jeudi 23 juillet 2020 - par Jacques-Robert SIMON

Les scientifiques, les sages et les intellectuels

 Que cherche-t-on auprès d’une docte personne ? Si c’est la vérité, il faut s’adresser aux scientifiques, s’il s’agit de trouver un sens à la vie, il faut s’approcher d’un sage. En croyant les intellectuels, vous n’obtiendrez ni la vérité, ni la sagesse.

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 Les savoirs peuvent s’incarner sous la forme d’intellectuels, de sages ou de scientifiques. Mais ils ne représentent pas divers aspects d’une même recherche de connaissances, tout les oppose !

 Un scientifique navigue dans l’imaginaire, dans un réel bien plus grand que le réel du quotidien, il est en quête de ce qui n’existe pas encore et peut-être qui n’existera jamais, il prend le risque de poursuivre un rêve. La Raison est nécessaire mais de loin pas suffisante pour mettre en cage les chimères qu’il ne fait qu’entrevoir. Les ‘autres’, et même la plupart de ses collègues, représentent souvent un poids qui lui semble ralentir sa quête. Le scientifique ne travaille pas pour ébahir les autres, il se grise lui-même d’à peu près, d’essais, d’erreurs en essayant inlassablement d’arriver à ses fins ou même, plus souvent encore, à une fin qu’il ne discernait même pas et qu’il a aperçu par hasard mais qu’il a su voir. Une infime proportion des scientifiques parvient à trouver, des multitudes de chercheurs se contenteront de chercher. Le scientifique vit dans un monde qui n’est pas vraiment le monde de tous les jours. Ses amis, ses connaissances sont puisés parmi d’autres scientifiques qui ressemblent aussi peu que lui aux gens que l’on peut côtoyer dans les rues, les bars, les banques, les sièges sociaux. Plongé sans précautions dans le monde de tous, dont il ne possède que sommairement les codes, le scientifique risque de sombrer ou de s’ennuyer. L’intérêt, l’envie, les malfaçons, la déshonnêteté, la malpropreté morale ne lui sont pas inconnues mais elles restent des façons d’agir lointaines. Il préfère rester pelotonné parmi les équations, les phtalocyanines ou les protéines. Mais ses émois sont strictement encadrés par le reste de la communauté scientifique. Ses pairs, ses collègues, tous munis d’un savoir équivalent, lui montrent une amicale mais redoutable hostilité en approuvant ou en désapprouvant son travail. Il n’est pas facile de tricher quant on fait de la Science, à terme c’est même impossible, les sachants veillent. Le ‘grand public’ s’immisce quelquefois dans son monde à l’occasion d’un prix prestigieux ou d’une invention particulièrement remarquable, il en résulte presque toujours un désastre. Le scientifique donne son avis sur tout, et il dit en conséquence n’importe quoi. Les gens ‘ordinaires’ (non-scientifiques) sont à la recherche de certitudes alors que le scientifique qui l’est resté sait qu’il n’en existe pas. Il a peut-être quelques assurances d’être dans le vrai dans un micro-domaine pour lequel il a consacré toute sa vie, guère plus. Il sait que les certitudes ne durent que le temps de les remplacer par de nouvelles certitudes un peu moins fausses que les anciennes mais toujours pas entièrement vraies. Pourtant le progrès existe, et les scientifiques en sont les seuls détenteurs ! De Pythagore jusqu’aux équations différentielles, la pensée se parfait, se précise, se généralise et le nouveau englobe l’ancien sans le détruire, du moins sans détruire ce qu’il n’est pas nécessaire de détruire.

