jeudi 6 mai 2010 - par
À moins que ce plurilinguisme ne soit déjà mort et qu’il s’agisse d’honorer d’une journée commémorative ce rêve généreux d’une Europe de l’égalité des peuples et des langues ?
Les commentaires n’étant ouverts qu’aux lecteurs du Monde, je me permets ici quelques remarques à ce propos :
« Il faut rendre le multilinguisme populaire. »
Le polyglottisme, c’est comme la pluie ou le beau temps - ils n’ont pas été inventés par l’Union européenne ! Celui-ci existait avant elle, et depuis des millénaires. Chacun a des notions de diverses langues, à des niveaux variables : langue régionale, nationale, maternelle, d’immigration ou du pays voisin, ou « grande langue »... On voit que le choix, les motivations et les circonstances sont très variés.
Cette pression psychologique incessante de l’UE pour développer l’apprentissage des langues, relayée par les pédagogues et les médias, pèche sur l’essentiel : définir quel plurilinguisme on veut développer !
Quel plurilinguisme ? Voilà donc la question essentielle, celle qui est taboue, aussi bien dans les médias que dans nos écoles.
« Encourager les jeunes à apprendre plus de langues, tant l’apprentissage est facile quand le cerveau est souple, assimile et retient rapidement. »
Outre que le cerveau, même jeune, a ses limites, on ne peut comparer l’apprentissage de la langue maternelle (en immersion totale) à celui d’une langue seconde dont les enfants voient rarement l’utilité dans leur environnement immédiat.
Pour profiter des capacités musicales de l’oreille et du cerveau de l’enfant, d’autres solutions sont possibles : comme un éveil aux langues, aux différents alphabets, à des phrases comparatives dans les différentes langues européennes (projet Evlang).
La question n’est pas l’âge, mais le but de cet enseignement : ouvrir l’esprit à la diversité, ou le spécialiser dans l’anglais ? Malheureusement, cette problématique est systématiquement ignorée... on ne discute que de l’âge.
« Encourager les adultes à utiliser les langues apprises à l’école par une pratique quotidienne de lecture ou d’écoute de la radio ou de la télévision. »
Je dirais plutôt laisser le choix entre la VO et le doublage ou sous-titrage, grâce au numérique, car tout un chacun n’a pas forcément l’envie de suivre des cours du soir en langues étrangères après une journée de boulot.
On attend d’ailleurs en vain une télévision publique européenne, qui puiserait gratuitement dans les programmes de toutes les télévisions nationales - peut-être l’esprit de service public est-il un rien contraire à l’idéologie actuelle de l’Union...
"La révolution numérique rend aujourd’hui facile ce qui hier relevait de l’exploit : lire et écouter une langue étrangère. »
Non : apprendre une langue étrangère à un bon niveau demeure un énorme travail, qui nécessite une forte motivation et de la persévérance, outre le fait que cela s’oublie vite sans pratique régulière. Au mieux, Internet et les TICE (technologies de la communication) facilitent la tâche et surtout diversifient les moyens, mais finalement à peine plus que ne le faisait jadis pour l’anglais la célèbre radio VOA (Voice of America).
Le directoire d’Euronews propose de créer une journée du plurilinguisme
Dans un article du Monde en ligne, par la voix de son Président, Philippe Cayla.
Également signalé par L’observatoire du plurilinguisme
Aïe ! se dit-on immédiatement. Le plurilinguisme de l’UE est-il si mal en point qu’il faille déjà le soutenir par une journée symbolique, à l’instar de la journée des femmes ? Vous savez bien : ce jour où les hommes courent les rues d’un air agacé (par la perte de temps), et se fendent d’une rose à Auchan en provenance de Nairobi à grand renfort de pollution aérienne (lire Le Canard enchaîné du 5/05), ou font exceptionnellement la cuisine pour leur douce, un jour sur 365. Bien beau s’ils font – aussi – la vaisselle, tellement le stress de réussir les nouilles ou l’omelette les a lessivés.
