Le drame de MERS EL KEBIR - Partie N° 3
Les conséquences de Mers El Kebir.
Comme c’était à prévoir, les Allemands exploitèrent à fond l’agression de Mers El Kebir, contre la France.
16 juillet : le général Von Stülpnagel, envoie au général Weygand, ministre de la Défense Nationale, le courrier suivant :
« Le Führer et commandant en chef de l’armée a fait d’importantes concessions sur les stipulations de la convention d’armistice en rendant le livre usage des eaux territoriales françaises à cette fin. Il attend donc que le gouvernement français lui accorde de son côté l’appui qu’il juge nécessaire pour poursuivre d’une manière efficace sa lutte contre l’Angleterre. »
En clair, les Allemands ne cachent plus leur intention d’occuper l’Afrique du Nord.
L’Allemagne exige : des bases aériennes au Maroc,
La réquisition des transports français,
L’acheminement des unités allemandes en Afrique du Nord,
La mise à disposition du chemin de fer Tunis-Rabat,
Les stations météorologiques.
Les Français sont conscients que les clauses de l’armistice les obligent à accéder aux exigences des Allemands. Le gouvernement français se trouve pris à la gorge, car il est facile de deviner, en cas d’accession aux exigences des Allemands, une réaction encore plus vive des Anglais.
Le gouvernement de Vichy essaie de résister aux exigences des Allemands, les relations franco-allemandes se tendent sensiblement. Il est même redouté une intervention allemande contre le gouvernement de Vichy, cette crainte n’est absolument pas exclue, vu, la fermeté de ton des Allemands envers les Français.
Mais tandis que le gouvernement de Vichy temporise, Hitler qui a tout misé sur l’Europe, trouve peu d’intérêt à un conflit durable en Méditerranée. Le Sud, et à fortiori l’Empire ne l’intéressent pas.
D’ailleurs, il se préoccupe plus largement des conditions de l’annexion de l’Alsace-Lorraine, où il fait enrôler les jeunes Alsaciens-Lorrains, malgré eux, pour renforcer l’armée allemande. Car l’objectif principal d’Hitler reste les pays Slaves, et dans son viseur : la Russie.
Par contre, les Anglais,eux, continuent de se focaliser sur la Méditerranée, le continent africain et le Moyen-Orient.
30 juillet, ils font saisir les navires de commerce français réfugiés dans les ports sous dominion anglais.
L’importance du Canal de Suez n’échappe pas aux Anglais, où ils saisissent deux pétroliers français, au mépris d’un statut spécial de neutralité. Le Moyen-Orient devient un peu la chasse gardée des Anglais, qui rentrent en concurrence directe avec les Italiens qui occupent par ailleurs la Libye. Les Italiens perturbent le négoce maritime en direction du Moyen-Orient. L’Allemagne qui pratique un racket systématique de tous les produits et marchandises français, exige « la cession de 50 % de produits coloniaux transportés ».
La France, pour ne pas obtempérer, renonce au trafic. Ce qui créera en France et en Afrique du Nord, des pénuries de marchandises d’origines exotiques. Comme le café, le chocolat, le beurre végétal, etc. Quant aux arachides, elles représentent en terme de trafic, une part non négligeable du trafic marchand avec l’AOF. La situation devient intenable pour la France. Car les Anglais ont décidé le blocus du détroit de Gibraltar, contre les navires français.
Les Français essaient de négocier avec les Anglais. Aussi obtiennent-ils en partie de continuer à franchir le détroit.
23 septembre, les Anglais attaquent Dakar, mais échouent.
Pour quelle raisons ont-ils attaqué Dakar ? Car ils avaient l’intention de « détacher l’Empire français de la Métropole ». Mais l’insuccès de l’attaque de Dakar les conduisent à revoir à la baisse leurs prétentions.
2 octobre : l’ambassadeur d’Angleterre envoie un courrier à l’ambassadeur de France dans lequel il avoue le « revirement de l’Angleterre à la suite de l’échec de Dakar. »
Il avoue aussi la déception du gouvernement anglais et « la vanité de telles opérations ».
