mardi 14 décembre 2010 - par Paul Villach

Le crime qui paie : la fraude électorale

Le conflit en Côte d’Ivoire entre le nouveau président élu et son rival battu est emblématique de la lutte féroce pour l’exercice du pouvoir dans un pays, puisque c’est la porte ouverte à la satisfaction promise sans entrave de tous ses caprices ou presque.

Le choix des gouvernants par guerre ou hérédité

Longtemps le pouvoir s’est arraché dans le sang par la violence des armes. Il continue encore de l’être ainsi d’ailleurs dans certains pays. Mais les dégâts provoqués par ces affrontements répétés ont souvent conduit une oligarchie à se résigner à un compromis plus économique : on s’est rallié à une famille dominante pour, moyennant contreparties, la placer à la tête d’un État avec transmission héréditaire du pouvoir de génération en génération. Pascal n’était pas dupe : « Qu'y a-t-il de moins raisonnable, écrit-il dans ses « Pensées »,que de choisir, pour gouverner un État, le premier fils d'une reine ? L'on ne choisit pas pour gouverner un bateau celui des voyageurs qui est de meilleure maison. » Mais c’est un moindre mal, car le choix du « plus vertueux  » ou du « plus habile  » déclenche aussitôt les hostilités. Au moins, « le fils aîné du roi, cela est net », « incontestable », « il n'y a point de dispute. La raison ne peut mieux faire car la guerre civile est le plus grand des maux. »
 
Le choix des gouvernants par une majorité en démocratie
 
À un degré supérieur de développement politique, la démocratie propose, elle, une autre méthode pour choisir les gouvernants : elle écarte à la fois la violence et l’arbitraire tyrannique pour en confier la décision à l’élection pacifique recueillant le plus grand nombre de voix. La qualité de l’élu est-elle pour autant garantie ? Une majorité de suffrages est-elle un critère de justesse de jugement ? Nullement ! Nombre d’exemples dans l’Histoire prouvent le contraire. On voit des peuples se donner des bourreaux dans l’enthousiasme et l’allégresse. De récents documentaires télévisés ont rappelé l’incroyable ferveur populaire qui entourait le maréchal Pétain investi des pleins pouvoirs par le Parlement le 10 juillet 1940 : il était encore acclamé dans les rues deux mois avant le débarquement des Alliés en juin 1944. On en ressort atterré : tant d’aveuglement peut-il agenouiller la majorité d’un peuple devant son propre naufrageur ? Oui !
 
L’idéal d’un pouvoir démocratique limité sans attraits
 
Mais existe-t-il une autre méthode que l’élection pour choisir pacifiquement des gouvernants  ? Celle-ci ne devient acceptable que si le pouvoir confié est étroitement limité autant par la durée du mandat que par la liberté d’expression fondant le droit d’opposition, et la soumission de tous à la loi conçue comme une protection des droits de chacun dont le respect par autrui sont autant de devoirs par réciprocité. Dans ce contexte, le pouvoir convoité perd de son attrait puisqu’il exclut toute dictature d’une majorité sur une minorité appelée au terme de son mandat à prendre éventuellement sa place et à se montrer aussi respectueuse des droits de la nouvelle minorité que l'ancienne majorité l’a été envers les siens.
 
Un degré primaire de démocratie
 
On est encore loin de ce fonctionnement apaisé et c’est ce qui explique sans doute, qu’à ce degré primaire de démocratie, les élections dissimulent en général plus ou moins bien sous des apparences civiles les pires affrontements.
 
Il arrive même, comme en Côte d’Ivoire, que les apparences ne peuvent même pas être sauvées. En pleine proclamation des résultats par la commission électorale, on a vu son porte-parole se faire arracher des mains ses feuillets par les séides du candidat battu pour les déchirer. Une cour constitutionnelle soumise à l’ancien président a ensuite invalidé l’élection de son rival et proclamé le battu élu en modifiant les scores. Puis le battu et l’élu en sont venus à prêter serment et à prendre chacun leur fonction. On en est là pour le moment, la communauté internationale reconnaissant la légitimité de l’élu et pressant le sortant battu de lui laisser la place.
 
