mercredi 6 août 2008 - par GHEDIA Aziz

Le serveur du Sauveur m’a sauvé

Le fait est banal.

"Mais alors, pourquoi tenez-vous à le rapporter ici", entends-je déjà les spécialistes es commentaires tel Lerma and Co qui n’attendent que ça pour me descendre en flamme. Mais à bien y réfléchir, ce "fait banal" mérite un large développement, un développement en long et en large comme on disait lorsqu’on était étudiant ; il y a bien longtemps maintenant. Ah ! que le temps passe vite ! A l’époque d’ailleurs notre modeste bourse ne nous permettait même pas de nous offrir des sardines grillées ou de se régaler d’un calamar au riz de temps à autre.

Pas dans les grands restaurants, bien entendu, mais juste dans ces gargotes, à l’hygiène très douteuse et pourtant très fréquentées, qui se trouvaient à l’intérieur même du marché Meissonnier, pas loin de la sortie ouest de l’hôpital Mustapha Pacha. Alors, vous y êtes  ? Vous avez compris où je veux en venir  ? Pour vous aider à comprendre, permettez-moi de vous poser une question à deux sous. Rien qu’une question. Que fait on le soir lorsqu’on est en vacances sur la côte ouest d’Alger  ? Ou dans une autre ville côtière de la Méditerranée  ?

Evidemment, c’est très facile à deviner  ! On sort dîner  ! En couple ou en famille. Ben voyons  ! Étais-je vraiment obligé de vous souffler la réponse  ? Elle était à la portée de tout le monde, la réponse. Même à celle d’un simple d’esprit. Mais, ne comprenez pas de travers, je ne traite personne de simple d’esprit. C’était juste pour vous dire que la réponse était tellement évidente du moins pour ceux qui, tel votre serviteur, aiment bien "la bonne cher pas chère" comme l’avare de Molière

Tout compte fait, les us et les coutumes ne diffèrent pas vraiment d’une région à l’autre de cette mer intérieure dont on veut faire un lac de paix maintenant. Pour tout vous dire, j’en ai fait l’expérience dernièrement, il y a tout juste quelques jours, à Marseille. Sur le vieux port. J’ai eu la même impression que lorsque j’emmenais mes enfants, le soir, au petit port de la Madrague  : les gens qui étaient attablés aux terrasses des restaurants, depuis une bonne demi-heure déjà au moins pour certains d’entre eux, attendaient avec impatience qu’on vienne prendre leur commande, et les serveurs courraient littéralement entre les tables, les bras chargés d’assiettes de crevettes en sauce ou des tranches d’espadon grillées.

En ce qui me concerne, aujourd’hui, pour épater ma seconde moitié et mes enfants, mon choix s’est porté sur "le sauveur"  : un restaurant qui se trouve sur le port de la Madrague et où la crevette royale à l’ail est succulente même non accompagnée d’un Mascara datant de l’époque d’avant la révolution agraire et qui a donc eu largement le temps de mûrir et "d’avoir du caractère", comme dirait un goutteur de vins du Beaujolais.

Mes enfants sont comme moi  : ils aiment bien les sorties nocturnes et les repas au bord de la piscine, chose que je ne peux, malheureusement, leur assurer que quelques jours par an  : lors des vacances. Le reste de l’année, je vous avoue que je trime comme un nègre et ceci sans connotation péjorative de ma part ni pensée xénophobe. Je disais donc que mes enfants, dès le moteur de la voiture arrêté, se sont empressés d’envahir la terrasse d’un des restaurants de ce pittoresque port où l’odeur du poisson se mêle à celle de l’eau de mer, mazoutée par les embarcations vétustes qui s’y agglutinent dans un désordre indescriptible, pour aiguiser encore plus votre odorat et vous invite à prendre part au festin.

Sur cette terrasse, il n’y avait qu’une seule famille, déjà au dessert  : dans leurs assiettes il ne restait que des têtes et des arêtes de merlan et des corps vertébraux de quelque chien de mer ou autre espadon. Comment le sais-je  ? Curiosité oblige, je n’ai pu m’empêcher de jeter un coup d’œil furtif sur leur table encombrée d’assiettes et de verres à pieds dont l’usage a été dévié de sa première vocation  : ici on ne sert pas de boissons alcoolisées. Un peu plus loin, à l’autre extrémité de cette terrasse qui paraissait si grande, un jeune couple coulant certainement des jours heureux, ça se voyait à leur façon de se tenir l’un en face de l’autre, attendait qu’on daigne s’occuper de lui. Ils auraient peut-être aimé que le temps s’arrêtât pour eux, que rien ne vienne troubler leur posture de confidence, leur échange de mots doux, toujours les yeux dans les yeux et que... le serveur et le poisson aillent au diable  !

