Les poubelles de l’histoire, destin de la France ?
Toute personne dotée d’un minimum de culture scientifique comprend que chaque banquet s’achève lorsqu’il n’y a plus de victuailles, que tout le monde ne peut pas être convié et que plus il y a de monde, plus le banquet s’achève rapidement. Tout le monde comprend cette loi implacable de la nature : les ressources naturelles constituent un stock épuisable, probablement déjà en partie épuisé, et la génération d’un flux à partir d’un stock finit immanquablement par épuiser ce dernier, d’autant plus rapidement que la taille du flux augmente. Même un gamin de 5 ans est capables de comprendre que sa boite de croquette durera plus longtemps s’il n’en prend qu’une par jour plutôt que s’il mange de façon compulsive, ou s’il partage avec ses cousins. Après avoir bénéficié d’une richesse insolente pendant les 30 ans qu’ont duré l’exploitation de son phosphate, l’Ile de Nauru est devenue l’un des Etats plus pauvres du monde avec un taux de chômage atteignant les 90%. La réalité est toujours cruelle avec ceux qui la fuient.
Finalement, un destin national, ça tient quoi ? un Etat doté d’un système politique incapable de générer une vision en phase avec la réalité peut-il survivre lorsque le cours de l’histoire s’accélère ?
C’est à la lumière de ces bases qu’il faut, je crois, relire les discours de notre bon président. Macron dresse un constat lucide sur l’état du monde, sur la compétition entre grands acteurs et même s’il limite trop souvent son analyse à des frictions interétatiques, le pire n’est pas là : le pire est sa volonté de préserver les équilibres, d’utiliser l’Europe comme un moyen de stabilité dans cette course effrénée qu’il perçoit et décrit mais dont il semble ignorer à la foi les raisons et les finalités. Les grands acteurs sur la scène internationale utilisent l’énergie dont ils disposent, tant qu’il en reste, pour s’approprier les stocks et générer les flux dont ils ont besoin pour pérenniser leur civilisation mais la France, malgré sa conscience de cette agitation, reste cramponnée à la ligne de départ avec pour seule stratégie d’y faire revenir les autres. Et comme Macron sait qu’il n’y parviendra pas tout seul, il entend favoriser la création d’un strato-état européen qui servira de caisse de résonnance à sa vision du monde, prélude à sa mise en œuvre. La France sait, mieux que quiconque, ce que doit être le monde, même si les réalités physiques évoquées supra s’opposent à cette vision. La plus grosse lacune des énarques à qui les français ont délégué la conduite de leur destin pourrait être leur ignorance structurelle des réalités physiques. Leur contact avec la réalité s’effectue le plus souvent par l’intermédiaire de l’argent, qui mesure tout mais dit finalement peu de choses sur les réalités sous-jacentes. Les emballements boursiers n’ont que peu à voir avec le réel mais davantage avec la perception de ce réel. Bref, les choix fondés sur des arbitrages budgétaires et comptables auquel sont habitués les énarques, donc Macron, sont parfaitement hermétiques aux logiques complexes d’appropriation et de gestion de stock et de flux sur le temps long.
En s’érigeant en « administrateur » d’une stabilité qui s’était construite sur une opulence qui appartient désormais chaque jour davantage au passé, Macron refuse d’engager la France dans la compétition pour l’appropriation des stocks. C’est un choix audacieux qu’il prend en notre nom à tous. D’autant plus audacieux, qu’à écouter les railleries dont il fait l’objet dans les autres Etats européens, lorsqu’il instrumentalise son Europe fantasmée au profit de ses rêves éveillés, on peut mesurer l’ampleur du chemin qu’il lui reste à parcourir pour ramener tout le monde sur la ligne de départ. Il peut continuer à ignorer ces railleries tant que les taux d’intérêts auquel il emprunte l’argent nécessaire à l’entretient de ses rêveries restent proches de zéro. Le jour où ils augmenteront de nouveau, la vraie puissance industrielle de la France c’est-à-dire sa capacité à subvenir aux besoins de la population, sortira de l’invisibilité dont elle bénéficie grâce à l’artificialité de la construction de l’euro. Et ce jour-là, qui voudra s’allier avec la France pour lui fournir les stocks de matières premières et d’Energie dont elle aura besoin, et établir les flux ? A ce moment-là, les autres compétiteurs, comme la Chine, les USA, la Russie, la Corée du Sud, la Turquie, la Grande Bretagne et sans doute aussi l’Allemagne, qui aura bien profité d’un projet européen allemand fort éloigné de la vision qu’en avait Macron, seront déjà très loin de la ligne de départ. Quant à la France, comme tant d’autres Etats avant elle, ruinée, désindustrialisée, déchirée par la guerre civile, pillée par ses débiteurs, désertée par ses « élites », envahie par l’Afrique, elle trouvera certainement une bonne place dans les poubelles de l’histoire et ses monuments historiques rejoindront assurément les musées des puissances dominantes qui se dévoueront pour assurer leur protection.
Finalement, un destin national, ça tient quoi ? un Etat doté d’un système politique incapable de générer une vision en phase avec la réalité peut-il survivre lorsque le cours de l’histoire s’accélère ?