mardi 28 février 2012 - par Cedric Citharel

Le politicien, l’économiste et le philosophe

Les outils polyvalents sont à la mode. Du couteau suisse au robot multifonctions en passant par la perceuse-visseuse-dévisseuse (sans fil) nous ne pourrions plus nous passer de ces merveilles de la technologie. Mais ce phénomène qui touche les produits manufacturés doit-il s’appliquer à nos élites ? Je ne le crois pas.

De Adam Smith (économiste/philosophe) à DSK (politicien/économiste) en passant par BHL (philosophe/politicien), les hybrides se sont souvent révélés monstrueux ; peut-être parce que contrairement aux outils dont on choisit et dont on connaît la fonction au moment où on les utilise, les personnalités dotées de plusieurs casquettes brouillent volontairement les pistes pour mieux parvenir à leurs fins : accroître leur patrimoine, leur notoriété ou leur popularité. Tout cela au détriment de l’utilisateur, c’est-à-dire du citoyen.

Revenons quelques instants sur le rôle de chacun. Nous verrons facilement que si la polyvalence n’est pas un mal en soi, il est indispensable de savoir à qui l’on a affaire quand l’un de ces ‘cumulards’ prend la parole.

Le principale problème vient du fait que le métier du politicien est désormais de plaire, voire de séduire. À cet effet, celui qui aspire à être élu ne s’adresse pas à l’intellect de son électorat potentiel, mais à ses émotions.

Nous avons raillé les Américains qui votaient pour Ronald Reagan et Arnold Schwarzenegger. Nous nous sommes moqués des Italiens qui s’en remettaient à Silvio Berlusconi pour diriger leur pays. Il est temps d’admettre que nous ne sommes pas à l’abri d’une telle dérive. D’ailleurs, certains politiciens l’admettent volontiers.

http://www.perpignan-toutvabien.com/post/2009/02/19/Georges-Freche-%3A-Je-fais-campagne-aupres-des-cons-et-la-je-ramasse-des-voix-en-masse

Le philosophe a pour vocation d’expliquer le monde en élaborant des concepts qui permettent de le déchiffrer. De Romain Gary qui parlait de la société de provocation http://www.lalettrevolee.net/article-societe-de-provocation-74705611.html à Derrida et son travail de déconstruction http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Derrida, les philosophes font en sorte que nous comprenions mieux le monde qui nous entoure. Leur travail doit être replacé dans un contexte historique puisqu’il s’adresse à une société capable d’évoluer.

L’économiste est un chercheur qui élabore des théories économiques. Ces théories sont ensuite appelées à s’appliquer dans le cadre d’une politique économique. On citera par exemple la fameuse taxe Tobin http://fr.wikipedia.org/wiki/Taxe_Tobin, la loi de Say (dont l’une des conséquences est que la croissance ne peut être obtenue que par la stimulation de la production et non par celle de la consommation) http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Say et le Keynésianisme qui remet en cause l’idée selon laquelle les marchés livrés à eux-mêmes atteignent naturellement l’optimum économique http://fr.wikipedia.org/wiki/Keynésianisme.

Alors, pourquoi est-ce que j’attache de l’importance à ce que nous sachions à qui nous avons affaire quand un personnage médiatique s’adresse à nous ? Tout simplement parce qu’en fonction de la casquette qu’il porte, j’écouterai son message différemment.

Quand un politicien m’explique que le travail est un moteur et qu’il faut travailler plus pour créer de la croissance et en tirer les bénéfices en termes d’emplois et de qualité de vie, je me dis qu’il parle alors en économiste je peux admettre la logique de ses arguments. Lorsque ce même politicien me dit ensuite que l’on doit empêcher les étrangers de venir travailler chez nous parce que le travail est un gâteau, et qu’il n’y en aura pas pour tout le monde, je réalise qu’il utilise deux théories contradictoires pour satisfaire son électorat. Je me retrouve alors dans la même situation que quand je suis face à ma banquière, elle me fait signer un tas de papiers sans pouvoir m’expliquer leur intérêt, parce qu’elle n’y connaît pas grand-chose elle-même. Je signe parce qu’elle est mignonne et que je n’ai pas envie de la décevoir, mais pas pour la qualité de ses conseils.

