La sale guerre contre les Kurdes
Essayons de poser un regard le plus objectif possible sur la nouvelle situation créée au Moyen-Orient par le désengagement des USA de la Syrie sans diaboliser à outrance Erdogan ni exonérer de tout reproche les Kurdes de l’YPG.
Rien n’est ni tout blanc ni tout noir dans cette partie du monde.
Grâce à Trump dont l’incompétence en tant qu’homme d’état devient chaque jour de plus en plus manifeste atteignant des sommets à peine imaginables, le Moyen-Orient voit se redessiner les zones d’influence entre puissances locales au profit de l’Iran et de la Russie et par ricochet de la Syrie tellement vilipendée par les bonnes âmes..
On aura beau dire que la décision du pitre de la Maison Blanche de rapatrier les « boys » faisait partie de son programme électoral, la manière dont il a abandonné les Kurdes, fers de lance de la lutte contre Daech et éléments majeurs de la victoire même si leur réputation de guerriers a peut-être été un peu surfaite pour les besoins de la propagande occidentale, jette une tache qui va de manière indélébile souiller le drapeau américain et anéantir peut-être pour des décennies la fiabilité des engagements des USA..
Qui pourra encore faire confiance à une puissance qui abandonne ses alliés ou les précipite constamment dans des chausse-trappes en résiliant sur un coup de tête des accords passés de longue date.
Stratège à la petite semaine, obnubilé par sa réélection l’année prochaine, Trump a ajouté à ses foucades habituelles l’indignité en donnant à Erdogan la latitude de régler un problème qui l’obsède mais qui obsède aussi le peuple turc, un des plus nationalistes de la planète : le désir d’indépendance des Kurdes – qui sont 15 millions sur son territoire (20 % de la population) – et qui sont d’ailleurs loin de partager tous l’idéologie marxiste léniniste du PKK mais qui sont pour la plupart attachés à un espoir fédéraliste qui mettrait déjà la langue kurde – qui a déjà bénéficié d’avancées non négligeables notamment à la télévision d’état – sur un pied d’égalité avec le turc dans des territoires qui jouiraient d’une autonomie acceptable.
La plupart des Kurdes savent qu’il n’y aura jamais ou du moins pas à un horizon prévisible un état kurde.
Cela restera un vœu pieux, un mantra, une incantation pour les générations futures.
Et ce ne sont pas les admonestations pathétiques de ceux qui imaginent à Paris que leur avis compte qui y changeront quoi que ce soit.
Le problème est ancien et pose plus fondamentalement la question du respect de la parole donnée comme Trump vient encore de le démontrer vis-à-vis de ses anciens alliés.
Après la première guerre mondiale, les puissances occidentales de l’époque avaient promis une terre aux Kurdes mais elles se sont empressées, vite fait bien fait, d’enterrer leur engagement.
Le traité de Sèvres en 1920 où furent réglés les détails du dépeçage de l’empire ottoman prévoyait pourtant expressément une amputation de l’état turc en Anatolie où un territoire aurait été dévolu aux Kurdes pour y bâtir leur état.
Mais sitôt signés, sitôt enterrés, les accords furent oubliés.
Les USA succombèrent à leur vieux tropisme isolationniste et en outre la guerre civile en Turquie entre ceux qui avaient accepté du bout des lèvres les accords de Sèvre et les opposants irréductibles aux concessions territoriales conduits par Atatürk fut remportée par les kémalistes, fondateurs de la Turquie moderne.
L’hypothèque kurde restait ainsi entière et irrésolue, continuant d’empoisonner la Turquie depuis cette époque.
Erdogan aujourd’hui en difficulté dans son pays, confronté à une opposition grandissante à ses choix idéologiques, peut-il sortir renforcé de ce conflit et les raisons de la guerre ne sont-elles pas de restaurer sa façade sur le plan intérieur au prétexte de se donner des frontières sures ?
Tout dépendra en fait de la rapidité avec laquelle l’armée turque pourra résoudre ce conflit qui vient déjà de prendre une autre tonalité avec l’accord entre Kurdes et l’armée régulière de Bachar El Assad, ce qui suppose l’accord de Moscou et devrait tempérer les velléités belliqueuses d’Erdogan.
En tout état de cause si la guerre devait s’éterniser, les Kurdes étant de redoutables combattants d’autant plus résolus qu’ils portent avec fanatisme une aspiration légitime à leurs yeux et aux yeux du monde, les troupes turques suréquipées mais de ce fait finalement peu mobiles seraient confrontées à une guérilla incessante.
Toute la puissance de feu et technologique des USA n’ont pas empêché la déroute au Vietnam.
Dans cette hypothèse le régime d’Erdogan serait à terme menacé et la belle union nationale derrière l’armée se déliterait avec la classique chasse aux responsables.
L’économie turque n’est pas plus brillante que ses homologues occidentales, elle est même en récession et parce qu’elle occupe une place sinon primordiale du moins intéressante dans le processus mondialisé, les nuages qui s’amoncellent du fait de politiques de plus en plus restrictives en matière de libre circulation des biens pourraient la conduire dans les ténèbres dont elle était sortie depuis seulement 2 décennies.
Ce recul sera, il est vrai, probablement généralisé et les états occidentaux ( s’entend d’Europe de l’Ouest ) démunis de matières premières et qui préfèrent utiliser leur matière grise à des luttes intestines dépourvues de sens seront plus ou moins associés à cette débâcle qui se profile et qui n’a d’ailleurs rien à voir avec l’affaire kurde mais surtout avec la déstabilisation généralisée de cette région du monde, déséquilibre auquel Trump vient de planter le dernier clou de sa magistrale inaptitude à se couler dans l’étoffe d’un président normalement aguerri.
On pourrait assister en Turquie à un remake de la situation de la France dans les années 50 du défunt siècle quand elle gagnait la guerre en Algérie mais était incapable de gagner la paix et qu’elle fut forcée, par lassitude et sous la contrainte internationale, de baisser pavillon et d’accorder l’indépendance aux Algériens.
Il fallut l’immense talent politique de De Gaulle pour imposer à la bourgeoisie colonialiste la paix des braves qui signifiait en fait l’aveu de la défaite.
Il faudra un grand homme d’état en Turquie pour succéder à Erdogan et faire taire les sirènes nationalistes désuètes en apportant la paix et la prospérité dans cette région du monde en liaison avec la Russie et l’Iran.
L’Iran qui, sans rien faire, voit ses entreprises favorisée par celui qui se définit comme un mortel ennemi mais dont les menaces prennent à la lumière de ce qui se passe en Syrie des tonalités d’une vacuité sidérante.