Le contentieux entre christianisme et islam
Dès la survenue de l'islam au VIIe siècle, une discorde théologique insurmontable l'a opposé au christianisme déjà installé dans le monde, sans compter une concurrence socio-politique qui ne s'est jamais démentie.
Ce qui est en jeu, c'est la primauté du dogme, l'islam considérant, par sa révélation, être la seule et unique religion détentrice du message de Dieu transmis aux hommes par l'intermédiaire de son prophète, Mahomet, qui clôt "le sceau de la prophétie". En d'autres termes, nul prophète ne peut survenir après lui, sous peine d'apparaître comme un usurpateur.
Les héritiers d'Abraham
D'emblée, Mahomet déclare qu'il vient "confirmer le Pentateuque que vous avez reçu avant moi" (Coran, Sourate III, 44). Le Pentateuque comprend les cinq premiers livres de la Bible (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome) qui forment la Torah (Loi) juive.
Mahomet se place sous le patronage d'Abraham avec lequel Dieu avait conclu une alliance privilégiée. Pour l'islam "orthodoxe", Abraham est donc musulman, détenteur de la vraie foi, puisqu'il s'est soumis à la volonté de Dieu : "Lorsque Dieu dit à Abraham : Résigne-toi à ma volonté, il répondit : je me résigne à la volonté de Dieu maître de l'univers." (Sourate II, 125) Et Abraham a révélé cette religion à sa descendance : "Abraham recommanda cette croyance à ses enfants, et Jacob en fit autant ; il leur dit : O mes enfants ! Dieu vous a choisi une religion, ne mourez pas sans l'avoir embrassée." (Sourate II, 126)
Nous savions, bien sûr, que les Arabes s'estiment être les descendants historiques d'Abraham par Ismaël, le fils que lui donna la servante égyptienne Agar (Genèse, 16,15). Et l'Islam se considère comme l'authentique restaurateur de la tradition abrahamique primordiale, mise à mal par les païens et les idolâtres. En effet, pour la tradition musulmane, Abraham a aboli l'idolâtrie et instauré le véritable culte monothéiste. Et au VIIe siècle, Mahomet est venu restaurer le Pentateuque en éradiquant les racines du polythéisme.
L’orthodoxie contre l’orthopraxie
Ce rappel historique est nécessaire pour comprendre le contentieux né entre les chrétiens et les musulmans. Les musulmans accusent les chrétiens qui détiennent une partie de la révélation abrahamique (Jésus étant un envoyé de Dieu à l'instar de Moïse ou de Mahomet) d'avoir falsifié les Ecritures saintes ayant annoncé la venue de Mahomet : "Après qu'ils eurent reçu de la part de Dieu un livre confirmant leurs Ecritures (...) ; après qu'ils eurent reçu le livre qui leur avait été prédit, ils ont refusé d'y ajouter foi ! Que la malédiction de Dieu atteigne les infidèles." (Sourate II, 83) Le Coran réactualise métaphoriquement, pour évoquer ce rejet de la parole divine par les infidèles, l'ascension de Moïse sur le Sinaï et l'érection de la statue du veau d'or.
Le second reproche fait par les musulmans aux chrétiens résulte de la divinisation de Jésus (Issa). Pour eux, Jésus est un envoyé de Dieu certes, l'avant-dernier, mais avant tout un homme, et aucunement le fils de Dieu ; Jésus et Mahomet ne sont que de simples prophètes et Mahomet l'ultime envoyé (Rasoul Allah). Le Coran précise sans ambages que le "Beau-Modèle" (Mahomet) n'est pas une divinité : "Dis-leur : Oui, sans doute, je suis un homme comme vous, à qui il a été révélé que votre Dieu est le Dieu unique..." (XLI, 5)
A la divinisation de Jésus, s'ajoute une autre hérésie impardonnable : le dogme de la Trinité désigné par le Coran sous le terme péjoratif de shurk ("association") qui s'applique aussi bien aux idolâtres qu'aux chrétiens. Il s'agit du péché d'"associationnisme" : en d'autres termes, au Dieu unique, il ne saurait être adjoint d'associés. Les théologiens de l'Université El-Azhar du Caire condamnent ce qu'ils considèrent comme une idolâtrie : "La foi en Dieu est commune entre vous, chrétiens, et les idolâtres, tandis que la foi musulmane n'est pas semblable à la foi chrétienne." (Revue officielle de l'Université d'El-Azhar, 1979)
Aux yeux des musulmans, les chrétiens sont plus proches des païens que des juifs, d'autant plus que Saint Paul, "l'apôtre des Gentils" a rendu obsolète la loi juive de Moïse que les musulmans vont continuer à adopter (loi du sang, du Talion, règles alimentaires, circoncision, etc.) Dans l'Epître aux Galates, Saint Paul oppose la Loi ancienne (celle de Moïse) maintenant obsolète, et la Loi nouvelle, celle des temps messianiques christiques, en faisant référence aux deux fils d'Abraham, Isaac, né de la femme libre Sarah, et Ismaël, né de la servante esclave Agar : la lignée d'Agar représente allégoriquement la servitude à la Loi et la lignée de Sarah symbolise la nouvelle alliance libre (Galates, 4, 21-31).
Il en résulte qu'un large fossé théologique sépare les deux religions abrahamiques, l'essentiel du dogme coranique consistant dans le refus de reconnaître la divinité du Christ : "Ils (les juifs et les chrétiens) ont pris leurs docteurs et leurs moines plutôt que Dieu pour leurs seigneurs, et le Messie fils de Marie ; et cependant il ne leur a été ordonné que d'adorer un seul Dieu, hormis lequel il n'y a point d'autre Dieu. Loin de sa gloire les divinités qu'ils lui associent !" (Sourate IX, 31)
Mais le paradoxe aussi bien théologique qu'historique réside dans le fait que l'islam, tout en se targuant d'être l'ultime Révélation, se réfère à une loi ancienne, caduque, celle issue d'Abraham et de Moïse, dont le christianisme s'est dépouillé comme le serpent de sa peau. Refusant le message messianique du Christ, les musulmans en sont restés à une conception figée et ritualiste de la religion, travers que Jésus critiquait déjà chez les pharisiens.
Le christianisme met en avant la foi, l’orthodoxie, l’obéissance au dogme, tandis que l’islam privilégie, comme le judaïsme dont il est issu, l’orthopraxie, l’accomplissement des préceptes et rituels codifiés dans la Loi mosaïque (Torah) ou Charia.
Le « hold-up » historique
Par un « hold-up » historique audacieux, les musulmans ont fait main basse sur l'héritage monothéiste juif, en affirmant que l'islam était la véritable religion des anciens Arabes descendants d'Ismaël. Ce qui se traduit sur le plan culturel par la négation de la civilisation païenne préislamique. Ces civilisations, héritières des cultes polythéistes, seront rejetées dans la jahiliyya, cette période d'ignorance, d'impiété et de barbarie ayant précédé l'instauration de la religion musulmane. Est concernée la période écoulée entre la révélation d'Abraham et l'instauration de l'islam au VIIe siècle. Les vestiges de ces civilisations sont détruits ou menacés par fanatisme : ainsi en fut-il des Bouddhas de Bamiyan en Afghanistan.
Source : Le Coran, traduit de l'arabe par Kasimirski