vendredi 19 novembre 2010 - par Paul Villach

« Le secret délinquance scolaire » après « le secret défense » !

On se souvient de l’émoi provoqué par la publication dans l’hebdomadaire Le Point, le 31 août 2006, d’un classement des établissements scolaires en fonction des actes de violence enregistrés « entre (leurs) murs ». On ne s’attendait pas à retrouver en tête de classement des collèges de l’Hérault ou du Gard devant ceux de la Seine-Saint-Denis. En fait, ce renversement de palmarès venait plus d’un relevé très inégal des infractions par établissement que d’une représentation fidèle de la réalité violente. En ce sens, le classement était injuste, mais il n’en était pas moins intéressant par l’éclairage inattendu jeté sur la délinquance d’ établissements considérés comme paisibles. En somme, il en ressortait que rares étaient les établissements qui étaient épargnés par cette destruction de l’École de l’intérieur. Surtout, les réactions indignées du personnel montraient une incapacité de l’administration et du personnel, faisant corps avec elle, à se remettre en cause (1).

Instruite par cette publicité dérangeante, la DEPP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) du ministère de l’Éducation nationale a mis en place un autre fichier d’abord à titre expérimental, en septembre 2007, et étendu, depuis septembre 2010, à 80 % des établissements et des circonscriptions. Intitulé SIVIS - presque comme « Civis », le citoyen en Latin - pour système d’information et de vigilance sur la sécurité scolaire, il doit permettre, dit sa notice explicative, de « (recueillir) des données sur les incidents graves survenus en milieu scolaire dans une définition plus extensive que les seuls actes de violence, (…) d’en évaluer les grandes caractéristiques – type de faits, d’auteurs et de victimes, circonstances, suites et conséquences…- et de dégager des évolutions au niveau national  ». Est-ce si sûr ?
 
La consultation du manuel informatique de cette « enquête » appelle, en effet, plusieurs remarques.
 
1- Des données gardées secrètes
 
D’abord, ce ministère qui ne cesse pas de parler de transparence, veille cette fois à ce que cette enquête reste secrète en écartant, écrit-il, « le danger d’une récupération des données par la presse à des fins de palmarès  ». Son label « d’intérêt général et de qualité statistique (délivré) par le Conseil national de l’information statistique (CNIS)  » protège ses données « par le secret  ». Qu’en dire sinon que le ministère applique le principe fondamental régissant la relation d’information qu’il n’enseigne surtout pas à ses élèves en inscrivant dans ses programmes la mythologie journalistique ? Nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire.
 
L’étalage dans les médias de la délinquance qui se donne libre cours « entre les murs » des établissements scolaires, est en effet susceptible de nuire à ceux qui se distinguent en la matière comme à l’administration elle-même qui se montre incapable d’y assurer l’ordre conformément à sa mission. On juge l’arbre à ses fruits.
 
2- Un relevé réservé aux incidents les plus graves entre élèves
 
Il est, d’autre part, spécifié que « l’enquête SIVIS est centrée sur les actes les plus graves  ».
 
On aurait pu penser qu’à l’abri du secret, l’institution aurait eu à cœur de ne fermer les yeux sur aucun acte violent pour se donner la représentation la plus fidèle de la délinquance et pouvoir ainsi mieux la combattre. Non ! Si sont consignés « tous les incidents impliquant un personnel de l’établissement » en raison de « l’atteinte grave qu’ils représentent à l’institution scolaire », ceux qui mettent aux prises les élèves entre eux font l’objet d’un tri. « Seuls les incidents présentant un caractère de gravité suffisant  » sont retenus.
 
Quatre critères orientent ce choix : 1- ou une « motivation à caractère discriminatoire (raciste, antisémite, xénophobe, sexiste homophobe, autre)  », 2- ou un « usage d’un objet dangereux ou d’une arme », 3- ou un « acte commis dans le cadre d’une intrusion  », 4- ou un incident « ayant entraîné des soins ou causé un préjudice financier important, porté à la connaissance de la police, de la gendarmerie ou de la justice, susceptible de donner lieu à un dépôt de plainte ou à un conseil de discipline. »
 
3- L’occultation d’incidents pourtant graves comme l’intimidation
 
Un professeur expérimenté voit tout de suite que la passoire choisie pour retenir « les actes (dits) les plus graves  » présente quelques trous susceptibles d’en laisser passer d’aussi graves, mais avec l’assurance de ne jamais être mis en lumière.
 
