La traîtresse franchise médicale Sarkozy
"L’assurance maladie solidaire en danger"
! C’est le cri d’alarme lancé par trois médecins généralistes,
Christian Lehmann, Philippe Sopena et Martin Winckler, auteurs d’un Appel contre la franchise Sarkozy. "En
matière d’assurance maladie l’UMP et Nicolas Sarkozy ont une idée fixe
: l’augmentation des dépenses de santé, ce serait d’abord et avant
tout la faute des patients. Il faudrait donc les « responsabiliser »,
c’est-à-dire les pénaliser financièrement pour « qu’ils consomment moins », ou, au minimum, pour que "la
Sécu rembourse de moins en moins," expliquent nos lanceurs d’alerte.
Responsabiliser les usagers des services de santé : le raisonnement qui
sous-tend cette démarche est si invraisemblable qu’il donne le vertige.
Ainsi, si l’on est responsable, raisonnable, on ne doit pas tomber
malade. Ceux qui le font sont donc des irresponsables, coupables de
dépenser sans compter au motif futile de se soigner, alors qu’on n’est
même pas sûr qu’il se s’agisse pas de simulateurs, tricheurs et
profiteurs qui plombent les comptes de notre système de santé !
Responsabiliser les usagers... A quoi cela rime-t-il, quand "environ
70% de la dépense totale est le fait de 10% de patients qui sont
atteints de lourdes pathologies, parfois en fin de vie, et à qui on ne
demande guère leur avis quant aux soins dont ils sont l’objet, comme le rétablit l’Appel ? Et dont la seule « responsabilité » serait de décider de ne plus se
soigner. Est-ce la société que l’on veut ?".
Voilà établi clairement que le principe fondateur même de cette
franchise est aberrant. Mais il est dans la logique libérale, et le
candidat UMP le défend avec (une de ses rares) constance(s). Déjà, en
2001, dans son ouvrage Libre, il annonce : "Je crois utile qu’un système de franchise soit mis en place comme pour tout processus d’assurance". A la convention de l’UMP de 2006, il enfonce le clou : "Nous parlons d’Assurance maladie... Y-a-t-il une seule assurance sans franchise ?"
D’abord, oui, ça existe ! Ensuite, puisqu’il faut vraiment mettre les
points sur les i, l’assurance-maladie solidaire n’est pas une assurance
privée, la santé n’est pas une marchandise et la protection sociale n’est pas une simple question d’assurance commerciale. "Comment
comprendre que le paiement d’une franchise soit insupportable dans le
domaine de la santé alors qu’une charge de plusieurs centaines d’euros
par an pour la téléphonie mobile ou l’abonnement Internet ne pose pas
de question ?", s’interroge François Fillon sur son blog, le même
qu’on donne pour le favori dans la course à Matignon si son candidat
était élu. Tout simplement, monsieur Fillon, parce que l’on peut vivre
sans téléphone portable ou ordinateur, alors que ne pas se soigner, on en meurt ! Mais peu leur chaut, à ceux qui veulent importer le
système à l’américaine d’une santé à deux vitesses, financé par les
assurances privées pour les riches quand les pauvres n’y ont pas accès.
Les Etats-Unis émargent au plus haut niveau mondial de dépense par
habitant, mais 40 millions d’Américains sont privés d’assurance maladie
et le résultat sanitaire est déplorable... En France, l’UMP voudrait y
venir : "Déremboursements incohérents, augmentation du ticket
modérateur sur des soins courants, généralisation des dépassements
tarifaires pour les médecins spécialistes, invention du forfait de 1 €
par acte de soins ou de biologie, du forfait de 18 € sur les actes
supérieurs à 91 €, l’actuelle majorité a multiplié les atteintes à la
prise en charge solidaire des soins. Mais si elle a augmenté le reste à
la charge des patients, le déficit de l’assurance maladie n’en a pas
été comblé pour autant". D’où l’obsession sarkoziste d’aller plus loin, en instaurant donc cette fameuse franchise.
