Le voile est-il un fétiche islamiste ?
Avec le port de vêtements religieux dans l’espace public les habitants de notre pays peuvent avoir parfois le sentiment d’être témoins de messages simultanés contradictoires et ambigus qui font penser à cette « injonction paradoxale » ou « double contrainte »entrainant une domination mentale sournoise explorée par Grégory Bateson à Palo Alto vers 1950.
Certaines musulmanes affichent ainsi le port du voile comme une obligation de l’islam quand d’autres fidèles de la même croyance ne sont pas de cet avis ce qui crée des pressions sociales antagonistes difficiles à résoudre. Si costume rime avec coutume, jusqu’en 1980 aucune n’était voilée en France, sauf parfois un « fichu » sur la tête, alors qu’elles sont aujourd’hui nombreuses. Pourtant ce changement ne vient pas du Coran « incréé » mais d’interprétations différentes d’une religion divisée. Ainsi le wahhabisme qui se réclame du sunnisme hanbalite adossé à l’édification de la dynastie des Saoud à partir du XVIIIème s’est opposé dès l’origine aux chiites. Mais peu de gens maîtrisent les subtilités du langage natif et souvent les fidèles connaissent mal les textes et leurs analyses reliées à des époques ou des faits très éloignés du contexte originel. Et l’absence d’autorité centralisatrice avec une réelle formation des imans pour l’exégèse ne facilite rien d’autant qu’il est possible que la pensée de Mahomet ait changé entre La Mecque et Médine ou face aux religions préexistantes : animistes, juifs et chrétiens.
Or le port du voile vient du Proche-Orient. Il est relié à la prostitution sacrée de la déesse Ishtar signalé sur les tablettes mésopotamiennes (4) et dans la Bible pour distinguer et valoriser les femmes honorables ou mariées des esclaves et prostituées qui n’en portaient pas. Dans sa 1ère Lettre aux Corinthiens (11, 5-10) (5), Paul, puis Tertullien, en feront plus tard une obligation parce que pour eux la femme doit être soumise à son mari comme à Dieu. Le voile islamique est donc un héritage païen préislamique d’origine assyrienne, puis chrétien.
Quant au mot hijabutilisé plusieurs fois dans le Coran, il est sujet à confusions car sa racine étymologique qui signifie « cacher » renvoie davantage à une tenture ou un écran occultant qu’à l’habit féminin couvrant désigné par khoumouret jalâbîb. Et linguistiquement julbâb (mante, cape) se distingue aussi de khimâr (voile). Grâce à cette séparation Mahomet garantit non seulement la décence souhaitée avec ses épouses mais aussi leur sécurité car à cette époque troublée de Médine un simple rideau qui ne cachait ni le visage ni les cheveux était licite tout en facilitant une reconnaissance rapide et donc une meilleure protection physique.
Mais si le port du voile sur la tête n’a jamais été une obligation canonique, contrairement au jeûne du ramadan ou aux cinq prières quotidiennes, il est en revanche clairement indiqué dans le Coran que la bienséance concerne autant les hommes qui doivent « baisser leurs regards et garder leur chasteté »que les femmes qui doivent « rabattre leur voile (mante) sur leur poitrine » (6) (Sourate 24 An-Nur, 30-31). Et cette question sexuelle est restée très vive.
Il faut constater aussi qu’à plusieurs époques et en divers lieux : Turquie, Iran, Égypte, Tunisie, Maroc, Afghanistan par exemple, le port du voile sur la tête, avec ses grandes variations de noms de formes ou de couleurs, a été contesté et aboli en fonction d’évènements politiques et sociaux ou d’interprétations différentes des textes. Et la place ancestrale de la femme en Mésopotamie souvent associée à une assez grande liberté et parfois même au pouvoir fut profondément modifiée par le Coran. C’est ainsi que les licences acceptées durant l’ancien pèlerinage païen autour de la Kaaba furent interdites par l’islam qui n’a cessé, notamment en Arabie Saoudite, de détruire systématiquement tous les restes de cette époque préislamique.
