La religion, refuge utopique de l’angoisse du XXIe siècle
Il serait vain de voir dans les lignes qui vont suivre un athéisme obtus et encore moins un nihilisme exaspérant. Il ne s’agit-là que de la réflexion d’un homme, somme toute assez ordinaire, qui est arrivé en fin de parcours, après avoir vécu toutes les vicissitudes d’une longue vie, parsemée de pleines brassées de petits bonheurs, mais aussi de quelques blessures profondes et bon nombre de cruautés planétaires. Un homme qui a appris beaucoup par ses voyages, par sa profession, celle de l’observation puis du témoignage le plus objectif possible, et également par des amitiés enrichissantes et qui livre ici ce qu’il croit être sa propre lucidité.
La charnière grince. Le XXIe siècle de l’horloge planétaire (selon le calendrier grégorien) a des ratés. L’homme n’y est plus à son aise. Gavé, jour après jour, d’informations apocalyptiques, et souvent contradictoires, se déversant sur lui à la vitesse de la lumière, et le voilà malade du désarroi, au seuil de la peur qui, conduisant à l’angoisse puis à la servilité, débouchera inexorablement sur un cataclysme.
Dans le désordre le plus total, un nouveau palier de son évolution se profile, alors qu’il n’y était pas préparé et qui, donc, l’effraie. Sans vraiment pouvoir analyser ce mal-être persistant dans lequel l’ère de l’industrialisation à outrance l’a plongé, il sent confusément que son futur ne sera pas celui dont il avait rêvé, étant devenu aveugle à la suite de tous les mensonges et manipulations dont il a été le jouet.
Subitement, il découvre que paix et équité n’existant toujours pas, elles ne seront pas non plus pour demain, loin s’en faut, et dès lors, un sentiment frustrant d’impuissance s’installe en lui. Il aura beau défiler, crier, manifester, implorer, signer pétitions, accords, protocoles ou chartes, à Kyoto, Grenelle, ONU ou ailleurs, voter et faire grève, s’inscrire dans un parti politique, à Greenpeace ou militer avec les altermondialistes, faucher des champs ou s’enchaîner aux portes d’usines, accepter les quelques soporifiques qu’on lui sert, avec les vacances programmées, ou bien le foot et encore, tout récemment, en France notamment, le retour à la vie d’une femme courageuse, remarquable et respectable, transformée en icône de la jungle et de la souffrance vaincues, il s’aperçoit que cela ne servira à rien. La mutation redoutée est en marche. Inexorable.
Réchauffement climatique. Mondialisation sauvage dans laquelle se sont rués, d’une façon licite ou illicite, tous les assoiffés de pouvoir. Consommation effrénée, du futile le plus souvent. Le billet de banque érigé, peu à peu, en pensée unique. Epuisement prochain des richesses de la terre nourricière, la plupart du temps provoqué par la vague monstrueuse du profit financier et par les déchets de toutes sortes, industriels surtout, qu’on y a enfouis. Mers polluées. Prolifération d’usines atomiques. Rareté de l’eau, source de vie. Flux migratoire vers lui d’affamés, ses victimes, « dangereuses pour son confort » lui dit-on. Emergence çà et là, de violence meurtrière, née de la frustration et de la misère, et qui, tel un furoncle empli de germes néfastes, lui prédit une énorme épidémie. Invasions barbares de pays sous de faux prétextes. Justice qui n’obéit plus qu’aux lois du plus fort. Intrusion massive de la « modification génétique ou chimique » dans les aliments que la nature lui avait généreusement offert depuis toujours (le maïs n’est pas le seul, blé, pommes de terre, certains fruits et tomates l’ayant suivi ou précédé, furtivement et depuis longtemps). Ciel abondamment farci de satellites destinés à le ligoter en lui offrant la modernité avec les téléphones, internet, la télé à profusion… mais aussi la surveillance rigoureuse et minutieuse qui l’épie ainsi dans ses moindres gestes, jusque dans son lit.
Et voilà qu’à présent on lui annonce à grand fracas qu’il pourra, peut-être, vivre ailleurs, avec les siens, loin, très loin de chez lui, dans les étoiles du néant et du mystère, blottis dans des scaphandres. Sur Mars, par exemple, où des sources de vie auraient été découvertes comme le déclament, soulagés de leur propre inquiétude, les savants du futur.
