vendredi 5 mai 2017 - par Luc-Laurent Salvador

Le Pen : le choix interdit

En le diabolisant, la pensée unique nous interdit de voter pour le FN. Pourtant, dans ce "monde à la renverse", il se pourrait que ce soit le diable Marine qui dise la vérité et qui veuille une France en paix avec elle-même et avec les nations...

Comment ne pas s’interroger quand on voit avec quel empressement les plus féroces opposants à Macron lui ont fait allégeance ?

Quelle force mystérieuse a pu pousser un Fillon, combattant acharné et survivant stoïque d’épouvantables tempêtes politico-médiatiques, à faire volte-face et à se trahir lui-même dans la plus totale indignité à l’instant précis où le candidat du système a viré en tête ?

Qu’est-ce qui fait que tant de souverainistes ont renoncé à lutter alors qu’ils voient clairement qu’au-delà de ses belles promesses, Macron va, avant toute chose, poursuivre — sinon accomplir — le projet européen de démantèlement des nations en faisant de la France un territoire asservi par la dette, soumis à l’OTAN et régi par des hommes au-dessus des lois ?

La réponse est simple et évidente : il n’y a pas le choix. Marine le Pen est, en quelque sorte, une option interdite par le processus de diabolisation, c’est-à-dire, la reductio ad hitlerum qui disqualifie le FN depuis des décennies en l’associant au mal absolu que représente Hitler.

Les déclarations de Lionel Jospin ou d’Henri Guaino laisseraient cependant à penser que dans les sérails politiques de tous bords, chacun sait très bien qu’associer les Le Pen à l’extrême droite, au fascisme, au nazisme, etc. relève tout à la fois de la propagande, de la mauvaise foi et de la posture convenue.

C’est néanmoins devenu un incontournable rite républicain, chacun se faisant un devoir de répéter avec conviction sa litanie de préjugés et de calomnies à chaque occasion de peur de passer pour un traître à la pensée unique qui domine de plus en plus largement la vie culturelle et politique française.

La pression de conformation est telle qu’il n’apparaît plus saugrenu de se demander si nous n’assisterions pas à l’avènement d’une (quasi) religion de la Shoah, ce que l’historien Georges Bensoussan appelait « une religion civile axée sur la "mémoire". » [1]

Tout ne se passe-t-il pas un peu comme si, dans une sorte de religion catholique inversée, les victimes de la Shoah elles-mêmes criaient « accusez, accusez, (vous ferez cela) en mémoire de nous » à l’adresse des grands prêtres politico-médiatiques autoproclamés qui usent avec zèle du rayon paralysant consistant à jeter l’anathème de l’antisémitisme à chaque fois que la conduite de l’assemblée citoyenne (ecclesia) exige que l’on se remémore l’horreur des camps nazis ?

La dimension religieuse du phénomène transparaît en filigrane dans le discours de Mélenchon lorsqu’il évoque la fidélité à la mémoire du passé mais elle se repère particulièrement bien dans les paroles de Manuel Valls qui, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, est allé jusqu’à affirmer : « la Shoah, l’extermination des juifs, le génocide doivent être sacralisés, sacrés. »

N’y a-t-il pas là les prémices d’une tentative d’instauration d’un ordre sacré auquel la République Française, laïque par principe, est censée rester étrangère ?

Cette pratique quasi-rituelle de la diabolisation en est venue au point qu’Alain Finkielkraut lui-même a pu déclarer : « ...jamais une atmosphère aussi lourdement prescriptive n’avait pesé sur une élection présidentielle... Les citoyens que nous sommes [se trouvent] mis en demeure de valider ce scénario écrit d’avance... Il ne s’agit plus, en votant, de choisir mais d’obéir. » (Le Figaro, 1er avril 2017)

Notons que même s’il assène qu’« on ne peut pas faire de la Shoah un argument de campagne », c’est seulement pour l’effet rhétorique, afin de recentrer l’attention sur la question explosive des banlieues et de l’Islam. Finkielkraut jouerait-il au pompier pyromane ?

Quoi qu’il en soit, nul ne peut raisonnablement douter du fait que de dorénavant à désormais, l’adoubement du CRIF, la halte au mémorial de la Shoah, les mises en garde et les invectives à l’adresse des Le Pen, etc. constituent autant de (rites de) passage(s) obligés pour les candidats à la magistrature suprême et, de manière générale, pour les serviteurs de la République une, laïque et indivisible qui souhaitent faire carrière en politique et ont, pour cela, besoin d’une caution morale. C’est pourquoi, sans garantie de résultat [2], chacun doit s’efforcer de montrer qu’il est bien du sérail en apportant avec diligence et en toute occasion sa pierre au projet sacré consistant en la condamnation éternelle et unanime de toutes les violences passés, présentes et à venir faites aux juifs — ce qui, notons au passage, offre l’avantage de rendre automatiquement suspecte toute forme de critique ou de mise en cause les concernant (cf. le rayon paralysant évoqué plus haut). C’est précisément cela la sacralisation.

Les Le Pen apparaissant à tout jamais voués à la géhenne de l’antisémitisme — ce qui disqualifie avantageusement toute revendication nationaliste — on ne peut douter du courage nécessaire pour les rallier et opérer, de fait, une sortie du « Front Républicain » comme celle réalisée dernièrement par Nicolas Dupont-Aignan et d’autres politiciens de moindre stature.

