mercredi 29 avril 2020 - par Bernard Dugué

Le Covid-19 et l’avalanche. Ne restez pas masqués

Texte écrit vers le 20 mars, publié fin avril

 

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« Des arguments solides nous font comprendre que l’utopie cinétique de la modernité a échoué. Des choses se sont mises en marche - et pas seulement des escaliers roulants - (…) qu’on n’a nullement prévues (…) et dont on peut douter qu’elles ne puissent jamais être reprises par une action humaine pour être dirigées dans des voies non fatales (…) Il faudrait alors dire que ce processus ressemble à une avalanche pensante. De quoi s’agit-il ? Nous ne le savons pas, mais aucun doute, nous sommes cette avalanche. » (Sloterdijk, Mobilisation Infinie)

 

Et cette avalanche descend maintenant à grande bruit dans la vallée, elle file bon train mais elle se prépare à affronter en ce mois de mars la plus terrible des lignes Maginot placée sur son chemin, une particule virale de 100 nanomètre. Ce constat aurait sans doute été écrit par l’auteur de ce texte qu’on pourrait qualifier de visionnaire, un texte écrit à l’écart de l’agitation urbaine, l’espace d’un été passé dans la campagne provençale, imaginé comme le fruit d’une longue sieste estivale, bref, aux antipodes de la Modernité dont le mot d’ordre est la « mobilisation sur le progrès », cette mystérieuse transcendance dont parlait Macron un jour de campagne sur une plage de l’Atlantique. Tout le monde sur le pont, l’avalanche descend dans la vallée, mais vous êtes priés de ne pas regarder la vallée et d’ailleurs, bien peu observent ce dévalement de la technique, et croyant s’élever vers les cimes du progrès. N’étions-nous point gouvernés par le premiers de cordée, chaussés des crampons du numérique, avançant pas à pas pour nous promettre cette terre de Babel qu’on appelle la globalisation. L’avalanche recouvre la terre, la vallée, il n’a pas de creux, tout tient, dormez sur le pont, avancez dans le progrès et voilà que d’un seul coup, l’avalanche s’est arrêtée mais nous ne sommes pas ensevelis. Nous regardons la vallée confinés dans nos logements et nous sommes sidérés. Les pays modernisés avec les techniques et les industries décrétèrent l’immobilisation générale. Tout d’un coup la machine à produire et à loisir s’est enrayée. Un simple virus a créé un accident industriel planétaire. Car c’est bien d’accident industriel dont il s’agit. Ce n’est pas tant le virus qu’il faut incriminer mais la machine elle-même qui n’a pas résisté à l’apparition de cette maladie soudaine, le Covid-19, qui s’est propagée rapidement, montrant que le système contrôle tout, sauf ce qui est imprévisible et arrive soudainement, perturbant certains des rouages essentiels de la machine, jouant avec plusieurs coup d’avance, imposant une réaction rapide et entraînant une réaction en chaine car toutes les pièces techniques du systèmes, hommes, machines, médecin, médias, gouvernants, sont interdépendants. L’événement est à l’image d’un feu d’artifice tiré depuis une berge venant s’abattre sur les spectateurs debout sur la jetée. Stupeur et sidération, la foule carbonisée par un virus et puis, tout le monde rentre chez soi, les quais sont désert, le confinement est acté.

 

Le Covid-19 est-il un événement, ou alors un avènement ? Lors d’une entrevue télévisée, Alain Badiou commentait l’élection de Trump qui on le sait, plongea la sphère des intellectuels dans un état de sidération et les journalistes du NYT dans une psychose comateuse. Cette élection fut-elle un événement. Oui au sens de l’actualité mais pas au sens philosophique selon Badiou pour qui un événement est ce qui surgit et n’a pas d’explication, laisse en état de stupeur, d’étonnement. Une fois l’élection de Trump actée, les observateurs ont réfléchi, pris du temps, et finalement sont arrivés à la conclusion que cette élection surprenante n’était pas le fait d’un hasard ou d’un caprice passager du corps électoral mais traduisait ce qui était caché au fond de l’âme des Américains. Brièvement, des sentiments d’agacement, des colères rentrées, des frustrations, une défiance face aux élites du modernisme, bobo, start-up, nomades friqués traversant le monde et une Amérique profonde se sentant délaissée par cette classe d’intellos branchés et festoyant aux quatre coins de l’Amérique, n’enivrant de cocktail et finalement, un Trump plutôt grossier est apparu et s’est fait élire parce que des millions d’Américains se reflétaient dans son miroir de gendarme frappant les guignols du parti démocrates. Les ânes démocrates n’ont pas résisté à l’éléphant Trump. Pour Badiou, cette élection, bien que complètement inattendue, n’en reste pas moins un non-événement au sens historique tel que le conçoit l’auteur de l’Etre et l’événement. L’événement entendu de cette manière est en fait une émergence dont on pouvait pressentir les prémices et les ressorts mais qui une fois advenu, révèle cette fois ces ressorts que la plupart n’avaient pas perçu, faute de regarder au bon endroit, ou alors parce qu’ils ne voulaient pas penser qu’il soit possible car tellement « hors cadre » pour ne pas dire grotesque. Le virus a fait sortir l’Histoire de son lit, la crue est centennale, plus terrible que la grippe espagnole de 1918. L’Histoire nous a enseigné que de tels événements puissent arriver, y compris ceux que l’on juge comme déraisonnables. L’Histoire n’est pas un fleuve capricieux et turbulent capable néanmoins de rester dans le lit que lui a assigné la Raison. Et quand la Raison pousse le fleuve, elle le conduit malgré les turbulences vers le long et large estuaire de la fin de l’Histoire nous dit Hegel ; lorsque l’Esprit a fini par purger sa peine dialectique, que les fracas se sont tus. L’homme deviendrait alors l’auteur et le sujet du royaume de la Raison, cette Jérusalem terrestre promise aux fidèles de la volonté, de la confrontation et du progrès. Non, l’Histoire ne s’est pas déroulée ainsi, ni celle espérée par Hegel ou bien voulue par Marx, ou encore la société pensée par Weber puis Habermas. L’Occident rêvait d’une eschatologie sans Dieu dans laquelle l’homme est devenu une divinité, il a produit une téléologie anthropotechnique qui à maintes occasions est allée dans le mur. Décidemment, on ne peut pas faire confiance en l’homme !

