La « VI° République » de J.-L. Mélenchon et la poudre de perlimpinpin
La « VI° République » de J.-L. Mélenchon et la poudre de perlimpinpin
L’un des professionnel de la politique, jadis soumis à Maastricht, et aujourd’hui insoumis à ce qu’il dit, vient de faire descendre dans la rue de braves gens qui répètent après lui qu’il faut une VI° République. Eux, parce qu’ils n’en peuvent plus. Ni de la politique conduite par E. Macron, ni de la manière que ce dernier a de la mener.
Comme si la nouvelle constitution prônée par J.-L. Mélenchon allait avoir les mêmes effets bénéfiques sur les conditions de vie, que (pour les gens du gouvernement Macron), le téléphone portable muni d’un QR code sur la diffusion du virus.
La constitution, c’est un ensemble de règles qui organisent les rapports entre les pouvoirs publics (c’est à dire concrètement le jeu des professionnels de la politique au sein des institutions). Et qui détermine la manière dont ces derniers s’installent dans les postes qui leur permettront de commander les citoyens.
Ces dispositifs n’ont pas d’effet direct sur le niveau de vie, correct ou insuffisant, des citoyens. Donc, le projet Mélenchon de permettre aux citoyens, même de déclencher l’organisation d’un référendum (1) ou même de révoquer les personnes après qu’ils les ont élues, n’a aucun rapport direct avec la réponse aux préoccupations des citoyens qui « ne sont rien », qui n’y arrivent plus et qui en ont assez d’être traités par le mépris.
I.
En revanche, le contenu du titre XV « la France consent aux transferts de compétences » , introduit dans la constitution à l’initiative de F. Mitterrand ( avec la bénédiction de J-L. Mélenchon et de beaucoup d’autres personnages politiques de gauche et de droite acquis à une certaine vision de la société) a son importance. Car la ligne politique inscrite dans ces traités ( Maastricht et autres) que les lois et les décrets français sont obligés de suivre, c’est la loi du plus fort ( en matière financière et économique). Avec interdiction faite aux personnes censées « représenter » les citoyens d’intervenir, sauf pour y aider, comme casser ce qui faisait l’objet d’une réglementation. (Notamment en matière d’embauche, de licenciement, d’assurance maladie, de retraites, de certains services publics qui doivent désormais être soumis à la loi du marché avant d’être donnés aux sociétés privées, etc…). C’est cela qui a un effet concret et direct sur le niveau de vie des citoyens, comme sur la manière dont ils sont gouvernés.
D’où, la première interrogation :
Si, dans la constitution de la VI ° République, J.-L. Mélenchon ne reprend pas les dispositions du titre XV ou s’il y insère ( encore « pire ») des dispositions contraires à celles du titre XV, on « sort de l’Europe ». (NB. comme on le dit inexactement- outre que la géographie est stable- , rien n’empêcherait de « faire », avec les mêmes populations, une Europe qui ne serait pas cette zone de libre échange sous contrôle nord américain) .
Question : J.-L. Mélenchon continue-t-il à accepter que la France consente toujours « aux transferts de compétences » ? Ou veut-il que sa « VI° République » puisse changer de politique quand les citoyens le souhaitent ? Donc sorte du carcan juridique et politique européen actuel ?
Les braves gens sont descendus dans la rue sans le savoir.
C’est dommage, c’est même … embêtant. Parce que lorsqu’ils iront voter, leur vote (celui de certains à tout le moins) risque de ne pas leur servir grand chose.
II.
Le système de gouvernance qui en a découlé n’a plus été le système de gouvernement « normal ». Les gouvernants ne sont plus les représentants, ni de la Nation, ni des citoyens, mais sont devenus des fondés de pouvoir en réalité chargés de gérer des intérêts. Qui sont identifiables : - à la simple lecture des traités ; -et en mettant simplement en relation entre elles, pour en découvrir aisément le fil directeur, les décisions qui sont prises depuis Maastricht. (Décisions à comparer avec les décisions prises avant).
