Le salaire universel ou le grand tournant de la valeur
6 %, le plus bas depuis Gaston Defferre, c'est bien sûr le score le score du « fils de Brest » bien moins courageux d'ailleurs que la « fille de Brest ». Son ambiguïté par rapport au grand cadavre à la renverse nommé ps qui par son incapacité à fusionner avec les insoumis pour des intérêts personnels précipita l'entrée du loup de wall street dans Paris. Il faut ajouter à ceci une exacerbation du « je » latente sous une apparente modestie, faisant in fine le jeu des « gens de bien » et non des gens biens dont il était censé être le représentant ainsi qu'un manque non plus latent mais manifeste de charisme qui l'ont conduit à cette humiliante défaite. Ce candidat aura eu cependant le mérite d'inscrire au centre de son programme une mesure révolutionnaire et dans une société où les mots sont devenus la source de nos maux, le combat pour les idées est plus que jamais important et précède le combat politique.
Le matérialisme historique nous permet d'appréhender les nouveaux rapports de reproduction
Dans « capitalisme contre capitalisme, » Michel Albert écrivait que la finalité inconsciente du néolibéralisme était tout simplement l'absence de finalité et donc de tout projet. La chute du Mur de Berlin et de l'URSS ont en effet entraîné le recul des grandes idéologies utopistes du 20 ème siècle, ce que Francis Fukuyama nomma « la fin de l'histoire », idée selon laquelle démocratie et marché deviendraient inséparables, s'étendraient progressivement à l'ensemble de la planète et n'auraient plus aucune entrave dans le futur. En ces temps troubles où l'on assiste à un retour de l'histoire avec l'élection de Donald Trump, le Brexit, la montée des régimes autoritaires, des populismes de droite et de gauche en Europe, il peut être intéressant de réexaminer les grandes théories du passé…
La dialectique marxiste entre d'une part la vie matérielle et d'autre part les modes de production associés constitue toujours une aide précieuse pour nos analyses contemporaines. Dans cette vision de l'histoire, ce sont les modes de production dans leur relation intrinsèquement conflictuelle avec les forces productives qui sont déterminantes pour appréhender le fonctionnement des sociétés. Ainsi la révolution néolithique et la naissance de l'agriculture permirent l'asservissement de la nature par l'homme bien avant Descartes mais également de l'homme par l'homme, ce qui aboutira ensuite à la mise en place de la division progressive du travail et de sociétés patriarcales et hiérarchiques plus ou moins esclavagistes. La religion va quant à elle également accompagner ce processus en s'institutionnaliser progressivement (animisme, polythéisme, monothéisme....) et paradoxalemant le monothéisme par sa vision linéaire de l'histoire rompant avec les visions cycliques renvoyant à un mythe primordial, pose les prémices du progrès. L'introduction de la jachère, de l'assolement triennal et de la rotation des cultures permettent le passage du mode de production esclavagiste à un mode de production féodal basé sur le servage. Ensuite les révolutions industrielles entraîneront la mutation du mode de production féodal vers le capitaliste caractérisé par le salariat. Aujourd'hui ce dernier semble néanmoins à bout de souffle dans les pays occidentaux du fait de la désindustrialisation, des délocalisations et des flux financiers impliquant une mutation des emplois industriels vers les zones où la main d'oeuvre est de moindre coût.
D'autre part de plus en plus d'emploi sont voués à disparaître du fait de la robotisation croissante et de la dématérialisation des activités menant probablement à la fin du travail décrite par J Rifkin et remettant en cause par la même occasion l'idée « schumpéterienne » d'un capitalisme dynamique où les destructions d'emploi sont compensées en permanence par des créations….Enfin nous assistons à l'émergence de ce que ce même Rifkin nomme dans son dernier livre l'émergence du coût marginal 0 » : logiciels libres, linux, wikipédia imprimantes 3D, couchsurfing, énergie verte, économie de la connaissance….Ainsi dans l'absolu une économie du partage pourrait se subsituer à celle de l'achat et développer le capital social avec une primauté de la réciprocité et de la coopération, le capitalisme tentera toutefois d'étouffer ce mouvement en créant toute sorte de barrières.