Une régression sociale
L’Appel met en garde contre une véritable régression sociale : "Dans
son principe même, une franchise d’un montant identique pour tous pèsera différemment selon les revenus. C’est la fin d’un système
d’assurance maladie solidaire dans lequel chacun cotise selon son
revenu et qui protège, équitablement, les individus en bonne santé et
les malades. On quitte la logique de la solidarité pour celle de
l’assurance privée". Il souligne qu’elle menace l’accès aux soins des plus modestes, dénonçant "des
effets dramatiques pour les patients aux faibles revenus, mais pas
assez pauvres pour en être dispensés. Certains d’entre eux amputeraient
leur train de vie modeste pour pouvoir accéder aux soins. D’autres
tenteraient de les retarder, y renonceraient. (...) il faut
dissuader de se faire soigner pour des maladies apparemment moins
sévères (celles qui, non soignées, peuvent justement s’aggraver) et
bien évidemment pour les actes de prévention que l’on croit toujours
pouvoir « reporter » à plus tard. L’inverse d’une politique cohérente de
santé publique." Une fois ce réquisitoire prononcé, reste à se
pencher sur la façon dont Nicolas Sarkozy détourne l’usage du mot
franchise, dont le dictionnaire nous enseigne qu’elle est certes "une somme forfaitaire restant à la charge de l’assuré", mais aussi la "qualité d’une personne franche, sincérité, droiture". En l’espèce, il est surtout question de duplicité ! "Nicolas Sarkozy a dit tout et son contraire en ce qui concerne sa mise en œuvre concrète", constatent nos défenseurs de l’assurance maladie solidaire, énumérant ses variations : "franchise modulable de 50 à 100 €" annuels, "40 € par famille et par an", "les 10 ou 15 premiers euros de dépenses d’assurance-maladie à l’année", "quelques centimes d’euros à quelques euros par actes, selon ceux-ci"... Attitude résumée de façon lapidaire par les signataires de l’Appel : "Plus
on s’approche de l’élection et plus il tente d’en minorer l’impact.
Qu’importe. Initialement le forfait peut être minime, l’important c’est
d’en faire accepter le principe". Parce qu’une chose est sûre, que
le candidat UMP a toujours répétée : le montant de la franchise sera
réévalué chaque année, en fonction des comptes de la Sécurité sociale.
Or, du fait du vieillissement de la population conjugué à "l’équation
financière de la protection sociale, de plus en plus déficitaire au fur
et à mesure que s’amenuisent les revenus du travail au profit des
revenus spéculatifs (...) les dépenses augmentent, inéluctablement, plus vite que le PNB et avec elles le déficit de la Sécu (donc) la franchise augmentera, non moins inéluctablement",
démontrent de façon limpide les trois généralistes. Voilà bien
l’engrenage dans lequel la droite veut nous faire mettre le doigt. De
façon d’autant plus méprisable que discrète, honteuse, cachée... Pour
la plus grande indignation de Christian Lehmann, l’un des signataires
de l’Appel, qui a accepté de s’épancher à notre oreille. Interview au
vitriol !
Interview
Christian Lehmann et le bonneteau de la franchise Sarkozy :
"Tu la vois ? Tu la vois pas !"
Dans le livre Ensemble,
présenté hier par Nicolas Sarkozy, pas un mot sur la franchise
médicale. Cette proposition a-t-elle donc disparu du programme ?
Christian Lehmann
: Pas du tout ! C’est vraiment extraordinaire. On en revient au
double sens du mot franchise. C’est le bonneteau (*) du candidat
démagogique : "la franchise, tu la vois ? Tu la vois pas".