 

Ces lignes modérément facétieuses nous renvoient à l’Histoire et c’est cette question que tous les philosophes aguerris se posent. Comment jauger cet épisode inattendu et fracassant avec les repères des philosophies devenues obsolètes mais que les sonneurs de tocsin lancent à la cantonade. Le climat, le capitalisme, le libéralisme, autant de mots désuets révélant d’agitation d’intellectuels rêvant de voler tels les chouettes de Minerve pour annoncer la bonne nouvelle. Nous savons, nous avons tirés les leçons. Même avant la fin de l’orage les chouettes de Minerve du grand Barnum médiatique volent dans le ciel, ne regardent même pas ces héros en blouse blanche et masques sur le front sanitaire ; les chouettes savent déjà ce que signifie cet événement, elles ont la réponse, elles s’envolent tels des pigeons voyageurs prêts à diffuser les nouvelles mais pas celles du front. Les chouettes se sont envolées avant la fin de cette histoire pandémique. Décidément, elles ne respectent rien. La chouette de Minerve s’envole à la tombée de la nuit, pas en plein jour, quand le ciel étoilée s’éclaire des phosphorescences jetées par les soldats du feu sanitaire affrontant l’offensive virale.

 

Une page d’Histoire s’est ouverte à l’occasion d’un événement de même nature ontologique qu’un accident industriel combiné à un fait de la Nature qui cette fois, s’invite dans l’Histoire après y avoir été chassée par Marx ou bien les progressistes du monde industriel, les moteurs de la gloire positive célébrés par Auguste Comte puis Emmanuel Macron, recouverte par l’avalanche mais déclose par l’œil du philosophe. Pour voir le sens de l’Histoire, il faut se délester en pensée, ce délestage est en réalité un concept maladroitement traduit par allégie dans l’essai sur l’avenance rédigé par Heidegger entre 1936 et 1938. Le délestage permet de souffler sur le nuage de terreur et d’agitation qui obstrue la conscience de la vérité, Ereignis. Nous approchons de la vérité. Je vous laisse méditer. J’ai encore beaucoup de choses à écrire. La modernité a échoué comme l’a pressenti Sloterdijk. Grâce au coronavirus nous allons comprendre pourquoi elle a échoué. Ne portez pas de masques, ce n’est pas le moment de se masquer la Réalité.

 



9 réactions


  • Francis, agnotologue JL 29 avril 2020 17:06

    ’’Le Covid-19 est-il un événement, ou alors un avènement ?’’

     

    Pour Alain Badiou, « Le capitalisme n’est qu’une accumulation de faits. Le communisme est d’une autre nature : il n’est pas du coté des faits mais des événements… Un événement est la création de nouvelles possibilités »

     

     SI événement cela était, ce serait plutôt la fermeture de nouvelles illusions. Ce qui fait qu’il n’y a pas d’événement en système capitaliste, c’est que le capitalisme se nourrit de tout bois ; il se nourrit de ses contradictions. Et ainsi il digère les événements.