19 octobre : les Anglais demandent à l’Amirauté, s’ils ont « des intentions hostiles à leur égard ».
Darlan les rassure sur ce point. A condition, précise-t-il, que le trafic commercial puisse être assuré.
Négociations secrètes et accords Pétain-Churchill et Halifax-Chevalier. Mission du professeur Louis Rougier.
Rougier propose au gouvernement français de se rendre à Londres, « pour faire fléchir le blocus ».
Le secrétaire général du ministère de l’instruction publique, Jacques Chevalier, engage des pourparlers avec son homologue britannique, lord Halifax, ministre. Ils se connaissent ils ont fait Oxford ensemble.
13 décembre : Chevalier est nommé secrétaire d’État à l’instruction publique.
Ce groupe ministériel engage des pourparlers « par l’intermédiaire de Pierre Dupuy », un Canadien.
Ces pourparlers sont très importants, car menés entre 2 membres du gouvernement de Vichy et de Londres.
Churchill accueille favorablement Louis Rougier. Il considère que grâce à lui, « la liaison entre les Anglais et le gouvernement de Vichy est rétablie ».
Dans ce jeu diplomatique, les Anglais s’engagent à respecter la France dans sa « souveraineté », si elle ne favorise pas l’Allemagne – donc, la victoire de l’Axe – et « contribuait à la victoire britannique, d’une manière ou d’une autre ». Contre cela, les Anglais ne chercheraient plus à « s’emparer des territoires de l’Empire français », et le négoce des denrées pourrait reprendre son cours normal.
En échange, le gouvernement français est invité à ne pas « permettre aux Allemands et aux Italiens l’accès aux bases navales ou aériennes, en Métropole comme dans l’Empire »… Les Anglais demandent aux Français de « saborder les unités de sa flotte, plutôt que de les laisser aux mains des Allemands et des Italiens. Enfin, il remettrait l’Empire dans la guerre au moment opportun ».
Ces accords secrets eurent des conséquences tout à fait bénéfiques. Ils permirent de reprendre les relations diplomatiques, tout à fait cordiales, désormais. Le gouvernement de Vichy avait choisi plutôt que le ressentiment, de normaliser les rapports avec les Anglais. Chose qui ne se démentit pas, puisque les Anglais, forts de ces accords secrets, purent débarquer le 8 novembre 1942 en Afrique du Nord.
Quelles conclusions tirer de ces événements ?
Cela doit nous amener à la réflexion suivantes : rendons-nous compte, en effet, qu’après une défaite aussi cuisante, aussi cinglante pour la France que celle de la Bataille de France en 1940 infligée par les Allemands vainqueurs, ce désastre national avait abrègé notre destin commun. L’armée de terre était défaite, la flotte aérienne aussi. Mais, il ne restait plus debout que la Marine française, intacte. Ses arsenaux, ses ateliers, ses bâtiments flambants neufs ! Cette marine-là, dernier bastion, reliques de notre fierté, c’est encore Churchill qui vint la mettre en pièces, l’abattre !
Comme si, après l’humiliation infligée par les Allemands, la France devait continuer à payer le lourd tribu de sa défaite, à s’humilier, non plus devant le vainqueur, mais devant ceux qui se prétendaient nos « alliés ».
1300 marins sacrifiés par l’arrogance de quelques hommes – fussent-ils Anglais – donc, nos supposés amis, qui ne comprenaient absolument rien de la mentalité et des grandes traditions maritimes de notre pays. De ces traditions qui perduraient dans la Marine française. Lors des obsèques des marins à Mers El Kebir, Gensoul fera sur leur tombe un discours qui résumera en quelques mots, le sens de l’honneur d’un marin :
« … Si aujourd’hui, il y a une tâche sur un pavillon, ce n’est certainement pas sur le nôtre. »
Désignant par cela Churchill, et à travers lui l’état-major anglais, responsables de ce « massacre ».
Mais allons encore plus loin dans la réflexion que nous impose ce triste épisode de la seconde guerre mondiale.