Aïe ! se dit-on immédiatement. Le plurilinguisme de l’UE est-il si mal en point qu’il faille déjà le soutenir par une journée symbolique, à l’instar de la journée des femmes ? Vous savez bien : ce jour où les hommes courent les rues d’un air agacé (par la perte de temps), et se fendent d’une rose à Auchan en provenance de Nairobi à grand renfort de pollution aérienne (lire Le Canard enchaîné du 5/05), ou font exceptionnellement la cuisine pour leur douce, un jour sur 365. Bien beau s’ils font – aussi – la vaisselle, tellement le stress de réussir les nouilles ou l’omelette les a lessivés.
À moins que ce plurilinguisme ne soit déjà mort et qu’il s’agisse d’honorer d’une journée commémorative ce rêve généreux d’une Europe de l’égalité des peuples et des langues ?
Les commentaires n’étant ouverts qu’aux lecteurs du Monde, je me permets ici quelques remarques à ce propos :
« Il faut rendre le multilinguisme populaire. »
Le polyglottisme, c’est comme la pluie ou le beau temps - ils n’ont pas été inventés par l’Union européenne ! Celui-ci existait avant elle, et depuis des millénaires. Chacun a des notions de diverses langues, à des niveaux variables : langue régionale, nationale, maternelle, d’immigration ou du pays voisin, ou « grande langue »... On voit que le choix, les motivations et les circonstances sont très variés.
Cette pression psychologique incessante de l’UE pour développer l’apprentissage des langues, relayée par les pédagogues et les médias, pèche sur l’essentiel : définir quel plurilinguisme on veut développer !
Faute de quoi, c’est la seule pratique de l’anglais qui sera renforcée, et on voit déjà des parents réclamer des cours d’anglais à la maternelle de leur enfant... Une école privée catholique l’a même déjà mis en place, et le business du « babyspeaking » est florissant.
Quel plurilinguisme ? Voilà donc la question essentielle, celle qui est taboue, aussi bien dans les médias que dans nos écoles.
« Encourager les jeunes à apprendre plus de langues, tant l’apprentissage est facile quand le cerveau est souple, assimile et retient rapidement. »
Outre que le cerveau, même jeune, a ses limites, on ne peut comparer l’apprentissage de la langue maternelle (en immersion totale) à celui d’une langue seconde dont les enfants voient rarement l’utilité dans leur environnement immédiat.
Mais la question est ailleurs : comment offrir un choix de langues et non imposer - au hasard - l’anglais ?
Pour profiter des capacités musicales de l’oreille et du cerveau de l’enfant, d’autres solutions sont possibles : comme un éveil aux langues, aux différents alphabets, à des phrases comparatives dans les différentes langues européennes (projet Evlang).
N’oublions pas que l’école primaire est le lieu de l’ouverture d’esprit, de la découverte, et non celui d’une spécialisation dans - au hasard - l’anglais.
La question n’est pas l’âge, mais le but de cet enseignement : ouvrir l’esprit à la diversité, ou le spécialiser dans l’anglais ? Malheureusement, cette problématique est systématiquement ignorée... on ne discute que de l’âge.
« Encourager les adultes à utiliser les langues apprises à l’école par une pratique quotidienne de lecture ou d’écoute de la radio ou de la télévision. »
Je dirais plutôt laisser le choix entre la VO et le doublage ou sous-titrage, grâce au numérique, car tout un chacun n’a pas forcément l’envie de suivre des cours du soir en langues étrangères après une journée de boulot.
On attend d’ailleurs en vain une télévision publique européenne, qui puiserait gratuitement dans les programmes de toutes les télévisions nationales - peut-être l’esprit de service public est-il un rien contraire à l’idéologie actuelle de l’Union...
