Le créationnisme serait-il, lui aussi, une théorie du complot ?
Les remous provoqués par QAnon et la saga de l’élection volée, parallèles ou générateurs de la mascarade du Capitole le 6 janvier dernier, n’ont pas encore disparu de la surface de l’océan médiatique mondialisé, mais on observe une tendance à l’accalmie de ce côté-là. Mais le vide laissé par la disparition de ce feuilleton à épisodes (et à succès) sera vite comblé par d’autres hypothèses de conspirations et, si l’actualité tardait à en révéler de nouvelles, il en est une qui peut tenir lieu de marronnier et satisfaire les attentes des amateurs en la matière et joue le même rôle pour la presse étasuniennes que celui qu’a joué Nessy dans les journaux européens dans les années 30 : la théorie créationniste qui, elle aussi, présente toutes les caractéristiques d’un « théorie du complot ».
Aux États-Unis aujourd'hui, jusqu'à 40% des adultes sont d'accord avec l'affirmation selon laquelle la terre a 10 000 ans, tous les humains descendent d'Adam et Eve et toutes les créatures vivantes sont le résultat d'une « création spécifique » et délibérée (« intelligent design »), et non pas d'une évolution et d'une sélection naturelle. Le déluge lui-même aurait été un avant goût du mondialisme et serait responsable à lui seul de tous les dépôts de sédiments qui ont produit les strates géologiques comme celles que l’on peut admirer sur le site du Grand Canyon du Colorado.
Ces croyances découlent de la doctrine de l’inerrance biblique, partie intégrante du dogme de plusieurs églises évangéliques et baptistes à travers le monde, principalement dans la sphère anglo-américaine et aboutissent à ce que le mouvement créationniste actuel réponde à tous les critères d’une théorie du complot à part entière en proposant un système d’univers parallèle complet avec ses propres lois, ses règles et ses preuves, et en clamant haut et fort que l’« establishment » scientifique impose la théorie de l’évolution pour maintenir l’ordre établi et protéger ses propres privilèges d’élite corrompue qui conspire pour monopoliser les sinécures universitaires et les subventions affectées à la recherche. Mais avant tout, l’objectif présumé est de nier l'autorité divine, et le principal bénéficiaire en même temps que le moteur n’est autre que Satan en personne.
Le créationnisme est apparu en réaction à l'accent mis sur l'enseignement des sciences, et son texte fondateur est le best-seller, The Genesis Flood, de John C Whitcomb et Henry M Morris.
Les créationnistes ne ménagent pas leurs efforts pour diaboliser les partisans de la théorie de l'évolution et pour saper leurs arguments. Selon l’organisation évangélique fondamentaliste « Answers in Genesis », la science de l'évolution est une œuvre de Satan, et l'ancien membre du Congrès américain Paul Broun l'a décrite comme « un mensonge tout droit sorti du gouffre de l'enfer », alors qu’il était membre du Comité de la Chambre des représentants pour la science, l'espace et la technologie.
Leur principale technique de démonstration consiste à s’attaquer à de vieilles théories pourtant corrigées et abandonnées depuis longtemps par leurs propres auteurs (comme celle des premières études sur l'évolution darwinienne chez les papillons de nuit poivrés, en réponse au changement de couleurs suite à une pollution réduite) pour en déduire que la science dans son ensemble est une entreprise frauduleuse.
Jonathan Wells, chercheur principal au Discovery Institute, un groupe de réflexion qui promeut le créationnisme, est titulaire d’un véritable doctorat univesitaire, obtenu en défendant une thèse ayant pour but affiché de « détruire le darwinisme ».
Les théories du complot sont toujours motivées par une préoccupation ou un projet sous-jacent. La théorie selon laquelle l'acte de naissance d'Obama était un faux concernait sa légitimité politique et visait à le déloger pour prendre sa place. Elle disparaîtra quand les politiciens qui l’ont échafaudée disparaitront, comme a disparu la théorie des reptiliens qui affirmait que des « hommes lézards » agissaient dans l’ombre et manipulaient l’humanité dont ils constituaient 50% de la population et se nourriraient de l’autre moitié (La Reine Elizabeth II, Madonna, Katy Perry, Barack Obama ou encore Nicolas Sarkozy auraient été en fait des reptiliens), et comme a disparu la thèse selon laquelle Michael Jackson et Adolph Hitler ne seraient pas morts.
Par contre, on peut craindre que la théorie du complot créationniste ne soit pas si éphémère. Elle est animée par une lutte de pouvoir profondément ancrée au sein des communautés religieuses, entre modernistes et littéralistes ; entre ceux qui considèrent que l'Écriture nous vient par des auteurs humains, si inspirés soient-ils, et ceux qui la considèrent comme une parfaite révélation surnaturelle. Et c'est une lutte n’est pas près de s’éteindre outre-Atlantique quand on sait que quatre États américains ont étudié des lois visant à autoriser l’enseignement, lors des cours de sciences au lycée, des thèses créationnistes au même titre que la théorie de l’évolution et que des personnages aussi importants que l’ex vice-président des Etats-Unis, Mike Pence est un créationniste convaincu.