La diversification des forces productives couplée à un mode de production de plus en plus obsolète appellent donc à une refondation théorique. Le salaire universel n'est-il pas la condition logique d'un mode de production post-salarial ?
Le paradoxe de la valeur économique
Le débat économique des 100 dernières années peut se résumer à une simple controverse entre politique de l'offre et politique de la demande, en somme entre Keynes et Hayek. D'une part les tenants de la politique de l'offre s'inscrivent dans cette vieille idée d'Helmut Schmidt selon qui « les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après demain » (en prenant soin d'oublier la déformation progressive de la valeur ajoutée au détriment de l'investissement et au profit de l'actionnariat). Il s'agit donc dans cette optique de limiter les coûts salariaux et les entraves (salaire, pouvoir des syndicats, des conventions collectives et cotisations...) dans le but de faciliter la vie des entreprises et créer de l'emploi. D'autre part les keynésiens suite à la crise de 1929 et à la grave dépression des années 30, prennent le problème dans le sens inverse et proposent de raisonner à partir de la « demande effective », c'est à dire des anticipations de profit des entrepreneurs. Si le chômage est élevé, c'est parce que ces dernières sont faibles, ce qui entraîne un sous emploi impliquant lui même une sous consommation des ménages. Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut par conséquent augmenter leurs revenus afin de solvabiliser la demande mais également mener de politiques de relance budgétaire et monétaire afin de remplir le carnet de commande des entreprise et encourager les banques à baisser leurs taux d'intérêts. La vidéo ludique ci-dessous illustre bien ce « faux combat » :
Ces deux courants ont donc façonné le débat économique durant des décennies mais laissent toutes deux de côté les aspects qualitatifs de la création de valeur : ces théories omettent en effet chacune la finalité et l'utilité de la production, en considérant in fine que toute création de valeur économique est positive indépendamment de tout autre considération (éthiques, morales, utiles….). Ainsi la destruction de l'environnement, la spéculation sur les matières premières entraînant des famines, les ventes d'armes émanant des complexes militaro-industriels, les créances douteuses induites par la titrisation, la commercialisation de toute sorte de produits fortement chargés en perturbateurs endocriniens, produisent de la valeur économique dans le cadre actuel. En revanche le bénévolat à travers les associations ou le travail domestique présentent une grande utilité pour la société mais ne créent pas de valeur au sens de la comptabilité nationale. Ainsi un chômeur qui s'investit auprès des déshérités est considéré du point de vue des économistes orthodoxes comme inutile. En revanche un cadre commercial chez Bayer ou Monsanto, un lobbyiste défendant l'extraction du gaz de schiste ou d'uranium par areva au Niger au détriment des population locales, un trader cocaïné de de la Défense sont tous trois considérés comme créateurs de valeur économique... Une famille qui s'occupe d'un parent âgé ne crée pas de valeur et ne gonfle pas le PIB, en revanche si ils décident de le placer dans un foyer logement, il en créent d'un point de vue comptable. Si je fais mon ménage et répare ma voiture, je ne crée rien. En revanche si j'embauche une femme de ménage ou envoie ma voiture chez le garagiste, alors je crée de la valeur…..
