mercredi 16 octobre 2019 - par Elliot

La sale guerre contre les Kurdes

 

Essayons de poser un regard le plus objectif possible sur la nouvelle situation créée au Moyen-Orient par le désengagement des USA de la Syrie sans diaboliser à outrance Erdogan ni exonérer de tout reproche les Kurdes de l’YPG.

Rien n’est ni tout blanc ni tout noir dans cette partie du monde.

Grâce à Trump dont l’incompétence en tant qu’homme d’état devient chaque jour de plus en plus manifeste atteignant des sommets à peine imaginables, le Moyen-Orient voit se redessiner les zones d’influence entre puissances locales au profit de l’Iran et de la Russie et par ricochet de la Syrie tellement vilipendée par les bonnes âmes..

On aura beau dire que la décision du pitre de la Maison Blanche de rapatrier les « boys » faisait partie de son programme électoral, la manière dont il a abandonné les Kurdes, fers de lance de la lutte contre Daech et éléments majeurs de la victoire même si leur réputation de guerriers a peut-être été un peu surfaite pour les besoins de la propagande occidentale, jette une tache qui va de manière indélébile souiller le drapeau américain et anéantir peut-être pour des décennies la fiabilité des engagements des USA..

Qui pourra encore faire confiance à une puissance qui abandonne ses alliés ou les précipite constamment dans des chausse-trappes en résiliant sur un coup de tête des accords passés de longue date.

Stratège à la petite semaine, obnubilé par sa réélection l’année prochaine, Trump a ajouté à ses foucades habituelles l’indignité en donnant à Erdogan la latitude de régler un problème qui l’obsède mais qui obsède aussi le peuple turc, un des plus nationalistes de la planète : le désir d’indépendance des Kurdes – qui sont 15 millions sur son territoire (20 % de la population) – et qui sont d’ailleurs loin de partager tous l’idéologie marxiste léniniste du PKK mais qui sont pour la plupart attachés à un espoir fédéraliste qui mettrait déjà la langue kurde – qui a déjà bénéficié d’avancées non négligeables notamment à la télévision d’état – sur un pied d’égalité avec le turc dans des territoires qui jouiraient d’une autonomie acceptable.

 

La plupart des Kurdes savent qu’il n’y aura jamais ou du moins pas à un horizon prévisible un état kurde.

Cela restera un vœu pieux, un mantra, une incantation pour les générations futures.

Et ce ne sont pas les admonestations pathétiques de ceux qui imaginent à Paris que leur avis compte qui y changeront quoi que ce soit.

 

Le problème est ancien et pose plus fondamentalement la question du respect de la parole donnée comme Trump vient encore de le démontrer vis-à-vis de ses anciens alliés.

 

Après la première guerre mondiale, les puissances occidentales de l’époque avaient promis une terre aux Kurdes mais elles se sont empressées, vite fait bien fait, d’enterrer leur engagement.

Le traité de Sèvres en 1920 où furent réglés les détails du dépeçage de l’empire ottoman prévoyait pourtant expressément une amputation de l’état turc en Anatolie où un territoire aurait été dévolu aux Kurdes pour y bâtir leur état.

Mais sitôt signés, sitôt enterrés, les accords furent oubliés.

Les USA succombèrent à leur vieux tropisme isolationniste et en outre la guerre civile en Turquie entre ceux qui avaient accepté du bout des lèvres les accords de Sèvre et les opposants irréductibles aux concessions territoriales conduits par Atatürk fut remportée par les kémalistes, fondateurs de la Turquie moderne.

L’hypothèque kurde restait ainsi entière et irrésolue, continuant d’empoisonner la Turquie depuis cette époque.

Erdogan aujourd’hui en difficulté dans son pays, confronté à une opposition grandissante à ses choix idéologiques, peut-il sortir renforcé de ce conflit et les raisons de la guerre ne sont-elles pas de restaurer sa façade sur le plan intérieur au prétexte de se donner des frontières sures ?

 

Tout dépendra en fait de la rapidité avec laquelle l’armée turque pourra résoudre ce conflit qui vient déjà de prendre une autre tonalité avec l’accord entre Kurdes et l’armée régulière de Bachar El Assad, ce qui suppose l’accord de Moscou et devrait tempérer les velléités belliqueuses d’Erdogan.

En tout état de cause si la guerre devait s’éterniser, les Kurdes étant de redoutables combattants d’autant plus résolus qu’ils portent avec fanatisme une aspiration légitime à leurs yeux et aux yeux du monde, les troupes turques suréquipées mais de ce fait finalement peu mobiles seraient confrontées à une guérilla incessante.