Churchill cherchera à se justifier en disant dans ses mémoire : « Ce fut une décision odieuse, la plus inhumaine, la plus pénible de toutes celles que j’aie jamais eu à prendre… Les Français étaient la veille encore nos amis très chers, et nous éprouvions une sincère sympathie pour leur pays, qui avait tant souffert… C’était une tragédie grecque. Pourtant, jamais aucun acte ne fut plus nécessaire à la vie de l’Angleterre et de tout ce qui en dépendait. Je pensais aux paroles prononcées par Danton en 1793 : « Les rois coalisés nous menacent, jetons-leur en défi une tête de roi ! »
Étonnant parallèle que fait ici Churchill avec la citation de Danton, à propos de la tête de Louis XVI. Comme si sacrifier la vie de 1300 marins et de toute la flotte relevait d’un défi à jeter à la tête d’Hitler.
Où est donc l’urgence absolue de se prémunir d’une possibilité d’invasion de l’Angleterre, grâce à nos bâtiments de la flotte ? Ou bien, comme pré-supposé, ne serait-ce qu’une question d’égo hypertrophié d’un dirigeant étourdi par son propre succès auprès de la population anglaise, voulant se créer une statue de Commandeur ? Le doute est permis.
La réaction de de Gaulle est toute en demi-teinte, cherche-t-il à faire plaisir aux Anglais ?
Le 8 juillet de Gaulle déclare à la BBC : « … J’aime mieux savoir que le « Dunkerque » notre beau, notre cher, notre puissant « Dunkerque » échoué devant Mers El-Kébir, que de le voir un jour, monté par les Allemands, bombarder les ports anglais, ou bien Alger, Casablanca, Dakar. »
Mais il s’empresse de rajouter dans ce même discours du 8 juillet :
« Il n’est pas un Français qui n’ait appris avec douleur et avec colère que des navires français avaient été coulés par nos alliés. Cette douleur, cette colère viennent du plus profond de nous-mêmes. Il n’y a aucune raison de composer avec elles ; quant à moi je les exprime ouvertement. Aussi, m’adressant aux Anglais, je les invite à nous épargner et à s’épargner à eux-mêmes toute représentation de cette odieuse tragédie comme un succès naval direct. »
11 juillet : Pétain, depuis Vichy fait une allocution : « En ces derniers jours, une épreuve nouvelle a été infligée à la France : l’Angleterre, rompant une longue alliance, a attaqué à l’improviste et a détruit des navires français immobilisés dans nos ports et partiellement désarmés. Rien ne faisait prévoir une telle agression. Rien ne la justifiait...La France, vaincue, dans ses combats héroïques, abandonnée hier, attaquée aujourd’hui par l’Angleterre à qui elle avait consenti de si nombreux sacrifices, elle trouvera une raison nouvelle de tremper son courage en conservant toute sa foi dans son avenir. »
Le drame de Mers El Kébir avait jeté du désarroi dans le cœur et l’esprit des Français. Bien entendu, les Allemands surent tirer tout le parti qu’ils entendaient de ce très douloureux épisode et de ce « coup de hache dans l’espoir » comme l’avait souligné de Gaulle.
Car les propos présomptueux de Churchill, au mois de Juin 1940, au moment où il décide « sa » guerre aérienne et navale contre la flotte française ne cesse de nous étonner. Son double langage en direction de la France, aussi. Comme il était aisé pour lui de déplorer le sort funeste de la France, défaite en 1940 par les Allemands, occupée et livrée à l’ennemi.
« La chambre, dit-il, éprouvera une douleur profonde en apprenant le sort de la grande nation française, à laquelle nous avons été si longtemps unis dans la guerre aussi bien que dans la paix, et que nous considérions comme la codépositaire de la culture libérale et de la tolérance en Europe…
En attendant, nous devons nous occuper de notre salut et de notre défense, dont dépendent non seulement notre propre sort, mais aussi celui de la France, de l’Europe et du monde. »
Avoir détruit la flotte française faisait-il partie des plans de vieille date de Churchill, qui ne tolérait aucune autre concurrence navale pour la maîtrise des mers et des océans, comme à l’époque napoléonnienne où s’affrontaient les géants de mers des deux pays ? Est-il possible d’imaginer que les ambitions de Churchill trouvaient une grande satisfaction devant son escadre extrêmement nombreuse en bâtiments modernes, équipés de sonars, de radars, prêts pour une guerre de surface et sous-marine ? Le Royaume-Uni avait mis le paquet pour que cette grande flotte anglaise pavoisât partout sur les mers et les océans.
