mercredi 15 octobre 2008 - par GHEDIA Aziz

Le 5 octobre 88 ou la révolution « bolchevique » à l’algérienne (2)

 Chose promise, chose due. Voilà donc la deuxième partie des évènements d’octobre 1988 en Algérie. 

De Guyot ville à Club des pins, le trafic routier était plus ou moins normal ; en tout cas comme lors d’un jour ordinaire ce qui m’a rassuré et je ne pouvais alors qu’appuyer sur le champignon de ma Renault 5 qui pétaradait en laissant une fumée noirâtre derrière elle ; elle était trop vieille ma bagnole et ma paie de résident en chirurgie ne me suffisait même pas à l’entretenir comme il se devait.

Peu importait en fait du moment qu’elle roulait et qu’elle nous permettait, à ma femme et à moi, de nous déplacer à Alger et parfois à s’aventurer jusqu’à Blida ou Tipaza. C’était notre première bagnole et nous en étions fiers même s’il lui arrivait de nous laisser plantés comme des asperges du pauvre au bord de la route. Plus d’une fois, en effet, elle nous a eus. Plus d’une fois, j’ai dû appeler un dépanneur, soit parce que le câble d’accélérateur a lâché soit parce que l’un des cardans est sorti de son machin ou alors c’est carrément le levier de vitesse qui ne répondait plus, étant lui-même déconnecté de la boîte. Comme le pouvoir de l’époque de la réalité. Elle m’en avait fait voir des vertes et des pas mûres, cette bagnole.

Mais que de moments de bonheur m’avait-elle aussi prodigués ! Comme ce jour par exemple où, juste à l’entrée de l’hôpital Mustapha, il y eut un court-circuit électrique sous le capot, je ne saurai vous dire pour quelle raison, à tel point que la fumée avait envahi l’habitacle ce qui m’a obligé à éteindre illico presto le moteur ; un embouteillage monstre s’était alors tout de suite formé derrière moi obligeant ainsi les agents de la circulation, malgré eux, à venir me donner un coup de main pour la garer convenablement sur le trottoir.

A l’arrivée de la dépanneuse, la circulation automobile au niveau du rond-point de la place du 1er-Mai a été momentanément interrompue. Et les piétons se demandaient même s’il ne s’agissait pas d’une "visite d’inspection et de travail" du ministre de la Santé à l’hôpital. C’est une habitude à Alger : lors de chaque déplacement d’une personnalité politique, la circulation routière est complètement arrêtée et l’on assiste alors à des bouchons monstrueux et à une anarchie totale. Ma Renault 5 fut hissée… et moi dedans, et alors, ainsi perché au volant de ma voiture, je dominais tout la monde : c’était comme si j’étais dans un Hummer, ce grand 4x4 américain, mais qui n’existait pas à l’époque. Pur moment de bonheur !

Trêve de plaisanterie et fermons cette parenthèse que j’ai ouverte à la mémoire de mon vieux tacot qui avait failli, lui aussi, périr lors des événements d’octobre 88. En fait tout ceci c’est pour dire que, durant ces années d’austérité, il était très difficile, même à un couple de médecins, ne serait-ce que de rêver d’une condition sociale digne de ce nom. Alors que dire de la plèbe, les cohortes de "Bouhi" comme on les appelait alors ? Elle ne pouvait évidemment que s’entasser comme des sardines, par tous les temps, qu’il pleuve ou qu’il vente, dans des bus de la RSTA et autre SNTV qui ont, les premiers, fait les frais de ce mécontentement populaire jamais vu auparavant en Algérie de l’après-indépendance.

L’austérité économique si elle touchait tout le monde, si elle était générale et équitablement partagée ça aurait pu passer ; aucun incident n’aurait été à déplorer. Mais l’autoritarisme politique tel qu’il était pratiqué par le parti unique, le FLN, voilà où ça nous a amenés ! Je méditais sur cette sentence philosophique quand je me suis aperçu que nous étions déjà du côté de la forêt de Bouchaoui, à l’entrée de l’autoroute. Là, tout semblait calme, trop calme même pour une route habituellement fréquentée par la "jet set" d’Alger qui passait ses après-midi sur la plage de Moretti ou sur les Yachts de Papa à Sidi Ferruch. 