Toute la puissance de feu et technologique des USA n’ont pas empêché la déroute au Vietnam.

Dans cette hypothèse le régime d’Erdogan serait à terme menacé et la belle union nationale derrière l’armée se déliterait avec la classique chasse aux responsables.

L’économie turque n’est pas plus brillante que ses homologues occidentales, elle est même en récession et parce qu’elle occupe une place sinon primordiale du moins intéressante dans le processus mondialisé, les nuages qui s’amoncellent du fait de politiques de plus en plus restrictives en matière de libre circulation des biens pourraient la conduire dans les ténèbres dont elle était sortie depuis seulement 2 décennies.

Ce recul sera, il est vrai, probablement généralisé et les états occidentaux ( s’entend d’Europe de l’Ouest ) démunis de matières premières et qui préfèrent utiliser leur matière grise à des luttes intestines dépourvues de sens seront plus ou moins associés à cette débâcle qui se profile et qui n’a d’ailleurs rien à voir avec l’affaire kurde mais surtout avec la déstabilisation généralisée de cette région du monde, déséquilibre auquel Trump vient de planter le dernier clou de sa magistrale inaptitude à se couler dans l’étoffe d’un président normalement aguerri.

On pourrait assister en Turquie à un remake de la situation de la France dans les années 50 du défunt siècle quand elle gagnait la guerre en Algérie mais était incapable de gagner la paix et qu’elle fut forcée, par lassitude et sous la contrainte internationale, de baisser pavillon et d’accorder l’indépendance aux Algériens.

Il fallut l’immense talent politique de De Gaulle pour imposer à la bourgeoisie colonialiste la paix des braves qui signifiait en fait l’aveu de la défaite.

Il faudra un grand homme d’état en Turquie pour succéder à Erdogan et faire taire les sirènes nationalistes désuètes en apportant la paix et la prospérité dans cette région du monde en liaison avec la Russie et l’Iran.

L’Iran qui, sans rien faire, voit ses entreprises favorisée par celui qui se définit comme un mortel ennemi mais dont les menaces prennent à la lumière de ce qui se passe en Syrie des tonalités d’une vacuité sidérante.



13 réactions


  • Séraphin Lampion Séraphin Lampion 16 octobre 2019 17:47

    La guerre d’Algérie était une guerre colonial qui a débouché sur une décolonisation et la création d’un pays indépendant (artificiel, regroupant des peuples et des régions hétérogènes dans des frontières mises en place par la France dans le cadre de la gestion de l’AOF).

    La Turquie n’est plus une puissance coloniale depuis 1918, date à laquelle Français et Britanniques se sont partagé les dépouilles de l’Empire Ottoman. Mais depuis 1945 les cartes changent de mains : les Américains veulent leur part de gâteau et utilisent un nouvel état, Israël, comme base logistique.

    Qu’Erdogan ait eu des velléités nostalgiques de retrouver la puissance ottomane est une fable qui a cours, mais ce n’est pas sérieux. Ce qui se joue est la répartition des influences géostratégiques dans un monde où la conquête coloniale a fait place à l’impérialisme des multinationales qui utilisent la logistique militaire de leurs gros « clients » (au sens d’inféodés corrompus) chefs d’états pour contrôle des zones décisives dans la circulation des produits énergétiques et des marchandises.

    Le parallèle entre la guerre d’Algérie et ce qui se passe en Syrie n’a aucun fondement, pas plus que le fait de croire au salut par l’intervention d’un homme providentiel. En ce qui concerne De Gaulle, sont mérite a été de contrôler l’armée pour empêcher un putsch militaire et une guerre civile. L’ironie, c’est qu’il a été emporté par un flot beaucoup moins dangereux pour ce qui est des vies humaines, mais devenu inévitable à cause de la sclérose que son régime avait imposé à des générations qui n’envisageait plus leur avenir (un peu comme aujourd’hui, la différence étant qu’en 68 il y avait de l’espoir, et pas aujourd’hui).

    Le sort du moyen-orient est dans les mains des grandes puissances (OTAN, Russie, Chine). Les deux grands états locaux, Iran et Turquie jouent plus ou moins adroitement les cartes qu’ils peuvent pour ester des états indépendants. Malheureusement pour eux, les Kurdes sont utilisés comme des pions.