Quand un philosophe défend l’intervention armée de la France dans un pays tiers, j’aimerais comprendre au nom de quelles valeurs, de quelle vision du monde, il soutient une telle intervention. Une fois ses motivations définies, il faudra ensuite qu’il m’explique les raisons qui le poussent à intervenir dans un pays et pas dans un autre (pourquoi libérer Grozny et pas Gaza ?) En philosophie, chaque contradiction nécessite une explication et toutes ces explications se regroupent pour former un modèle de pensée, un système philosophique. On voit, avec cette explication, que BHL n’est pas un philosophe, mais un politicien. Ce n’est pas gênant en soi, mais cela dégrade quand même nettement l’image de la philosophie et des philosophes dans notre pays.

Enfin, quand un économiste prétend apporter des solutions à une crise en appliquant une théorie dont on ne sait si elle est juste ou non, il se comporte en politicien puisqu'il cherche à convaincre et n'agit plus en chercheur. Cela ne serait d’ailleurs pas dramatique s’il assumait ce rôle jusqu’au bout et permettait au peuple de s’exprimer sur le sujet, mais c’est justement sa casquette de technicien qui lui permet de s’affranchir de la légitimité démocratique et d’appliquer une politique qui n’a de politique que le nom puisqu’elle n’a pas été validée démocratiquement.

 

Alors, que faire ?

La solution est simple, comme dans les trois mousquetaires, il est un quatrième acteur dont l’importance est d’autant plus grande qu’il n’apparaît pas dans le titre de l’ouvrage. Dans le cas qui nous concerne, c’est bien entendu le peuple qui tiendra le rôle de d’Artagnan, le quatrième mousquetaire.

Le peuple, grâce aux codes de lecture que lui fournissent les philosophes, comprend le monde dans sa globalité, et doit pouvoir élire, non plus des communicants, mais des personnalités capables de lui expliquer quelles seront les conséquences des politiques qu’ils s’apprêtent à mettre en œuvre.

Alors, tant que nous n’aurons le choix qu’entre des politiciens démagogues, et plus adeptes des petites phrases et des promesses faciles que des véritables choix politiques, nous n’aurons pas les moyens d’assumer notre rôle d'électeur. Dans un tel contexte, voter pour un parti qui s’abstient sur les questions de souveraineté nationale n’a pas plus de sens que de voter pour un candidat dont on sait que le principal souci est de favoriser les membres de sa caste ; et je ne parle pas des extrêmes dont la vision est d’autant plus simplificatrice qu’elle s’appuie sur le mécontentement général.

Nous n’avons plus le choix, et ce choix, il nous faut le reprendre. À cet effet, il va falloir agir par étapes.

D’abord, s’instruire et apprendre : la société qu’on nous propose n’est pas la seule possible et il nous faut réfléchir à des systèmes alternatifs permettant de replacer l’individu au centre des débats et des décisions politiques.

Ensuite, s’abstenir : puisque les candidats considèrent les bulletins de vote comme autant de chèques en blanc, ne les signons pas. Tant que nos politiciens se comporteront comme des marques de lessive et non comme des leaders et des pédagogues, les seuls points sur lesquels il pourra être intéressant de se prononcer seront purement techniques (rôle accru du parlement, choix des ministres parmi les élus de la Nation, mode de scrutin proportionnel, annonce des résultats politiques en proportion avec le corps électoral et non par rapport au nombre de bulletins comptés dans les urnes…) Sur ces points, il faudra nous renseigner en évitant de nous laisser convaincre par des personnalités politiques, puisque nous savons qu'elles ne sont pas franches. Ce sont des changements comme ceux-là qui nous permettront, dans un premier temps, de réajuster le système afin d'en reprendre une petite partie du contrôle. Sur le reste, nous devrons nous abstenir en votant blanc, voire nul.