Au delà des nouveaux rapports de production : Une vision hétérodoxe de la valeur économique s'impose permettant de reconnecter progressivement valeur d'usage et valeur d'échange
Les théoriciens de la valeur d'Adam Smith à Walras, De keynes à Delaisi en passant par Maurice Allais, bien que différents, ont toujours défendu une vision quantitative et assez étroite de la valeur économique, laissant de côté les facteurs plus qualitatifs : solidarités création de lien social, bien être des populations, santé…. Si le monde s'est désenchanté, si l'influence des grandes religions monothéistes et abrahamiques sur les individus et les sociétés tend à diminuer, nous sommes pourtant dans une forme de « monothéisme du marché » où la volonté générale est censée résulter de l'atomisation des individus et de l'addition des vices privés. L'expression n'est pas de moi mais d'un brillant communiste converti à l'islam qui eu tort d'avoir raison avant tout le monde et qui au crépuscule de sa vie commis de graves errements, pardonnés sans doute lors du jugement dernier, le tribunal des cieux n'étant pas celui de la 17 ème chambre. Je lisais d'ailleurs récemment « l'appel aux vivants » déniché à tout hasard par un ami dans une vieille foire aux puces de la cité du Ponant. Déjà à la fin des années 70, l'auteur dénonce le productivisme induit par le capitalisme bien sûr mais également par le capitalisme d’État déguisé en socialisme et appelle à reconnecter utilité sociale et valeur. Ainsi cette dernière n'a jamais été aussi dissociée de la valeur d'usage, la filière est inversée : l'offre crée sa propre demande, les produits sont conçus pour ne pas durer (obsolescence programmée), tout se vend même bientôt même les utérus... Le but premier du salaire universel qui propose de donner à chacun des ressources nécessaires pour manger, se loger, se nourrir est par conséquent de lutter contre la grande pauvreté. C'était l'objectif défendu par les pionniers à l'instar de Thomas Moore, Spence ou Paine, que des Thomas... les épris de symbolique pourraient y voir l'esprit de St Thomas D'Aquin qui défendait d'ailleurs le « juste salaire », comme quoi parfois valeurs chrétiennes et socialistes ne sont pas si éloignées. En outre son introduction pourrait permettre aux individus qui le souhaitent de s'émanciper progressivement de cette dictature marchande, de déconnecter travail et emploi, termes trop souvent confondus, de valoriser le travail non marchand et de permettre une certaine convergence de la valeur d'échange vers la valeur d'usage.
La revanche de Paul Lafargue ?
L'objection courante est de considérer qu'il dépossède l'homme de devoirs, crée un droit à la paresse et fait en quelque sorte l'éloge de l'oisiveté.
Si la productivité s'est démultipliée depuis quelques décennies, dans le même temps la durée légale du temps de travail est passée seulement de 40 heures en 1936 à 35 en 2017… Comment expliquer alors la posture idéologique des économistes orthodoxes et politiciens libéraux se tuant à nous répéter que l'augmentation du temps de travail est inexorable dans le futur ?? Dès les années 30, keynes prédisait que les avancées techniques permettraient de réduire d'ici un siècle la durée du temps de travail à 15 heures par semaine… Un peu plus tard, Bertrand Russel publie son célèbre « éloge de l'oisiveté » où il affirme que la production industrielle d'alors permet de réduire la journée de travail à 4 heures par jour. Le philosophe et l'économiste Anglais n'avaient pas à priori bien saisi l'essence même du capitalisme, c'est à dire la production pour la production, la production comme finalité… L'anthropologue David Graeber nous donne quelques explications à cet apparent paradoxe avec son concept empirique de « bullshit job ». Il s'agit selon lui de s'interroger sur l'impact de la disparition d'un emploi sur la société. Si on imagine aisément les conséquences de la disparition des médecins, des éboueurs, des professeurs, des artisans, des pme, des ouvriers du bâtiment, des infirmières, qu'en serait-il cependant des publicitaires, des conseillers financiers, des spécialistes du management ou du marketing, des agents administratifs de quelques unes des multiples collectivités publiques ?
Par ailleurs les humains sont naturellement travailleurs, encore faut-il bien sûr qu'ils ne soient pas dépossédés de l'objet produit par l'extraction de leur plus-value et qu'il ait un sens. Combien de retraités qui si on suit le raisonnement orthodoxe ne devraient rien faire, s'investissent quand même dans des activités créatrices de valeur économique ?
Revenu universel : énième roue de secours du capitalisme ?