La tentation permanente de la fraude électorale
 
- En Russie
 
La Côte d’Ivoire n’a pas l’exclusivité de ce spectacle déplorable. Elle le rend seulement plus grotesquement ostentatoire que l’Iran, l’Égypte, l’Algérie, la Tunisie, le Kénya, le Zimbabwé, voire Haïti. Pour avoir été pacifique, par exemple, l’élection du président Medvedev en Russie a-t-elle été plus honorable en février 2008 ? Empêché de briguer un nouveau mandat, l’ex-président Poutine n’a t-il pas mis à sa place un de ses obligés ? Et, en attendant de la reprendre au terme de son mandat, ne s’est-il pas attribué le poste de premier ministre qui lui permet de garder la réalité du pouvoir ? Peut-on parler d’élections libres ?
 
- Aux États-Unis
 
Des pays aux traditions démocratiques plus anciennes et affermies se livrent aussi à toutes sortes de manœuvres. On n’a pas oublié la mascarade qui a porté au pouvoir des États-Unis en 2000 pour leur malheur le sinistre Georges W. Bush. Son rival Al Gore avait beau totaliser un nombre global de suffrages supérieur sur l’ensemble du pays de plus de 500.000 voix, le fractionnement par État du scrutin et le nombre varié de grands électeurs alloués à chacun l’ont rendu minoritaire. Mieux, un État, la Floride, dont le gouverneur était le frère de G.-W. Bush, s’est distingué par des méthodes plus ou moins honnêtes pour tromper les électeurs et altérer la sincérité du scrutin. Tout cela n'a pas empêché Bush d'être réélu en 2004 !
 
- En France
 
La France est-elle plus exemplaire ? Quelle élection ne traîne pas son cortège de litiges scandaleux ?
 
* À Paris, sous le règne chiraquien, on a trafiqué les listes électorales en échangeant des inscriptions contre des places en crèche ou des logements afin d’assurer une majorité dans des arrondissements incertains.
 
* À Perpignan, aux dernières élections municipales de 2008, un scrutateur a été surpris avec des bulletins de son candidat plein les poches et les chaussettes. L’annulation prononcée par le tribunal administatif a été portée en appel devant le Conseil d’État.
 
* À Longjumeau, c’est une élue avec seulement 39 voix d’avance, ministre en exercice, qui a été accusée d’avoir suscité par des faveurs la candidature de diversion d’un ancien socialiste pour disperser les voix de Gauche et en priver d’une partie son adversaire. Le recours rejeté par le tribunal administratif est toujours pendant devant le Conseil d’État.
 
* À Corbeil-Essonne, l’ancien maire, richissime industriel de l’aéronautique, a été accusé de distribuer de l’argent aux électeurs ; et on en est, en deux ans, à la troisième élection après annulation des deux autres, qui vient, dimanche 12 décembre, de… reconduire une fois de plus l’équipe municipale de l’ancien maire pourtant convaincu de fraude ! 
 
- Au PS et à L’UMP
 
* Un parti comme le Parti Socialiste lui-même s’est-il montré plus respectueux des règles lors de l’élection de sa Première Secrétaire en novembre 2008 ? Mme Royal qui a été écartée du poste, a d’abord contesté vigoureusement l’honnêteté du scrutin avant d’y renoncer : nombre d’irrégularités l’auraient privée de l’élection. Rien n’est pire que le soupçon de fraude lors de ses propres élections internes quand un parti prétend accéder au pouvoir pour faire en particulier respecter le Droit si méprisé aujourd’hui en France !
 
* Il est vrai que l’UMP ne risque pas de se donner ainsi en spectacle : son nouveau secrétaire général fait à ce point l’unanimité du président de la République qu’il a été élu le 17 novembre dernier par acclamation ! L’élection n’est alors qu’une comédie dont on habille une nomination.
 
Entre la violence ouverte et la transmission héréditaire pour exercer le pouvoir, la troisième voie qui postule la sincérité d’une élection pacifique est, on le voit, rendue souvent impraticable par la fraude. On a beau se soumettre au suffrage universel devenu depuis le 19ème siècle la seule source de pouvoir légitime, on n’en cherche pas moins par tous moyens à éviter son désaveu en cherchant seulement à sauver les apparences. On aurait tort de se gêner. Mollement réprimé le plus souvent, la fraude électorale est, elle, un crime contre la démocratie qui paie ! Paul Villach



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