A Ben Aknoun déjà, à côté du parc zoologique, des automobilistes apeurés par ce qui se passait devant eux et affolés jusqu’à l’extrême manœuvraient sur l’autoroute pour faire demi-tour. De loin, ils avaient pu repérer une meute de jeunes qui s’adonnait à son sport favori de l’heure : la casse. C’est alors que ma femme dont l’inquiétude commençait à transparaître sérieusement sur son visage me pria de faire de même tout en se délestant de ses bijoux et en les cachant sous son siège de peur d’en être dépouillée par des jeunes en proie à une ire sans limite, à une folie généralisée.

Je n’ai pas eu ce réflexe et j’ai continué sur ma lancée ignorant les supplices de ma femme. Il n’y avait aucune raison pour que ces enfants et ces adolescents s’en prennent à nous ni… à notre vieille bagnole. Ces enfants n’étaient tout de même pas fous ; ils savaient ce qu’ils faisaient ; ils savaient distinguer le bon grain de l’ivraie. Et, effectivement, à notre grand étonnement et soulagement, ils s’étaient, bien au contraire, montrés très aimables et très courtois avec nous allant jusqu’à me conseiller le chemin que je devrais prendre pour éviter toute mauvaise rencontre, toute rencontre de troisième type.

Ainsi donc ma vieille bagnole m’a servi de "laissez-passer", de passeport non officiel pour traverser les différents quartiers d’Alger en ébullition, Alger en révolution. Alger abandonnée par la force publique. Il faut dire qu’à ce moment-là l’armée n’avait pas encore pris position avec ses chars et ses blindés dans les différents points stratégiques de la ville blanche recouverte par une fumée noire. Il nous a fallu des heures et des heures pour arriver, non pas à El Harrach où devait avoir lieu la fête, il n’en était plus question devant l’avènement de ces tragiques événements, mais chez des amis qui habitaient au boulevard des Martyrs à quelques centaines de mètres de la RTA. Celle-ci était bien protégée par un cordon sécuritaire. Et des policiers armés régulaient la circulation des quelques voitures qui osaient s’aventurer par là. Car, jusqu’à ce jour-là, personne ne savait qui était derrière les insurgés.

Pourtant, il ne s’agissait pas d’un putsch militaire comme il en arrive souvent dans les pays africains. Ce n’était que tard, dans la soirée de ce 5 octobre, que la thèse d’un "mouvement spontané" commençait à circuler de bouche à oreille au niveau d’Alger. Et qu’on avait appris, par ailleurs, que d’autres villes algériennes s’étaient soulevées, elles aussi. Ce qui, reconnaissons-le, allait complètement à l’encontre de cette thèse ; "un mouvement spontané", réglé comme du papier à musique, qui a balayé l’Algérie d’Est en Ouest, ça ne pouvait convaincre personne.

A suivre



1 réactions


  • Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR) Mohammed 15 octobre 2008 17:32
    "Le 5 octobre 88 ou la révolution "bolchevique" à l’algérienne (2) "  "Chose promise, chose due. Voilà donc la deuxième partie des évènements d’octobre 1988 en Algérie. "


    J’avais donné mon avis l’article (1) voici mon autre avis pour l’article (2) !

    Les attroupements du 5 octobre 1988 là où vous les rapportez n’étaient que les retombées insignifiantes de l’ouragan qui avait changé complètement la vision du Monde pour l’ensemble des humains sans pour autant réussir à convaincre les Algériens d’admettre le respect des lois comme préalable à la constitution d’une Nation et à l’instauration d’un Etat !


    Résultat, le FLN secoué avait immédiatement répliqué en accouchant sa copie de sauvegarde qu’il utilise encore aujourd’hui comme fausse opposition et il s’est même permis de se fossiliser dans l’ancien creuset des institutions nationales qui, il faut bien le reconnaitre, fonctionnaient normalement durant la décennie de BOUMEDIENE quant précisémment le FLN était seulement un "symbole" !


    BOUMEDIENE DISAIT : " Seuls les morts avaient accompli leur devoir, nous devons poursuivre la construction nationale" mais le travail était déjà devenu un handicap, une honte pour les Algériens voleurs !


    L’ère CHADLI avait fini d’élargir le gouffre qui a englouti les espoirs Nord Africains ! De la corruption généralisée, du démantèlement de tous les services publics, de l’insécurité totale, de la disparition du patrimoine national au profits des individus pirates qui engrangent librement des fortunes colossales et illégitimes on arrive aujourd’hui à l’anarchie universelle et croyez moi nous ferons mal au Monde entier !


    Mohammed MADJOUR.


Réagir