La magnifique flotte française et ses cuirassés lui faisaient-ils de l’ombre ? Quel est donc cet acharnement et est-ce sensé ? Y compris pour les intérêts anglais. C’est la question que se posa l’Amiral North qui jugea l’entreprise de Churchill de « criminelle » redoutant un « boomerang » sur la tête des Anglais.
Étudions alors la stratégie d’invasion de l’Angleterre par les Allemands.
Si pour Hitler dans mégalomanie et la folle conscience de lui-même et de l’Allemagne nazie avait sonné l’heure de l’invasion de l’Angleterre, il misait avant tout sur l’aviation de Goëring « qui se faisait fort d’anéantir la chasse britannique en 2 ou 3 jours ». Chasse britannique qui n’était pas moindre, d'ailleurs. Pour ce qui était de la flotte allemande, elle était bien pourvue notamment avec le Bismarck, redoutable cuirassé, tigre des mers, que l’Allemagne nazie considérait comme son principal atout maritime, dont elle était si fière. Elle pouvait également compter sur ses sous-marins, ses commandos sous-mariniers, sur la flotte de l’Amiral Canaris. Avait-elle un besoin urgentissime de la flotte française ? Certainement pas.
Car le projet d’Hitler d’envahir la Grande-Bretagne s’appuyait essentiellement sur une guerre aérienne avec sa flotte aérienne. Hitler misait sur sa « Luftwaffe », et ses enfants chéris : les Messerschmitt 109, à pompes à injection. Les Anglais, eux pouvaient compter sur les Spitfire Vickers – Supermarine, très maniables, ainsi que les Hawker-Hurricane. Mais équipés de carburateurs analogues à ceux des moteurs de voiture.
Conclusion : Si Hitler avait eu un besoin si pressant de mettre le grappin sur notre flotte, il l’aurait fait dès les premières heures de l’armistice, à Toulon, ou ailleurs. Ce qu’il n’a pas fait.
Et cela, Churchill et ses services de renseignements sophistiqués ne pouvaient non plus, l’ignorer. La part d’ombre qui a entouré la décision de Churchill prend soudain un éclairage différend, non pas en suivant la logique anglaise, mais en étudiant avec une acuité renouvelée, de quels moyens terrestres et aériens, ainsi que maritimes, disposait Hitler pour faire triompher son Reich. S’intéresser à la psychologie d’Hitler et son étonnante facilité d’enthousiasme et frénésie envers tout ce qui, de près et de loin ferait triompher l'Allemange nazie. Or, la flotte aérienne de Goëring, faisait partie de ses prérogatives, et des moyens mis en oeuvre pour son ambition.
Refermons donc cette parenthèse aérienne.
Pourquoi les historiens ont jeté un voile pudique sur cet événement qui paraît « inconcevable », de la part d’un gouvernement se prétendant les « alliés » de la France ?
C’est dans le sang des 1300 marins sacrifiés, et les larmes de toutes les familles endeuillées, ainsi que les Français témoins de ces temps si noirs, qu’il est de notre devoir de rouvrir ce dossier, et d’en débattre sans langue de bois. Ce dossier mis sous le boisseau et dont l’Amiral Gensoul écrirait, plus tard : « Le souvenir de ces morts dérange tout le monde parce que l’événement échappe à la logique… Il est à part des tragédies de la guerre. Personne n’a intérêt à ce que l’on en parle trop ».
Sources documentaires :
Mers El KEbir : les Caniers de l'Empire Français. P. Gourinard -Historien-
Hervé Coutau-Begarie et Huan - Darlan - Fayard 1989.
Le Mémorial de la Seconde Guerre Mondiale.
Encyclopédie Alpha.