On se souvient soi-même du cas d’une de ses élèves qui vivait secrètement dans la terreur sans vouloir l’avouer à quiconque : une de ses charmantes condisciples au-dessus de tout soupçon, fille du directeur des ressources humaines d’une des plus grandes usines de la région, la soupçonnait de l’avoir dénoncée au professeur pour ses fraudes répétées en devoir écrit sur table. Elle la menaçait quotidiennement, tant elle-même qu’avec le groupe de voyous qu’elle drainait autour d’elle. Aux yeux de cette délinquante, le professeur était trop con pour repérer ses agissements pourtant grossiers, alors que c’était délibérément que, fermant d’abord les yeux, il lui donnait sa chance de ne pas recommencer : errare humanum est, perseverare diabolicum ! 
 
Il avait fini par vouloir mettre un terme à ses fraudes au cours d’un entretien avec ses parents. On voit encore le flamboyant DRH retirer ses lunettes noires dans un large mouvement de bras circulaire et tonner : « C’est impossible que ma fille triche ! Je lui donne une bonne éducation  ! ». Et il s’était répandu en imprécations. Manifestement cet excellent garde-chiourme d’usine inversait les règles du raisonnement logique : « Ma fille reçoit une bonne éducation, donc elle ne peut pas frauder. » Il n’avait pas supporté d’examiner le renversement du syllogisme : « Votre fille fraude, il se peut donc que son éducation ne soit pas si bonne que ça !  » Illustrant en tout cas son idée d’une bonne éducation après les imprécations, il était allé se plaindre du professeur auprès du principal. Peine perdue ! Le principal avait eu beau menacer le professeur en lui disant qu’il n’avait pas le droit ! Celui-ci lui avait répondu qu’en matière des droits de la personne il avait tous les droits : il exigeait des excuses écrites et du père et de la fille avant tout retour de celle-ci en classe ! Elles ne sont jamais venues, mais la fille, non plus, n’a plus jamais remis les pieds en classe. Elle est allée montrer sa bonne éducation ailleurs dans un établissement privé !
 
Ce type de délinquance est-il si anodin qu’il ne mérite pas d’être enregistré pour être combattu par l’institution ?
 
4- Le personnel et les élèves, objets de la même enquête
 
On observe enfin une autre étrangeté dans le formulaire de cette enquête secrète. Elle ne concerne pas seulement les élèves quand ils sont auteurs ou victimes d’agissements, mais aussi le personnel, non seulement quand ils en sont victimes, mais aussi les auteurs. « Surveillant, agent, enseignant, conseiller principal d’éducation, personnel de direction  » apparaissent à la rubrique « type d’auteur  ».
 
Ce n’est pas que le personnel ne puisse pas lui-même se rendre coupable d’infractions, mais il ne semble pas que ce type de fautes de service soit du même ordre que les actes de délinquance perpétrés par les élèves. En tout cas, les fautes du personnel ne devraient-elles pas faire l’objet d’une enquête à part ? Sans doute, le personnel de direction est-il lui aussi soumis à la règle commune, mais on voit mal le chef d’établissement renseigner le formulaire en s’auto-accusant de manquements aux devoirs de sa charge ? Et Dieu sait pourtant s’il arrive souvent que des administrateurs, principal, inspecteur d’académie ou recteur, peuvent avoir une conduite de voyous en violant la loi délibérément quand ils y ont intérêt !
 
Mais, puisque le personnel est concerné par la même enquête, il devient alors surprenant d’observer à la rubrique « suites internes données ou envisagées pour l’incident  » que soit omise la mention « protection du fonctionnaire attaqué à l’occasion de ses fonctions  » dont l’article 11 de la loi 83-634 du 13 juillet 1983 fait un devoir à la collectivité publique, représentée par l’autorité compétente, le recteur par exemple. On voit bien que ce texte n’est jamais entré dans les mœurs de cette administration faute sans doute d’avoir pour le personnel le respect qui l’a pourtant inspiré.
 
On comprend donc que le ministère de l’Éducation nationale tienne à garder secrète une enquête qui révélerait au grand jour 1- l’impéritie ou la complaisance d’une administration chargée de maintenir l’ordre dans les établissements, 2- sa confusion méprisante entre élèves et personnel, et 3- son ignorance de la loi qui organise les droits et devoirs des fonctionnaires. C’est un état d’esprit malsain qui ressort de ce manuel d’enquête destiné aux chefs d’établissement : on ne sent ni volonté d’éclaircir au grand jour les actes de délinquance quels qu’ils soient pour mieux les combattre, ni respect minimal envers le personnel. Après « le secret défense » voici maintenant instauré « le secret délinquance scolaire ». La transparence tant alléguée est bien un leurre ! Paul Villach
 
(1) Paul Villach, « De l’art d’avouer les violences scolaires en les niant  », AgoraVox, 13 octobre 2006. 