Il en résulte mécaniquement que le mode de gouvernement s’y est adapté.
a) L’usage de leur bulletin de vote par les citoyens qui se rendent encore aux urnes, ne sert plus qu’à maintenir ( par une sorte de dol) une « légitimité » à ceux qui ont été en réalité choisis ( voire « fabriqués ») par d’autres que les citoyens, ou en tous cas, par d’autres que les dirigeants des partis politiques (qui pouvaient proposer une politique) comme cela se faisait jadis. Mais par des individus -qui ne se dévoilent pas- qui, appartenant à divers réseaux, ont les moyens de financer et d’alimenter la campagne électorale de tel ou tel. Personnage qui leur aura paru solide pour faire, en contrepartie des avantages liés à la fonction, ce « job » d’un genre particulier.
b) Les citoyens sont aidés à renoncer à leur droit de choisir eux-mêmes la politique (dont le contenu déterminera leur mode de vie) : les médias des mêmes, avec leurs employés disposant d’une carte de presse, trient les informations et disent ensuite ce qu’il faut en penser. 24h sur 24.
c) Et, en souvenir de la démocratie et de ses débats (d'un tout autre genre), quelques spécimens de citoyens (triés) sont invités à participer à des réunions dans lesquelles ils sont, en guise de débat, autorisés à exposer leurs malheurs ou leurs difficultés. Et dans lesquelles le président de la République leur dit qu’il les comprend, qu’il a déjà beaucoup fait, et qu’il ne manquera pas de faire plus encore. Et l’on s’esbaudit de cette pratique présentée comme la quintessence de la démocratie.
d) Lorsque ces pratiques ne produisent plus leur effets, et lorsque des citoyens manifestent leur désespoir dans les rues, la « gouvernance » passe à des médecines moins douces pour l’obtention de la soumission : - la police à qui l’on fait éborgner (au nom du maintien de l’ordre), - les juges à qui l’on donne à condamner (au nom du peuple français).
Système de gouvernement dans lequel, qui plus est, la séparation entre la sphère des intérêts privés et le domaine de la décision publique a une tendance naturelle à s’estomper :
- les membres du gouvernement, leurs collaborateurs et les hauts fonctionnaires font, s’ils en ont envie - et beaucoup ont cette envie - du pantouflage et du rétro pantouflage. Par conséquent dans le cadre d’un système généralisé de conflits d’intérêts. (Ce qui serait appelé ailleurs « corruption »)
- le gouvernement s’associe à des cabinets privés qui déchargent les politiques d’avoir à penser ce qu’on va bien pouvoir imposer de faire ou de ne pas faire aux citoyens. Autre manière de présenter les choses : un système de « gouvernance » est mis en place par contrat (sic) entre d’une part des groupes d’intérêts ayant leurs besoins et leurs vues et les titulaires des charges décisionnelles dans l’Etat.
Sur ce deuxième point, celui de la « gouvernance », d’autres questions se posent. Parmi d’autres :
Quelles mesures pour :
- couper le lien entre le pouvoir économico-financier et le pouvoir politique ? Outre ce qui est dit au point I ci-dessus, en faisant passer l’envie des conflits d’intérêts avec, notamment l’engagement de la responsabilité pénale et, en tout état de cause, pécuniaire des individus, qui n’ont pas su résister (v. ci-dessus) ?
- faire du président de la République un justiciable de droit commun pour ce qui est « détachable » de ses fonctions ? Et pour les ministres, supprimer la « Cour de justice de la République », pour qu’ils soient jugés comme leurs collaborateurs ?
- organiser, tout en respectant la liberté des journalistes, un droit à l’information des citoyens qui fasse échapper ces derniers à la manipulation (qui « truque » 24h sur 24 l’usage du droit de vote). Et à laquelle les citoyens sont soumis jour après jour par certains médias audio-visuels ( les plus entendus et les plus regardés) et par une partie de la presse écrite ?