"La révolution numérique rend aujourd’hui facile ce qui hier relevait de l’exploit : lire et écouter une langue étrangère. »
Non : apprendre une langue étrangère à un bon niveau demeure un énorme travail, qui nécessite une forte motivation et de la persévérance, outre le fait que cela s’oublie vite sans pratique régulière. Au mieux, Internet et les TICE (technologies de la communication) facilitent la tâche et surtout diversifient les moyens, mais finalement à peine plus que ne le faisait jadis pour l’anglais la célèbre radio VOA (Voice of America).
On aurait beau mettre un casque et une borne avec 20 langues disponibles à chaque carrefour, ce n’est pas pour autant qu’on s’y brancherait tous les soirs, plutôt que de regarder un match de foot ou une bonne série télé.
« Va-t-on vers une Europe anglophone, où les langues nationales joueraient le rôle que jouaient les langues provinciales jusqu’au XXe siècle ? On peut le craindre, tant cette tendance paraît lourde et incontournable. »
Elle ne le paraît que parce que nos politiques l’acceptent, parce que la Commission européenne nous y pousse sans l’avouer, parce que l’Éducation nationale ne veut pas laisser le choix des langues étrangères à ses élèves. Là encore, la question n’est pas dans l’âge, les méthodes ou les moyens, mais dans le but recherché : l’anglais imposé à presque tous, ou le libre choix des langues ? Il en est de même pour l’Europe : faute de définir son fonctionnement linguistique, elle en est réduite à répéter comme un mantra son injonction stérile "Apprenez des langues", tout en s’enfonçant chaque jour davantage dans le monolinguisme anglophone comme lingua franca, sans que jamais cette question essentielle n’ait été débattue et votée par l’Assemblée.
« La journée du multilinguisme ne doit pas être pesante, pédagogique et prétentieuse : cela ferait fuir toutes les bonnes volontés. Elle doit être ludique, pétillante et festive. Organisons des concours littéraires, sous toutes les formes possibles, orale et écrite, en prose ou en vers. »
Tout à fait d’accord avec cette conclusion : allons déposer ensemble une gerbe sur la tombe du plurilinguisme européen, et dansons gaiement au retour du cortège funèbre, selon la revigorante tradition de la Louisiane, en un tonique rappel aux vivants qu’il y a une vie après l’Union européenne, et que le polyglottisme qui la précédait lui survivra !
« Va-t-on vers une Europe anglophone, où les langues nationales joueraient le rôle que jouaient les langues provinciales jusqu’au XXe siècle ? On peut le craindre, tant cette tendance paraît lourde et incontournable. »
Elle ne le paraît que parce que nos politiques l’acceptent, parce que la Commission européenne nous y pousse sans l’avouer, parce que l’Éducation nationale ne veut pas laisser le choix des langues étrangères à ses élèves. Là encore, la question n’est pas dans l’âge, les méthodes ou les moyens, mais dans le but recherché : l’anglais imposé à presque tous, ou le libre choix des langues ? Il en est de même pour l’Europe : faute de définir son fonctionnement linguistique, elle en est réduite à répéter comme un mantra son injonction stérile "Apprenez des langues", tout en s’enfonçant chaque jour davantage dans le monolinguisme anglophone comme lingua franca, sans que jamais cette question essentielle n’ait été débattue et votée par l’Assemblée.
« La journée du multilinguisme ne doit pas être pesante, pédagogique et prétentieuse : cela ferait fuir toutes les bonnes volontés. Elle doit être ludique, pétillante et festive. Organisons des concours littéraires, sous toutes les formes possibles, orale et écrite, en prose ou en vers. »
Tout à fait d’accord avec cette conclusion : allons déposer ensemble une gerbe sur la tombe du plurilinguisme européen, et dansons gaiement au retour du cortège funèbre, selon la revigorante tradition de la Louisiane, en un tonique rappel aux vivants qu’il y a une vie après l’Union européenne, et que le polyglottisme qui la précédait lui survivra !