En réalité plus qu’un vêtement, le voile islamique désigne symboliquement tout ce qui sépare le Paradis de la Géhenne par « occultation », « muraille » « voile épais » ou « tenture », selon différentes traductions de la sourate 7 Al-A’raf, 46 (7), avec le risque de rester en Enfer sans pouvoir accéder au Jardin. Cela exige donc un difficile travail intérieur de dévoilement et de reconnaissance du sacré que l’on peut rapprocher d’un passage du Nouveau Testament (2 Corinthiens 3,16) (8) :« Quand on se convertit au Seigneur, le voile est enlevé ».
Or le message coranique est aujourd’hui masqué par ce voile parce que non restitué dans son contexte signifiant originel en raison de l’indigence socio-culturelle de fondamentalistes mus par d’obscurs mobiles et/ou par une méconnaissance religieuse parfois reliée à des idéaux politico-identitaires opposés au cadre républicain laïque. Et bien que le voile respectueux de la loi soit toléré dans notre pays, cet anachronisme auto-discriminant pour celles qui le portent repose sur des critères trompeurs et la crainte d’un rejet familial ou communautaire que l’éducation pourrait apaiser si elle se confrontait simplement à la raison :
1/ La situation de distinction originelle valorisante entre femmes honorables et celles de basse condition (esclaves) ou de mauvaise vie (prostituées) qui justifiait autrefois le port du voile est depuis longtemps caduque dans nos sociétés, de même que l’infériorité native instaurée par Paul de la femme face à son mari et à Dieu qui lui imposait d’avoir la tête couverte.
2/ L’utilisation des mots désignant aujourd’hui le voile islamiste est inappropriée pour les linguistes car cet écran ou rideau ne s’applique pas sur les cheveux. Le Coran demande seulement aux femmes de cacher leur poitrine (dénudée chez les prostituées d’antan). Et cette mesure a son corollaire pour les hommes qui sont tenus de maîtriser leurs pulsions.
3/ La grande variation du port du voile selon les époques et les sociétés rejoint l’absence de prescription coranique que pourtant les fondamentalistes voudraient imposer. Or son usage forcément très apparent rend difficile une bonne intégration sociale car il donne l’impression de s’opposer aux droits que d’autres femmes ont acquis par leurs luttes pour se soumettre aux contraintes inégalitaires imposées par la charia dans la plupart des pays musulmans.
4/ La vénération d’un bout de tissu cachant ou isolant les sexes est une forme de fétichisme idolâtre condamnée par le Coran (An-Nahl 16,36) (9) parce qu’il rend aveugle sur le risque que tout homme ou femme reste intérieurement coupé d’un dévoilement spirituel qui rapproche de la vérité, ce qui est pourtant un message universel recevable pour le plus grand nombre.
Annexes
Trois principales lois encadrent les pratiques religieuses dans notre pays. Celle de 1905 (1) sur la séparation des Églises et de l’État (sauf en Alsace-Moselle) assure la liberté de conscience et la neutralité de l’État c’est à dire la possibilité de croire ou non et d’exercer le culte de son choix. La devise de cette France laïque n’est donc pas « In God we trust » et son Président de ne jure ni sur la Bible ni sur le Coran. Cela signifie que la République vote ses propres lois et qu’elle n’est pas une théocratie reliée à des tribunaux religieux ce qui n’empêche pas le juge d’avoir des convictions personnelles même si son rôle est seulement d’appliquer la loi.
« Dura lex sed lex »disaient les romains qui sont les inventeurs du droit moderne avec « la Loi des Douze Tables », ce premier droit écrit (ius scriptum) qui a supplanté le droit oral pour être à l’origine de la laïcisation du droit civil remplaçant des juridictions religieuses jugées injustes par la plèbe et incapables de régler certains problèmes. D’où la remarque de Jésus : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. ». Parallèlement la loi de 2004 (2) restreint le port des signes religieux les plus visibles dans les écoles publiques. Et celle de 2010 (3) interdit « la dissimulation du visage dans l’espace public » pour des raisons de sécurité mais n’empêche pas de s’habiller comme chacun le souhaite même si le port de vêtements différents d’une coutume locale préexistante attire forcément l’attention et les remarques comme devant toute forme inhabituelle, donc très visible, dans l’environnement traditionnel.
CC.© Septembre 2019
Liens
Traduction française du Coran par Mohammed Chiadmi PDF
Traduction française du Coran par Jacques Berque PDF
Traduction française du Coran par Denise Masson PDF
Traduction française du Coran par Jean Grosjean PDF
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