vendredi 13 mars 2020 - par Patrice Bravo

Les divergences entre la Turquie et plusieurs pays de la Méditerranée s’accentuent

Alors que les « alliés » occidentaux de la Turquie, sans pour autant entreprendre d’actions concrètes, lui ont juré leur « solidarité » en lien avec les affrontements récents dans la province syrienne d’Idlib, y compris dans le but de saper le partenariat russo-turc et mettre la pression sur le gouvernement syrien, ces mêmes partenaires maintiennent néanmoins plusieurs divergences évidentes avec Ankara sur d’autres dossiers, notamment la Libye et Chypre.

Un cas intéressant est celui de la France. D’un côté, l’establishment politique français avait exprimé son soutien « moral » à la Turquie lors des affrontements avec les forces gouvernementales syriennes, tout en condamnant le chantage d’Ankara vis-à-vis de l’Union européenne sur la question migratoire. On se souvient aussi des condamnations de Paris lors de l’offensive turque contre les militants kurdes de Syrie. S’ajoutent à cela des divergences claires sur la Libye et la question des frontières maritimes en Méditerranée, notamment en lien avec l’exploitation des réserves d’hydrocarbures.

Si en Libye, la Turquie du président Erdogan soutient ouvertement le gouvernement d’union nationale (GNA), basé à Tripoli – contrôlant pas plus d’1/5 du territoire libyen, la France, elle, accorde plutôt ses sympathies à l’Armée nationale libyenne (LNA) commandée par le maréchal Khalifa Haftar. Bien que le soutien français à la LNA soit moins déclaré que celui des Emirats-arabes unis, de l’Egypte ou encore de l’Arabie saoudite, il n’empêche qu’il s’agit bel et bien d’un dossier d’intérêts divergents entre Ankara et Paris.

Mais ce n’est pas tout. L’autre pierre d’achoppement entre la Turquie et nombre de pays méditerranéens concerne la démarcation des frontières maritimes, ou plutôt une vision purement différente sur ces frontières, et notamment la question de forage dans une zone potentiellement riche en gaz naturel, comme c’est actuellement le cas autour de l’île chypriote. En effet et depuis que des réserves potentielles y ont été découvertes, une opposition nette subsiste entre les représentants de Chypre, de la Grèce et d’Israël d’un côté, la Turquie et son allié libyen (ou plutôt tripolitain) de l’autre.

Dans ce dernier cas, plusieurs pays de l’UE, dont la France, ont exprimé leur solidarité avec le trio gréco-israélo-chypriote. Pour rappel, le 2 janvier dernier, Chypre a signé un accord avec Israël et la Grèce pour la construction éventuelle du gazoduc Eastmed, qui pourrait acheminer le gaz extrait à destination de l’Europe continentale. Un accord que la Turquie conteste, en mettant en avant que ledit projet ne prend pas en compte la position de la partie nord de l’île en la qualité de la république turque de Chypre du Nord (RTCN). Et pour riposter, Ankara a tout simplement pris l’initiative de lancer ses propres activités de forage au large de l’île. Pour ce faire, le leadership turc a conclu avec son allié libyen du GNA une « entente » qui devrait lui permettre d’élargir sa zone économique exclusive en Méditerranée orientale. Une action condamnée par la République de Chypre, la Grèce, l’Egypte et Israël.

Dans ces situations, il faudrait probablement se poser la question sur comment la Turquie prévoit de gérer ces tensions existantes avec plusieurs de ses voisins de la Méditerranée. Et ce au moment même des tensions existantes en Syrie – certes un peu apaisées suite à l’accord de cessez-le-feu conclu entre les présidents Poutine et Erdogan à Moscou. La Turquie, dont les ambitions internationales ne sont pas à démontrer, sera-t-elle en mesure de jouer sur plusieurs tableaux indéfiniment et surtout pouvoir gérer l’aspect relationnel avec ses alliés de l’Otan, et ce au moment même où les partenaires eurasiens d’Ankara observent avec attention ses agissements ? Là est toute la question.

Une chose est pour autant certaine, la politique de la multiple chaise et les contradictions existantes au sein de son propre « camp », ne vont pas lui faciliter la tâche.

Mikhail Gamandiy-Egorov

 

Source : http://www.observateurcontinental.fr/?module=articles&action=view&id=1450



4 réactions


  • Clark Kent Séraphin Lampion 13 mars 2020 10:33

    il n’y a pas de pacte entre les pays « occidentaux » et la Turquie, même si cette dernière est toujours membre de l’OTAN, mais seulement des tactiques de circonstances contradictoires entre elles

    Erdogan, figure de proue de ce qui reste des frères musulmans, caresse toujours le rêve de la résurrection de l’empire ottoman

    il vient d’essuyer un gros échec en Syrie : il n’a pas pu annexer le territoire visé et il n’a pas disloqué les forces kurdes

    que luir reste-t-il d’autre que de faire profil bas et prêter allégeance à la fois aux Russes et aux Occidentaux pour maintenir sa position peu enviable d’atout à sacrifier dans une partie de poker menteur ?


    • generation désenchantée 13 mars 2020 21:39

      @Séraphin Lampion

      Une chose intéressante sur Erdogan , c’est sa mégalomanie
      Juste un exemple le nouveau palais présidentiel turc , 200 000 m2 , 1000 pièces

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Palais_pr%C3%A9sidentiel_(Turquie)


    • Jonas Jonas 13 mars 2020 22:47

      @generation désenchantée « Une chose intéressante sur Erdogan , c’est sa mégalomanie »

      Erdogan, qui se voit comme le nouveau sultan de l’empire ottoman, envoie en première ligne ses armées de migrants islamisés à la conquête de l’Europe.

      Mais quand l’Europe était christianisée, elle pouvait s’unir contre une menace commune.
      Les Ottomans, qui ont colonisé et dévasté la Grèce, l’Albanie, la Hongrie, la Serbie, la Bulgarie pendant des siècles, et qui ont tenté de s’emparer de Vienne en Autriche (1529 et 1683) pour islamiser l’Europe, ont été repoussés et liquidés sous l’unité des coalitions catholiques (chevaliers des Dragons, les Templiers, ordre de Malte, Saint Jean de Jérusalem, etc...).
      Ce que l’Europe ne peut plus faire aujourd’hui face au retour de la menace turque, s’étant sécularisée par la maçonnerie, l’athéisme militant et l’anti-catholicisme.


  • L'apostilleur L’apostilleur 14 mars 2020 09:40

    La Turquie est un cailloux à double tranchant dans la chaussure de l’Europe (voir de l’OTAN). Au caractère historiquement égémonique des ottomans refoulés sur l’actuel Turquie en 1918, s’ajoute celui d’un islam immiscible que ses déviances extrémistes insupportent par ailleurs. Erdogan aurait probablement « envahi » une Europe impregnée de ses valeurs universelles qui aurait pu lui ouvrir ses portes, s’il avait suivi les pas d’un Atatürk européaniste. Au lieu de cela, il creuse le fossé d’une séparation durable avec l’Occident qu’une visite à Chypre nord (*) ou dans les Balkans permettra de mesurer pour qui en douterait.

    (*) https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-immiscibilite-historique-des-189285


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