amen

Amaury - Grandgil

 

illustration (portrait) empruntée ici

 




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