9 réactions


  • zototo 19 novembre 2010 11:12

    Pour avoir de la famille dans l’éducation, je peux vous dire que ces pseudos résultats sur les violence à l’école sont une vaste fumisterie : les directeurs de collège et lycée font leur maximum pour ne pas signaler les actes violents afin justement de ne pas apparaître mal placé dans les classements...


    En fait, vous mettez en place un suivi de la violence à l’école qui par son fonctionnement même pousse les gens à minimiser la réalité des faits...

    • Abou Antoun Abou Antoun 19 novembre 2010 15:20

      Parfaitement exact !


    • french_car 19 novembre 2010 22:41

      D’autres au contraire inventent des affaires et alertent les flics pour se faire bien voir de leur hiérarchie et les flics marchent dans la combine pour gonfler leurs statistiques.


    • ena63 ena63 19 novembre 2010 17:47

      J’ai du mal à comprendre ce que M. Sarkozy (avec un Z, merci pour lui) a à voir avec ce problème. Il me semble que la violence dans le milieu scolaire n’est pas apparue ex nihilo en 2007. C’est un mal qui ronge l’école depuis bien plus longtemps que ça...

      Il est sans doute responsable de beaucoup de chose mais, franchement, l’accuser de tous les maux comme vous le faites ici paraît abusif.

      A moins que ce ne soit encore une plaisanterie douteuse et facile sur sa petite taille et le fait qu’il ne soit pas « à la hauteur »...

      Hurler avec les loups n’a jamais fait avancer la meute...


  • ena63 ena63 19 novembre 2010 17:49

    L’espace d’un instant j’ai cru que j’avais trouvé un article de M. Villach qui ne contenait pas le mot « leurre ».  smiley


    • Paul Villach Paul Villach 20 novembre 2010 10:50

      @ ena63

      Vous devriez me remercier : le mot « leurre » commence à entrer dans le langage courant. Écoutez bien autour de vous. Mais peut-être ne vivons-nous pas dans le même monde ?

      Que voulez-vous ? La Fontaine n’est-il pas un de ceux qui a enseigné les leurres ? J’achève un livre sur le sujet. J’espère que vous aurez à coeur de le lire...

      Voyez certains individus qui reviennent ici poster leur commentaire inutile et haineux et qui par leur conduite démentent leurs paroles. Paul Villach


  • srobyl srobyl 19 novembre 2010 23:25

    Bonjour,

    il ne semble pas que ce type de fautes de service soit du même ordre que les actes de délinquance perpétrés par les élèves

    Plus rares, certes, du moins on l’espère, mais je pense qu’il s’agit parfois de paroles et d’actes violents, et l’appellation « fautes de service » me paraît dans ce cas bien soft
    Exemples :
    un Principal à un gamin de 6ème : « mets toi à genoux et tourne-toi vers la Mecque »
    une prof d’anglais à une élève de 4ème : ah toi et tes odeurs de Maghrébine !« 
    un instituteur à un élève de CM2 : »tu n’es que du fumier et même je ne voudrais pas de toi pour mon jardin"
    un prof de technologie en classe de 5ème lance son trousseau de clés en direction des élèves
    ...

     


    • french_car 20 novembre 2010 08:14

      Le Principal raciste aurait dû être viré illico, la plainte déposée à la Police et le rectorat alerté.
      Pour ce qui est des autres incivilités de la part des profs hélàs elles sont monnaies courantes et revêtent la même dangerosité que l’écart d’un conducteur de bus : elles déstabilisent la classe ou du moins les plus sensibles et peut faire complètement échouer puisque l’enseignant perd la confiance de la classe et met l’élève en situation de ne plus poser la moindre question en cours.
      L’un de ces profs : « je vous rapporterai vos copies, je n’ai pas besoin de papier chiotte chez moi ». Le même faisait également des plaisanteries graveleuses.
      A la base il faudrait déjà les faire tourner tous les 3 ans, comme on le pratique dans les banques, les postes et nombre de métiers tournés vers la clientèle. Cela leur permettrait de s’ouvrir sur des milieux différents, des familles différentes, des collègues différents.


    • french_car 21 novembre 2010 14:51

      Négatif Liberté, Popaul ne dénonce que les CHEFS d’Etablissement délinquants, pas les profs, corporatisme oblige.


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