  • Samson Samson 16 octobre 2019 19:09

    "Grâce à Trump dont l’incompétence en tant qu’homme d’état devient chaque jour de plus en plus manifeste atteignant des sommets à peine imaginables, ...« 

    Que le personnage apparaisse fantasque et particulièrement rébarbatif, soit ! Mais êtes-vous donc si sûr de sa prétendue »incompétence«  ???

    Parce que là, il réussit tout de même l’exploit  »à peine imaginable«  de déjouer en quelques tweets toute résistance du Deep State et bluffer ses vassaux atlantistes pour mettre en pratique terme à toute l’orientation impériale suivie de G. Bush Père à Obama et cerise sur le gâteau - laisser la main à la diplomatie poutinienne.

    On peut ne pas être d’accord, mais si, comme tout l’indique, c’était son but, il l’a joué de main de maître.

    Tant Bloody Hillary que Bibi la terreur et le petit Monarc ne doivent pas encore en être revenus, pour ne pas parler de l’ambiance chez les stratèges des think tank néo-cons, pour qui cela doit dépasser les pires cauchemars !

    Pas très sympa pour les »alliés" kurdes, on est bien d’accord !


  • pierrot pierrot 16 octobre 2019 22:18

    La situation en Syrie du Nord évolue très vite.

    L’intervention des Russes semble avoir mis fin à l’attaque des forces turques contre les Kurdes.

    La diplomatie brouillonne de Trump est incompréhensible et donc dangereuse.


  • Ilan Tavor aka Massada 17 octobre 2019 07:53

    La Turquie a perdu la Guerre du Rojava !
     

    Les bombardements massifs le long de la frontière ont entièrement cessé, de même que les attaques et les survols du Rojava par les avions d’Erdogan.

    C’est la résultante de l’interdiction de survol que Poutine a imposée au tyran sanguinaire d’Ankara.

    Le Kremlin a envoyé des « policiers » patrouiller entre les lignes occupées par les Turcs et celles tenues par les Kurdes et les forces de Bashar al Assad.

     

    Les Turcs, privés d’aviation et d’artillerie, sont partout sur la défensive. Les Peshmergas, qui sont indiscutablement de meilleurs soldats que leurs ennemis, mènent l’offensive.

     

    A noter aussi que plusieurs escarmouches ont opposé les peshmergas aux soldats d’Assad, principalement entre Raqqa et Deir ez-Zor sur l’Euphrate, les Syriens sont considérés avec dégoût et mépris par les combattants kurdes.


  • phan 17 octobre 2019 07:58

    La communauté internationale unanime multiplie les condamnations de l’offensive militaire au Rojava et assiste impuissante à la fuite de dizaines de milliers de Kurdes, poursuivis par l’armée turque. Cependant nul n’intervient, considérant qu’un massacre est peut-être la seule issue possible pour rétablir la paix, compte tenu de la situation inextricable créée par la France et des crimes contre l’humanité commis par les combattants et les civils kurdes.

    Contrairement à une idée reçue, le Rojava n’est pas un État pour le peuple kurde, mais un fantasme français de l’entre-deux guerres. Il s’agissait de créer un État croupion avec des Kurdes équivalent au Grand Israël qui était envisagé avec des Juifs. Cet objectif colonial a été réactivé par les présidents Sarkozy, Hollande et Macron jusqu’au nettoyage ethnique de la région destinée à l’accueillir.

    Si la communauté internationale craint publiquement la brutalité de l’intervention turque au Nord de la Syrie, elle se félicite officieusement de cette intervention, seule et unique solution à un retour de la paix dans cette région. La guerre contre la Syrie se termine par un crime de plus. Reste encore à déterminer le sort des mercenaires étrangers d’Idleb, des djihadistes enragés au cours de huit ans d’une guerre particulièrement sauvage et cruelle.

  • Ilan Tavor aka Massada 17 octobre 2019 08:13

    Les « européens natifs et autres » qui parlent de trahison des américains me font bien rire.

     
    Les mêmes qui n’arrêtent pas de reprocher aux Américains de bâtir un empire !
    Ils devraient au contraire approuver Trump qui décide que dorénavant l’Amérique ne projettera sa force militaire que lorsque ses intérêts vitaux sont en cause, de façon temporaire et toujours réversible.

     

    Les gouvernements et commentateurs européens n’ont pas de mots assez durs pour condamner le fait que l’armée des Etats-Unis retire les militaires déployés dans cette zone. Soit ! Très bien !
     
    Toutefois, ces condamnations ne seraient-elles pas plus audibles si elles étaient assorties du départ immédiat, pour la zone contestée, de soldats allemands, de soldats français, de Belges et d’Italiens ?