C’est tout de même une proposition majeure, qui nous ferait dériver
encore plus vers le système des assurances santé privées ; avec elle,
les bien-portants se désolidarisent des malades, c’est la fin du modèle
solidaire et... elle a failli passer à la trappe ! Nicolas Sarkozy a
été obligé d’en parler parce que les journalistes l’ont interrogé
là-dessus. Cette mesure figure pourtant dans son programme depuis
longtemps, mais il n’en parle plus dans son livre ! Alors on nous dit "Ne vous inquiétez pas, ça ne fera même pas mal, juste quelques centimes d’euros".
En fait ces gens mentent comme ils respirent. En instaurant sa
franchise de 1 € sur les consultations et les actes de biologie
médicale (à hauteur de 50 € annuels), Philippe Douste-Blazy prétendait
faire rempart de son corps pour sauver la protection sociale à la
française...
Il y a bien eu tentative d’escamotage d’une réforme impopulaire.
Oui. Sur le site de l’Appel figure la vidéo d’un discours de Philippe Juvin, responsable du Programme santé de Nicolas Sarkozy, son futur ministre, entre guillemets, qu’il a prononcé le 27 mars. Il dit textuellement : "comme on en a parlé et que c’est impopulaire, quand on aura gagné, on pourra le faire. On pourra pas nous dire "vous nous prenez en traîtres".
Un peu quand même... Comment est-il possible qu’un tel sujet ait failli être passé sous silence ?
A cause de l’atonie des médias. Le Monde et Libération ont refusé de publier le texte de l’Appel. Je me bats depuis des années pour la santé et j’ai quand même un sacré carnet d’adresse de journalistes, mais on m’a dit partout : "C’est intéressant, mais... On en parlera si..." Si ça devient un thème de campagne ! Les médias classiques ne font pas leur boulot.
On nous parle identité nationale et pas assurance maladie, à cause d’une forme de suivisme servile qui ne développe les thèmes de campagne que lorsque ces derniers ont été choisis/imposés par les candidats eux-mêmes ! Donc, aucun relais médiatique.
C’est pour ça que nous avons lancé cette pétition sur Internet. Pour que les gens soient au courant. Mais ce n’est pas notre boulot ! Là, il est 19h30 (entretien réalisé hier soir, Ndlr), je sors de consultation...
Intéressant d’observer comment il faut parfois qu’une information, passée sous silence par les médias classiques, doive d’abord essaimer sur Internet et la blogosphère, avant de finalement revenir, comme un boomerang, aux médias qui l’avaient occultée, désormais obligés de rendre compte du buzz.
Moi, je ressens comme un vertige, à me dire : si le candidat a été obligé d’en parler, si demain le PS fait un communiqué là-dessus, si le thème est enfin débattu démocratiquement dans la campagne, tout ça repose au départ sur les épaules de quinze personnes !
Voilà qui interpelle en effet sur la démocratie médiatique. En résumé, votre combat de médecin citoyen est de lutter contre la culpabilisation des malades, que vous qualifiez de "vieux dogme néolibéral qui tente de reporter la faute du déficit sur des assurés sociaux infantiles au comportement irresponsable, et des médecins laxistes, complices, sans jamais interroger l’équation financière de la protection sociale, de plus en plus déficitaire au fur et à mesure que s’amenuisent les revenus du travail au profit des revenus spéculatifs". Ce qui donne, concrètement ?
Je ne veux plus voir des gens me tendre leur carte Vitale et baisser les yeux en demandant : "j’espère que vous prenez la CMU ?" Alors que c’est obligatoire ! Ce n’est pas le monde dans lequel j’ai envie de vivre.
Christian Lehmann, médecin généraliste et écrivain, a publié récemment aux Editions Privé Les Fossoyeurs.
(*) Le bonneteau est une arnaque pratiquée dans la rue, sur une tablette de fortune vite installée : il s’agit de retrouver sous quel gobelet est caché le billet de banque, pour doubler la mise, mais il est toujours habilement subtilisé par le voyou prestidigitateur, qui fait d’abord mine de faire gagner des comparses, pour allécher le chaland. Un attrape-nigauds perdant-perdant !