Pourquoi ? Parce qu’après les élections, nous savons déjà qu’il va nous falloir résister. Cela fait des décennies que le pouvoir a été confisqué par des entités non démocratiques (multinationales, groupes d’intérêts, castes diverses…) et le prochain président n’y pourra pas grand-chose puisqu’il sera lui-même issu de ce système. Il nous sera alors plus facile de nous opposer à un président élu avec dix pour cent des voies qu’à un président élu avec plus de cinquante pour cent des suffrages, comme on essaie régulièrement de nous le faire croire.

Parce qu’au final, il nous faudra lutter : l’opposition ne remplit plus son rôle de contre-pouvoir, ce sera donc à nous de le faire. Résistance passive, sabotage, trahison, désobéissance, tous les moyens seront bons pour déstabiliser ce système qui ne cesse de nous oppresser. Ils seront légitimes parce que ce système nous a déclaré la guerre.

À ceux qui trouvent que je vais trop loin, j’espère qu’ils ont raison, mais je les incite à garder ce texte en mémoire, jusqu’au jour où les obligera à choisir un camp. Ce jour-là, il faudra qu’ils s’impliquent et qu’ils se souviennent que les défenseurs du système en place se présentent toujours comme la seule alternative valable.



3 réactions


  • 08 AOUT 28 février 2012 11:34

    Bonjour,

    Bel argumentaire, dont la première conclusion, s’instruire, me semble irréaliste (sinon irréalisable). Pour s’instruire, il faut en avoir le temps et les moyens (au moins intellectuels et culturels, parfois aussi financiers), ce qui n’est pas le cas de la majorité des citoyens.
    Si vous lisez « La fabrication du consentement » de Noam Chomsky, que je vous recommande vivement, vous verrez à quel point s’instruire et s’informer est difficile.

    Votre deuxième conclusion, s’abstenir, est dangereuse dans le mode de comptage des voix actuellement pratiqué. En effet, les pourcentages sont TOUJOURS calculés sur le nombre de suffrages EXPRIMES. Les votes blancs et nuls ne sont pas comptabilisés dans les suffrages exprimés.
    Par exemple, si l’abstention est de 70%, les voix pour A de 25% et les voix pour B de 5%, A sera élu et sera réputé avoir obtenu 83% des voix, car il aura obtenu 25% des 30% de suffrages EXPRIMES, ce dont on ne parlera déjà plus au lendemain de l’élection.

    Pour ma part, je conseille le vote utile : voter POUR (ses intérêts et ses convictions) au 1er tour ; voter CONTRE (le candidat qui nous représente le moins) au 2ème tour.

    Mais, compte tenu de la mauvaise tournure que prend notre soi-disant démocratie, je suis malheureusement d’accord avec votre dernière conclusion : il va falloir passer à des modes d’action moins pacifiques. Hélas.


    • Cedric Citharel Cedric Citharel 28 février 2012 14:08

      D’accord avec vous.

      Le comptage des voix non exprimées est indispensable pour prendre conscience du climat catastrophique qui nous entoure.
      Aussi d’accord sur l’éducation, mais son amélioration sera une étape dont je ne pense pas que nous pourrons faire l’économie, à moins de passer par une phase ’dictature’.

      Personnellement, je serais adepte du vote POUR au premier tour et du vote NUL au second. Maintenant, j’avoue que ça va me peser...

      PS : fan de Noam Chomsky, je vais chercher à me procurer l’ouvrage que vous mentionnez.

  • Suldhrun Suldhrun 28 février 2012 14:03

     Votre article , Le bonjour Cedric , ......

     bizzarement , le souvenir d un film , j ai pour du titre .

    Le bon , la brute et le truand !


Réagir