« Le capitalisme est tel le phénix qui renaît de ses cendres » affirmait Marx. Pourtant cet auteur a également développé une théorie sur le profit contredisant son affirmation précédente : la composition organique du capital ne cesse d'augmenter (induite par la concurrence entre capitalistes qui nécessite sans cesse le recours à des nouvelles technologies) alors que dans le même temps le capital variable (les salaires) n'évolue pas, il en résulte alors ce que Marx nomme la baisse tendancielle du taux de profit induite par la contradiction entre le capital constant et variable. Pourquoi alors le capitalisme ne s'effondre pas par ses propres contractions internes ? A l'instar des passions qui sont une ruse de la raison chez Hegel, le capital sait lui aussi rebondir, innover et peut tout instrumentaliser à son profit y compris les mouvements anticapitalistes et les régulations qui paradoxalement peuvent le légitimer et donc le renforcer. Au début du 20 ème siècle, Rosa Luxembourg et Lénine considéraient l'impérialisme colonial et sa conséquence à savoir la première guerre mondiale, comme une manière pour les détenteurs de capitaux de contourner le baisse du taux de profit en trouvant de nouveaux débouchés dans les pays sous développés :
Cette courbe de Rosa Luxembourg illustre parfaitement la dichotomie croissante entre les agrégats financiers augmentant plus vite que la production, soit une économie de plus en plus déconnectée de la réalité, la reconnection s'opérant soit par la crise, soit par l'impérialisme (qui aujourd'hui va d'ailleurs jusqu'à fusionner avec l'idéologie des droits de l'homme afin de culpabiliser tout esprit contradictoire), soit enfin par la recherche constante de nouveaux débouchés.
Les combats sociaux ou sociétaux peuvent par exemple créer de nouveaux marchés pour le capitalisme, l'économie moderne étant orientée vers la consommation et mettant le désir au centre de son système, le mode de vie communautaire où les solidarités sont fortes peut être un frein au développement des nouveaux marchés. Si mai 68 remet en cause l'organisation hiérarchique et austère du fordime et du taylorisme, en promouvant l'autonomie et la créativité de l'individu, le nouveau management reprendra cette critique en valorisant une nouvelle forme d'organisation davantage basée sur le projet collectif et l'innovation… Le personnage promu dans ce nouveau système est l'individu hors-sol déraciné, travaillant dans les services financiers au sein d'une grande métropole, en permanence connecté avec le reste de la planète mais ne connaissant pas son voisin, la quintessence de l'être parasitaire en somme….
Ainsi à l'instar de l'impérialisme colonial en son temps ou des instrumentalisations des luttes légitimes des individus, le revenu universel pourrait à son tour devenir une ruse du capital visant à déconstruire l'ensemble de la valeur déjà socialisée : les acquis sociaux, retraite par répartition, les assurances santé, la fonction publique… Hayek et Friedman avec son impôt négatif furent d'ailleurs des grands défenseurs du revenu de base. vision qui paradoxalement pourrait non pas rapprocher valeur d'usage et valeur d'échange mais les dissocier encore davantage et devenir pour paraphraser Lénine le stade suprême du capitalisme !
Le salaire à vie : de l'hétéronomie à l'autonomie ?
« L'enfer est pave de bonnes intentions, » dit le dicton, l'économiste Bernard Friot rejette ainsi le revenu de base, et défend « le salaire à vie » établit avec différents niveaux de qualification allant de 1 à 4 ainsi qu' une mutualisation l'ensemble de la valeur ajoutée…..
Le paiement d'une part du revenu universel en monnaie locale utilisable sur les marchés valorisant les circuits courts pourrait également inciter l'individu à consommer de manière plus responsable et par conséquent faire mentir l'objection selon laquelle l'argent servirait à remplir son buffet de bouteilles de pastis. Ce projet peut paraître certes utopique mais n'oublions pas cette phrase de vieux Lénine « sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire », et c'est qui nous manque cruellement dans ces temps troubles !
Dans « la grande transformation », Karl Polanyi analyse longuement l'abrogation de l'acte du Speenhamland (une des « poor law « qui instaurait une sorte de revenu universel en Angleterre). C'est sa suppression au début du 19 ème siècle qui précipita le Royaume Uni dans le capitalisme industriel et désencastra l'économie en l'autonomisant. Le réencastrement de cette dernière dans les autres sphères de la vie sociale ne passe-t-elle pas alors par le revenu universel ou le salaire à vie ?