     

     « « L’investissement produit l’avenir dont la spéculation ferme au contraire les possibilités. Le spéculateur agit contre les intérêts du monde dans lequel il vit, et c’est pourquoi la financiarisation n’est pas durable : elle détruit le monde. Mais tous ceux qui l’ont soutenue – activement ou passivement – participent d’un même désinvestissement dans leur propre activité. Le populisme politique, par exemple, est aussi pulsionnel que la spéculation : c’est la forme politique de la spéculation. Le populisme industriel mis en œuvre par la télévision est du même ordre : c’est la forme consumériste de la spéculation. . »
    « La financiarisation liquide le capitalisme de la bourgeoisie qu’elle remplace par un capitalisme mafieux. le capitalisme d’actionnariat, où les actionnaires peuvent soumettre les dirigeants à leurs exigences les plus folles, conduit à une économie globalement ruineuse pour le monde, généralisant les comportements irresponsables au nom d’une prétendue rentabilité qui produit de plus en plus de toxicités en tous genres – du CO2 aux actifs bancaires dits toxiques, en passant par mille formes d’addictions. La bourgeoisie investissait et prenait encore soin du monde. Le capitaliste mafieux est structurellement je-m’en-foutiste. Depuis la « révolution conservatrice », ce je-m’en-foutisme est devenu le principe même de la guerre économique. » »

     https://www.atlantico.fr/decryptage/190399/crise-cause-court-termisme-bernard-stiegler


    • Bernard Dugué Bernard Dugué 29 avril 2020 17:22

      @Pour Alain Badiou, « Le capitalisme n’est qu’une accumulation de faits. Le communisme est d’une autre nature : il n’est pas du coté des faits mais des événements… Un événement est la création de nouvelles possibilités »
      Ce coronavirus est donc un événement mais qui crée de nouvelles impossibilités
      ainsi que des possibilités. C’est donc un virus communiste.
      On s’en doutait puisque ce virus vient de Chine


    • Francis, agnotologue JL 30 avril 2020 08:58

      @Bernard Dugué
       
       ’’Ce coronavirus est donc un événement mais qui crée de nouvelles impossibilités’’
       
      Hé bien, n’est-ce pas ce que j’ai dit ?


  • babelouest babelouest 29 avril 2020 20:07

    Ah là là.... Bernard Dugué, lisez un peu. Il semble bien que ce virus anodin, mais VOLONTAIREMENT mal soigné par la « médecine officielle », ne soit qu’un prétexte pour accroître formidablement l’emprise de l’État-Pognon sur les citoyens ravalés à des sujets incités fortement à accroître le PROFIT des Grands.

    .

    De plus, les preuves que ce machin ait été concocté par les labos militaires de l’Empire commencent à abonder, les Chinois ne sont que victimes. Mais eux ont bien réagi. Ils s’en sortiront. Pour nous Français, ce sera beaucoup plus difficile, parce que nous aurons contre nous décrets, ordonnances (non, pas médicales), forces de l’ordre, ET les gens qui n’ont rien compris, et qui risquent de dénoncer leurs voisins moins crédules. Une catastrophe.


  • julius 1ER 30 avril 2020 08:57

    au début de l’année, cela semble il y a un siècle maintenant la focalisation médiatique était sur le « transhumanisme » le nouveau crédo des multinationales high tech ....avec ses disciples du genre L Alexandre qui venait nous faire sentir que nous étions « hasbeen » !!!

    et là d’un coup avec ce minuscule virus,« l’être augmenté » que l’on nous promettait semble sérieusement diminué ..... du moins pour l’instant ... alors saura -t-il tirer les enseignements de tout cela ????? that is the question !!!


  • Durand Durand 30 avril 2020 10:08

    Bonjour

    Que disait le Pr Raoult en 2013 ?... C’est du lourd !

    https://m.youtube.com/watch?v=thaxON18uJs

    ..


  • Emohtaryp Emohtaryp 30 avril 2020 13:30

    Ne portez pas de masques, ce n’est pas le moment de se masquer la Réalité.

    « Ça sert à rien de porter un masque, puisqu’il y en a pas »....De quoi alimenter des sketches à la Raymond Devos pendant des lustres !

    Quant à la réalité, on peut la cacher provisoirement sous le tapis, mais elle finit toujours par ressortir au moment le plus inopportun....

    Allons, Bernard, pensez donc « printemps »....


  • alinea alinea 30 avril 2020 14:32

    Pour moi les choses sont tellement simples qu’il me paraît incongru d’écrire cette phrase : le civilisé croit pouvoir tout maîtriser, cette épisode lui prouve que, non content de ne pouvoir maîtriser la nature, il ne peut même pas maîtriser ses prétentions !

    On connaît ça depuis longtemps, hein, rien de neuf ; en revanche, ce qui serait neuf et épatant, c’est qu’il puisse prendre, globalement, la leçon d’humilité qui lui est offerte... mais ça !!


  • Rera 30 avril 2020 19:07

    @ TOUS ,Écoutez la vidéo du Docteur Marty sur la vente de masques par les grandes surfaces françaises,alors qu’ils viennent d’avoir les autorisations à la vente il y a quelques jours Carrefour met en vente 500 millions de masques ????Ecoutez la vidéo j’usqu’au bout :

    https://www.facebook.com/100007196104992/posts/2582279962021849/


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