Sitôt installés, le serveur nous ramena, en guise d’amuse-gueule, une petite assiette de H’mis et un petit panier de Matloue encore chaud. Comme des rapaces affamés, les enfants se sont emparés de ce petit plat d’entrée alors que le serveur n’avait pas encore tourné le dos. Ils avaient vraiment faim après une journée de plage et de… pédalo  ! En moins de cinq, aucune miette n’est restée dans l’assiette. L’assiette a été méthodiquement essuyée si j’ose dire. La mer ne fait pas que "manger les Harraga", elle fait manger aussi. N’est ce pas que c’est pour cette raison que les "restos resto " et autres payotte pullulent aux abords des plages  ? Mais au moment de lui demander le menu, le serveur s’approcha de moi et me chuchota dans l’oreille  : il ne me conseilla pas moins que de déguerpir et d’aller voir ailleurs, le restaurant d’à côté où la "bouffe est meilleure et moins chère" selon ses propres termes. Je n’en croyais pas mes oreilles  ! Madame n’avait rien compris au manège et n’arrêtait pas de me demander des explications mais j’étais gêné de les lui fournir tant que ne nous n’avions avions pas encore mis les pieds dehors. Le gars risquerait de se faire virer illico presto par son patron si ce dernier pouvait savoir la raison de notre départ précipité sans avoir réglé la note de ce qu’on avait déjà commencé à avaler. Vous trouverez peut-être que l’histoire est un peu tirée par les cheveux mais c’est la vérité, c’est ce qui s’est passé ce jour-là. Et l’honnêteté de ce serveur est tellement chose rare de nos jours que j’ai tenu à lui consacrer cette chronique. Et puis, il faut dire aussi que le temps des vacances n’est pas propice aux sujets d’ordre politique et qu’il faut de temps en temps savoir sortir des sentiers battus. Il y a tant de choses simples dans la vie dont il faut rendre compte de temps à autre quitte à être assailli par des commentaires indésirables.

Et effectivement, dans le restaurant d’à côté, toutes les tables étaient occupées et les derniers arrivés ne sont pas forcément les moins bien servis. Ils savaient cela et c’est pour cela qu’ils attendaient donc dehors, gentiment, sans perdre patience outre mesure, guettant le moindre mouvement de ceux qui s’apprêtaient à quitter les lieux après un dîner copieux. Ils savaient aussi qu’en fin de compte leur attente ne sera pas vaine et que leur patience sera récompensée par des plats du jour bien mijotés et à la portée de leur bourse. Sans se ruiner.



10 réactions


  • Radix Radix 6 août 2008 12:40

    Bonjour

    Soit ce serveur était d’une grande honnêteté ou bien un grand... paresseux !

    Radix


  • ACTARIUS 6 août 2008 12:52

    @ l’auteur,
    Merci pour votre article.

    Je ne désespère pas de l’être humain et je pencherais donc pour l’honnèteté .

    Cette espèce serait-elle donc en voie de disparition ?

    Quen pense l’auteur lui-même ?


  • Reflex Reflex 6 août 2008 15:29

    Aie ! Il reste à espérer que le patron du Sauveur, contraint à l’inactivité par le fait de son serveur, glande ailleurs que sur Avox. Sinon, je ne donne pas cher de sa peau…


  • K K 6 août 2008 19:12

    En tout cas, c’est une jolie faute professionnelle qui permet un licenciement sans problème.


  • Vincent 6 août 2008 19:49

    Autre possibilité : le serveur est payé par le cuistot du restaurant d’à côté pour envoyer les clients chez lui...


  • Thoth 6 août 2008 21:54

    Cela ne m’étonne point ! Moi qui suis né du côté ouest de l’algérie, il y a 71 ans, à Lapasset, devenu Sidi Lakhdar, je me souviens que le boucher du village, un certain Hamou, conservait sa viande dans un garde-manger au grillage maintes fois troué, où de grosses mouches réussissaient à se faufiler. A cette époque, nous n’avions pas encore l’électricité et les frigos ne servaient que pour le décor ou pour y ranger maintes choses inommables. Au bout de vingt-quatre heures, la bidoche commençait à sentir un peu fort, surtout en périodes de chaleur intense. Pourtant, "roumis" comme "arabes", restaient de fidèles clients. A ma connaissance, personne n’en est mort. Ce sont les temps modernes qui nous ont ramollis ! Alors Toubib, vous n’avez rien à craindre, non ? Allez, Salam aleikoum !
    A part ceci, un grand salut à mon pays natal que j’ai quitté en 1962...


    • barrere 7 août 2008 12:10

      ah bon ! y avait pas que des colons ?.........
      un grand salut aussi de mon épouse a son village d’aïn tedeles pres de Mostaganem qu’elle a quittée........en 62...........


    • Thoth 7 août 2008 12:40

      Et non, il n’y avait pas que des colons ! Du reste, ceux que l’on appelait ainsi étaient une minorité. Mon père "n’était que" receveur des PTT, ma femme et moi, instituteurs débutants (on prenait le métier qu’on pouvait). Aïn Tédelès, je connais. J’avais pas mal de copains venant de ce village et de Bellevue. Ils se trouvaient, tout comme moi, en pension au lycée de Mostaganem. L’été, en vacances à Petit Port, j’avais des copines qui venaient de Bellevue. Bonjour à votre épouse de la part d’un compatriote.


  • DJ.PESSOA DJ.PESSOA 7 août 2008 12:03

    SI le serveur a bien agi (je dis bien si),
    un pourboire aurait été plus conséquent que cet article, non ?


  • Bobby Bobby 7 août 2008 19:21

    Prions donc pour que le patron ne soit jamais informé et espérons que le conseil fut bien placé. dans ce cas, le resto en question ne fera pas long feu et tout rentrera dans l’ordre.


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