Tenter de franchir « le cordon sanitaire autour du FN », selon l’expression de François Kalifat, l’actuel président du CRIF, apparaît, en effet, proprement suicidaire pour un politicien en activité et, religion de la Shoah ou pas, il semble exclu pour des personnalités en vue qui souhaitent le rester de déclarer ou, pire, d’appeler à voter Marine Le Pen.

Dans tous les recoins de la société civile qui se trouvent, même marginalement, sous les projecteurs, on semble pris d’un incoercible besoin d’afficher son soutien au jeune banquier qui capitalise ainsi les valeurs morales comme il le ferait de valeurs mobilières. Le récent appel à voter Macron des autorités juives, protestantes et musulmanes est, sous ce rapport, emblématique.

Rares sont ceux qui résistent à cette frénésie de conformation à la norme inhérente au fait de se penser observé (effet psychologique bien connu) que la contagion mimétique ne fait qu’amplifier.

A l’exception de l’inflexible Marie-France Garaud qui a explicitement apporté son soutien à Marine Le Pen, la résistance s’affiche avant tout par la neutralité.

C’est en particulier la position de l’Eglise catholique qui, tant en ce qui concerne le pape que la conférence des évêques, s’est abstenue — hormis quelques évêques isolés — d’adresser des recommandations de vote à ses ouailles.

On pourrait toutefois le regretter dans la mesure où nous nous trouvons bel et bien en situation « extrême ou grave » vu que la France est un pays en guerre depuis la mandature Sarkozy.

L’Eglise n’a-t-elle pas pour mission première d’amener ses fidèles à œuvrer pour la paix ? Serait-il inapproprié d’appeler à voter avant toute chose pour la paix ? Probablement pas, dès lors, la neutralité est-elle de mise face à Macron ?

Qui peut douter que le candidat de la finance internationale soit tout acquis à la voie atlantiste suivie par Sarkozy et Hollande ?

Macron s’inquiète-t-il du fait que l’OTAN, la CIA, ses innombrables officines et les armées des nations asservies (dont la France), se trouvent au service d’un projet hégémonique qui a engendré l’essentiel de la violence guerrière de ces dix dernières années ? Que nenni !

On est donc d’ores et déjà assuré que s’il parvient au pouvoir (comme c’est malheureusement le plus probable) il poursuivra la calamiteuse soumission de la France au programme de « regime change » des néocons de Washington, que ce soit au Moyen Orient, en Ukraine ou ailleurs. De nombreuses nations ont déjà été détruites — Afghanistan, Irak, Libye, Soudan, Ethiopie, Ukraine, Syrie — et, pour certaines, transformées en véritable creusets du terrorisme international avec, à l’exception de l’Irak, notre accord tacite, explicite ou carrément, notre participation active, comme en Libye ou, actuellement, en Syrie.

Tout homme de paix ne se devrait-il pas de protester vu le lot de violences, de misères et d’insécurité que cela engendre à l’étranger comme sur notre territoire ?

La neutralité de l’Eglise, aussi bienvenue qu’elle soit a priori, aussi compréhensible aussi qu’elle soit dans le contexte de ce qui vient d’être évoqué, apparaît finalement assez troublante, voire regrettable, car le parti nationaliste et objectivement pacifiste qui honore Sainte Jeanne d’Arc le 1er mai constituait un recours sérieux contre le conflit de civilisations qu’on nous prépare à coup de guerres téléguidées. Faut-il préciser que je ne vois là aucun paradoxe étant donné que candide, naïf ou attardé, comme on voudra, je ne crois pas à la diabolisation dont le FN est victime ?

Sa vision géopolitique n’a-t-elle pas été, avec une grande constance, celle d’un plein et entier respect de la souveraineté des nations comme d’un rejet franc et massif des interventions militaires en fanfare ou secrètes sous le prétexte étasunien habituel de propagation de la démocratie et des droits de l’Homme ?

Rien que cela justifie, je crois, que l’on vote pour Marine Le Pen quelles que soient par ailleurs les faiblesses de son discours ou de son programme. Ne pas le faire, c’est assumer la responsabilité des prochaines guerres dans laquelle la France s’engagera sans rime ni raison — c’est-à-dire, contre l’intérêt du peuple français — comme elle l’a fait depuis son retour dans le commandement intégré de l’OTAN.

Vous qui vous préparez à voter Macron pour quelque motif que ce soit, écoutez cet appel à la paix puis regardez-vous bien dans un miroir et, les yeux dans les yeux, essayez de vous dire que vous acceptez ces guerres à venir comme la conséquence indésirable de vos choix économiques ou idéologiques.

Si vous n’y arrivez pas alors... peut-être le moment est-il venu pour vous de suivre vos valeurs et votre instinct plutôt que le troupeau télé-radio-guidé ?

Oui, il faut faire barrage, à la guerre, donc à Macron et à nul autre.

 

 

[1] Il évoquait cela dans un article du Débat de 1994/5 n° 82 disponible sur cette page : Histoire, mémoire et commémoration. | Cairn.info

[2] De fait, Marine a complètement échoué malgré ses piteuses tentatives d’allégeance.




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