C’est que les pratiques (relevées ci-dessus) avec l’équipe Macron, correspondent déjà à peu près à exactement à ce que certains penseurs américains (et français) envisagent comme système de « gouvernement mondial ». C’est à dire, pour faire court, l’élite économico-financière qui s’agrège (selon quel processus ?) divers gestionnaires efficaces. Les citoyens quant à eux, selon ces idéologues, seraient, grâce à cette « gouvernance », nécessairement conduits vers la félicité et ne seraient plus susceptibles d’être des « emmerdeurs ».
Le travail de quelques journalistes d’investigation (et la commission sénatoriale) sur le rôle des sociétés McKinsey et autres, répond à la question ci-dessus de savoir selon quel processus ce type de gouvernance pourrait être mis en place (et en réalité est déjà un peu mis en place). Très simplement par un banal contrat. Entre les « responsables » de l’Etat (3) et des institutions (par exemple dites de conseil, - déjà fait- ou pourquoi pas demain avec le président du forum de Davos ou d'une autre organisation de ce type) aux mains de groupes ayant leurs intérêts ( financiers, économiques, …) à défendre.
Ce qui n’est évidemment pas du tout conforme aux canons de la démocratie.
D’où la question :
Qu’est-il prévu de mettre dans la nouvelle constitution de cette VI° République, pour faire cesser la perméabilité, sous toutes ses formes, individuelle et organique, entre d’une part la sphère économico-financière (privée) et d’autre part la sphère décisionnelle ( publique) - pour remettre cette dernière sous le contrôle des citoyens- ?
Ce serait intéressant de savoir si la médication « VI° République » ainsi mise sur la marché … de la campagne électorale, possède / possédera quelques principes actifs.
A suivre …
Marcel-M. MONIN
m. de conf. hon. des universités.
(1) Et puis, comme il faudrait éviter que les citoyens ne puissent déclencher un référendum tous les mois et ne s’ingénient à provoquer des élections partielles toutes les semaines, il y a fort à parier (la France n’étant pas, qui plus est, un canton suisse), que les rédacteurs de la constitution de la VI° République veilleraient , quels qu’ils soient, à ce que ces procédures ne puissent pas être mises en œuvre facilement. Ce qui, logiquement, aurait été le principal intérêt de l’initiative populaire du référendum.
Et aussi, comme entre la V° et la VI° République, le personnel politique est appelé à être le même (J.-L. Mélenchon le premier), et aura toujours les mêmes intérêts de carrière et les mêmes réflexes (J.-L. Mélenchon compris), la foi dans le changement apporté du seul fait qu’on aurait noirci du papier relève de la naïveté ou de l’amnésie.
Sur ce dernier point, lire à cet sujet le texte des lois constitutionnelles de 1875 et le texte de la constitution de 1946 et voir l’usage que la classe politique du moment a fait de ces textes. Lire le texte de 1958 avec de Gaulle comme président et re-lire le même texte avec N. Sarkozy ou E. Macron dans les mêmes fonctions (*) .
(2) On a lu également diverses propositions de la constitution de la VI° République du candidat Mélenchon, qui auraient très possiblement comme effet secondaire, de donner à la classe politique le moyen technique … de revenir aux délices des pratiques de la IV° République - pour ne pas remonter plus haut dans le temps (*) -.
On ne retiendra (pour ne pas allonger notre propos) que trois points (*) :
a) Proportionnelle. Ce mode de scrutin (de liste) a tendance à répartir les sièges entre les représentants des partis d’une manière plus juste que le scrutin uninominal à deux tours et encore plus que ce scrutin à un tour. Mais pour le citoyen, la question est de savoir si ses intérêts seront mieux représentés. Quand les leaders des principaux partis sont, comme maintenant, d’accord sur l’essentiel ( concrètement continuer à mettre en œuvre une idéologie de dé réglementation des protections au profit du libre jeu de la loi du plus fort) le mode de scrutin quel qu’il soit n’a d’intérêt que pour le partage des sièges entre les membres de la profession politique. Et puis, la proportionnelle qui exige que les circonscriptions électorales soient plus vastes, a comme effet mécanique de distendre ou de rompre le lien entre le candidat et l’électeur, l’élu et le citoyen. Ce qui, évidemment n’est pas très bon pour un fonctionnement satisfaisant du principe « représentatif ». Ce que E. Macron a parfaitement compris, quand il propose qu’aux élections européennes, les listes de candidats deviennent des listes transnationales : plus la distance entre les élus et les citoyens est grande, moins le vote est directif et moins ceux-ci « emmerdent » ceux-là. Par ailleurs, la multiplication du nombre de factions représentées, a toujours affecté, selon les habitudes françaises, le fonctionnement des institutions par l’introduction du marchandage pour la constitution du gouvernement et sa cohésion comme pour le vote des lois. Alors que l’intérêt général ne devrait pas être subordonné aux intérêts de carrière, eux mêmes conditionnés parfois par les services pouvant devoir être rendus à des lobbys.