Effaré, égaré, devenu individu inutile, l’homme de ce XXIe siècle se tourne alors vers l’ultime recours qui lui ait été offert depuis que la Nature lui a permis de quitter son statut d’animal, c’est-à-dire depuis toujours. Il se jette dans les bras de Dieu, des Dieux, de l’idolâtrie, l’Immatériel, de la Grande Menace. Le geste de la soumission définitive sous le prétexte d’être sauvé lui-même du chaos ou plutôt que le soit sa progéniture dans laquelle, tartuffe, couard et surtout ignare jusqu’au bout des ongles, une fois son corps redevenu poussière, il pense toujours pouvoir exister à travers son… âme. Malheureusement pour lui, cette quête, aussi vaine que les autres, lui fera prendre un plus grand risque encore et, loin de le sauver ou simplement de le soulager, le plongera à terme, ivre de colère ou tout simplement de jalousie, dans la barbarie la plus immonde.
La guerre des religions, des civilisations ? Sûrement pas, plutôt la guerre de l’Utopie. A chacun la sienne, à chacun son prophète, son guide, gardien de la Vérité, alors que chacun devrait admettre, enfin, que les seules vérités, palpables ici-bas, sont la naissance et la mort. Et que pour chaque parcours individuel, l’enfer, le purgatoire et le paradis dont on abreuve la planète jusqu’à l’enivrer depuis des millénaires, ne sont pas là-haut, quelque part auprès d’un juge-comptable, mais bel et bien là où chacun a planté sa carcasse, c’est-à-dire ses jambes, ses bras et quelquefois son cerveau et son cœur.
Et aujourd’hui, tout comme l’ont été ses ancêtres les plus lointains, cet homme du XXIe siècle, toujours aussi instrumentalisé, s’apprête à s’entredéchirer sous la bannière de son propre « sauveur » qui pourtant ne diffère pas des autres, non pas avec un os taillé ou une lance de pierre, un poignard, un sabre ou une épée à la Durandal, ni même un fusil Lebel, une kalachnikov, dynamite ou canon, mais avec des armes encore plus puissantes. Celles des mots et des injures, de la haine qui, inondant très vite la planète toute entière (elle en a les moyens cette fois), conduira inexorablement au massacre de l’espèce, continent après continent.
Se battre au nom de Moïse, Jésus, Mahomet, Bouddha et autres gourous ? Foutaises, car ceux-là n’ont été pour rien dans les barbaries qui ont été faites en leur nom, et continuent de l’être. Et ils ne le seront jamais. Tout laisse supposer qu’ils n’ont été, chacun à leur époque, que des visionnaires, réformateurs, philosophes, simplement éducateurs ou astucieux plagiaires. D’autres qu’eux, parmi leurs contemporains ou leurs descendants, flairant la « bonne affaire » dans la conduite sans partage de leurs propres peuples et ceux à conquérir économiquement, ou bien pour se défendre du Dieu voisin, en ont fait des envoyés du Créateur, un redoutable Chef Suprême que nul ne pourrait, ni voir ni entendre, contredire ou affronter, mais devrait craindre éternellement. Même au-delà du dernier souffle.
A regarder au travers de la loupe de l’Histoire, tous les livres dits saints, écrits il est vrai dans une langue superbe, truffée de paraboles et de paradoxes dont le sens profond est étudié depuis quelques millénaires par de savants théologiens, ou chercheurs, rarement d’accord entre eux, puis mis en forme, après avoir été amputés, plusieurs années après la mort des « prophètes » dont on a prétendu qu’ils en étaient les auteurs ou les initiateurs, ces livres ne sont que l’œuvre de quelques hommes. De talent certes, mais des hommes uniquement. Ceux-ci ont essayé ainsi, avec courage sinon discernement, d’imposer un code de la Vie équitable pour tous, en croyant qu’en agitant la Grande Peur venue du « trou noir », serait suffisant pour que chacun puisse cultiver une conscience collective.
Hélas pour eux, ils avaient oublié que l’homme resterait l’homme. Un prédateur à deux visages qui n’a cessé de détourner à son profit individuel, de toutes les manières, même la plus vile, les lois et a fortiori La Loi. Et qu’il en sera toujours ainsi sur terre. Des armées de dominés au service d’un groupe de dominants. L’homme est l’ennemi… des hommes.