     

    Etrange conception des relations internationales que celle dans laquelle les gouvernements européens envoyent au front des soldats américains, en se gardant bien d’y envoyer aucun des leur.

     

    La démarche est d’autant plus incongrue que, via l’OTAN, le contribuable américain finance une large part des nécessités de la défense européenne.


  • Spartacus Lequidam Spartacus 17 octobre 2019 09:11

    Les Américains ne sont pas là pour défendre des causes indéfendables...

    Les ennemis de nos ennemis ne sont pas nos amis.

    Les Américains ont parfaitement raison de ne pas insister.

    Le PYD est un assemblage de circonstance, mais c’est le PKK.

    Si une grande partie a lutté contre EI, 10% des Kurdes sont du coté de EI.

    Le PKK est un groupe de révolutionnaires Marxistes qui ressemble aux FARC.

    Narcotrafic, enlèvement et prise par la force d’un impôt révolutionnaire sur tous les Kurdes.

    Ces gens veulent construire un nouveau pays sur 4 pays. Un joyeux bordel en perspective ou les occidentaux n’ont que des coups à recevoir.

    En Turquie, aux villes frontières, le PKK assassine des policiers, des guet apens de militaires en tuant des dizaines de personnes.

    Ils ont commencé a organiser une insurrection armée au Kurdistant Turque.

    Qui pouvait imaginer que l’autocrate Erdogan allait laisser faire ?

    Laissons les pays sur place se démerder avec eux.

    Demander aux Américains d’aller les aider c’est comme si les russes allaient aider les corses a faire une insurrection armée face a un gouvernement qui enferme des poseurs de bombes....


  • gnozd gnozd 17 octobre 2019 09:35

    "la situation de la France dans les années 50 du défunt siècle quand elle gagnait la guerre en Algérie mais était incapable de gagner la paix et qu’elle fut forcée, par lassitude et sous la contrainte internationale, de baisser pavillon et d’accorder l’indépendance aux Algériens

    « 

    Alors celle-là elle est bien bonne !

    Croyez bien que si la balance financière à l’époque avait été en faveur de l’Algérie française, on y serait resté encore quelques années de plus.

    Mais Pompidou (qui sortait de chez Rotschild) avait négocié en sous-main les accords d’Evian et fait comprendre au grand Charles un an après »je vous ai compris" qu’il était plus intéressant de laisser des entreprises françaises bosser à Tamanrasset que de payer des fonctionnaires d’un département grand comme 2 fois la France, et aussi de pouvoir continuer les essais nucléaires dans le sud en attendant que Mururoa soit opérationnel, le tout avec l’assentiment du FLN, évidemment !


  • phan 17 octobre 2019 09:39
    Le bombardement d’USS Liberty, l’annexion de la Palestine et du Golan, le 11 septembre 2001, la destruction de la Libye, envahir 7 pays en 5 ans : c’est bon pour Israël !

  • Ilan Tavor aka Massada 17 octobre 2019 09:49

    Rien de plus insupportable que l’impérialisme américain.
    À part bien sûr le non-impérialisme américain.
    #Syrie
     smiley smiley


  • Abou Antoun Abou Antoun 17 octobre 2019 12:51

    Le style de Trump est pour le moins étonnant, soit !

    Mais cela suffit-il à prouver son incompétence (relative) par rapport à ses prédécesseurs ou à ses rivaux ? Rien n’est moins sûr.

    Trump a trouvé un pays dont l’armée a été engagée dans des bourbiers par ses prédécesseurs.

    Comme le fait remarquer Jelena il n’a pas encore déclaré de guerre. Question diplomatie Trump apparaît nettement plus compétent que Sarkozy, Hollande et sans doute Macron dont les orientations d’atlantiste frustré à la remorque de Merkel sont moins que claires.


    • leypanou 17 octobre 2019 16:20

      @Abou Antoun
      Comme le fait remarquer Jelena il n’a pas encore déclaré de guerre 

       : ce qu’il fait au Vénézuela et à l’Iran est pire qu’une guerre, avec des milliards d’avoir gélés plus embargo, qui a entraîné des milliers de victimes.

      On peut aussi y ajouter ce qui se passe au Yémen, car l’Arabie Saoudite est soutenue.


  • Samy Levrai samy Levrai 17 octobre 2019 16:26

    La sale guerre contre les syriens... et les kurdes qui se sont alliés avec des envahisseurs sans mandat ni invitation ( donc sans aucune légitimité ) pour voler des terres qui ne leur ont jamais jamais appartenues...


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