La notion de loi électorale « juste » doit être creusée. Est-ce pour une juste représentation des organisations politiques ? C’est cette conception qui est retenue. Est-ce pour que chaque catégorie de la population, qui n’a pas les mêmes intérêts que d’autres, soit représentée équitablement ? C’est alors une autre préoccupation que l’on n’évoque qu’à travers le découpage électoral. Mais on pourrait aussi soutenir que dès lors que les plus riches représentent 10 % de la population, il ne peuvent prétendre qu’à 10 % des sièges ; ou que telle autre catégorie ( à déterminer à partir de critères comme le revenu) qui représente 75 % de la population aurait droit à 75 % des sièges. Le fait que la carte électorale et les urnes distinctes dévoileraient le cas échéant le statut social de l’électeur ne milite guère pour que l’idée soit creusée. Et encore moins la perspective que les plus modestes auraient plus de sièges que les plus favorisés. Quand on sait tous les efforts et les investissements (propagande, médias) qui sont faits depuis longtemps pour que l’usage du droit de vote permette de reproduire, sous forme politique, les inégalités économiques et sociales. En 1948 déjà … Tocqueville disait que l’on pouvait donner le droit de vote aux pauvres ( suffrage dit universel) au motif que ces derniers « voteront comme on leur dira ».
b) Transfert des prérogatives du président au chef de gouvernement. Ce n’est pas cela qui changera le contenu des assiettes ou la possibilité ou non de se faire soigner ou d’envoyer ses enfants faire des études. Pas plus que faire faire ou non le travail gouvernemental par une société de conseil. Que ce soit le Premier Ministre ou le président de la République qui aillent chercher leurs instructions à Bruxelles ou à Washington ne change guère la donne non plus.
En revanche, c’est permettre que la composition du gouvernement, faute d’être pouvoir imposée par le chef de l’Etat dans l’intérêt général, soit la résultante de marchandages. Avec ce que cela comporte. C’est aussi risquer que le centre de gravité de la politique passe de l’Elysée aux président des commissions parlementaires, agissant eux-mêmes sous les directives des chefs de partis ou sous la pression des lobbys. Pourquoi ? Parce qu’avant les mécanismes de 1958 et avec de Gaulle qui faisait respecter ces derniers, les choses se passaient comme cela.
c) Quant au parlement « renforcé », cela porte (comme toujours et entre autres dans nos « mentalités ») sur les moyens d’empêcher le gouvernement de faire et le moyen de le défaire, notamment pour jouer au jeu des chaises musicales . La qualité de vie des citoyens ne dépend pas des armes dont les députés peuvent disposer à l’égard des ministres ( les uns et les autres venant d’ailleurs des mêmes endroits, la minorité d’entre eux réussissant à devenir ministres). Elle dépend des décisions qui sont prises.
(*) Sur l’ensemble de ces questions, voir notre « Textes et documents constitutionnels depuis 1958. Analyses et commentaires » Dalloz – Armand-Colin.
(3) La conclusion ( « inadmissible » sous beaucoup de rapports) de ces contrats peut être, comme pour tout contrat, facilitée par la proximité des parties. A titre d’illustration : on lit dans divers écrits qu’un haut responsable « de Mc Kinsey aurait été ( ce qui était son droit … sous un autre rapport) un supporter actif d’E. Macron dans la campagne menant ce dernier à l’Elysée.