 Le sage est tout autre. Il peut avoir, mais il peut tout aussi bien ne pas avoir, une immense culture léguée par les anciens. Les adages, les savoirs populaires, le bon sens tiennent autant de place chez un sage que la plus savante des éruditions. Si le scientifique n’est guère tourné vers les autres, un sage s’adonne aux conseils à autrui. Le sage ne prétend pas savoir le pourquoi des savoirs, il sait que les causes sont trop complexes pour donner des effets descriptibles, il ne connaît pas les statistiques, les sondages, les enquêtes d’opinion. Par contre, il a regardé, il a vu, il a écouté et quand on lui parle d’un instant présent il se réfère à ce qu’il advint dans une situation comparable. Par ce biais il peut donner peut-être pas le meilleur mais au moins le moins mauvais des conseils. Le sage ne se demande si le conseil donné va lui servir personnellement, il n’est peut-être pas plus désintéressé que le premier des péquins, mais il est plus lucide.

 Ce n’est pas le cas des intellectuels. Les intellectuels considèrent que ce qu’ils ont entassé de connaissances doit leur servir comme une arme de séduction, de domination afin de former un clan, une communauté, une cour suffisamment pour qu’il puisse en vivre décemment. Un intellectuel est né intellectuel, il repousse avec dédain tout travail surtout manuel qui le souillerait et il ne fréquente le commun des mortels. L’intellectuel ne cherche pas la vérité, il la détient. Il n’a même pas à montrer de quelle vérité il s’agit, d’ailleurs le pourrait-il ? Il fourbit ses armes pour terrasser les concurrents censés qui ne pensent pas comme lui bien qu’ayant les mêmes entrées dans les mêmes médias dominants. Le débat contradictoire constitue l’essentiel des spectacles qu’anime l’intellectuel. L’insulte est de bon ton pour déstabiliser l’ennemi, pour affirmer sa prééminence. L’un prêche, l’autre prêche l’inverse. Pour gagner il faut la citation la plus rutilante, le méli-mélo le moins compréhensible, l’anecdote la plus offensante.

 Les intellectuels se construisent de monstrueux ennemis qu’ils vont pourfendre avec profit. On stigmatise évidemment en premier lieu la plèbe inculte, brutale, rustaude, grossière incapable de s’élever à leur hauteur de vue. Les affrontements se retrouvent eux sur les cimes : les mondialistes contre les souverainistes, les humanistes contre les trans-humanistes, les progressistes contre les réactionnaires… mais personne n’explique l’enjeu qui sous-tend tout le reste : « qui régnera et qui servira de main d’œuvre » !

 Sous le prétexte que la vérité n’existe pas, les prêches imposent une seule notion : il faut que chacun s’efforce de leur ressembler.Une seule élite est à même de conduire le monde ; elle est constituée des meilleurs, des plus dynamiques, des plus entreprenants. L'’homo œconomicus’ doit s’imposer. Les intellectuels prêchent la biodiversité et s’inquiètent de la santé des abeilles, pourtant tout est fait pour que le français se dissolve parmi les européens, les alsaciens parmi les lorrains, les lorrains parmi les messins, les messins parmi les habitants de Sainte Croix… en laissant soigneusement les démunis dans leurs banlieues. Les intellectuels offrent une théorie du ruissellement dans laquelle la morgue et le mépris vont comme il se doit de haut en bas.

 Et les intellectuels sont en charge de mettre des rubans de couleur à ce qu’on offre aux miséreux pour qu’ils acceptent leur sort.

 



35 réactions


  • Laconique Laconique 23 juillet 2020 11:52

    « The wise don’t tell everything they know, but the foolish talk too much and are ruined. » Proverbs 10, 14.

    « Those who know don’t talk. Those who talk don’t know. » Tao Te Ching, 56.



  • Clark Kent Séraphin Lampion 23 juillet 2020 11:54

    « Et les intellectuels sont en charge de mettre des rubans de couleur à ce qu’on offre aux miséreux pour qu’ils acceptent leur sort.  »

    Leurs titres servent de cautions à ceux que ça impressionne encore, c’est-à-dire les premiers de la classe qui ont des cols à manger de la tarte.

    C’est pour ça que toutes les citations à la con sont attribuées à Einstein ou à Lao-Tseu sans mentionner l’oeuvre d’où elles seraient tirées.

    Sinon, pour la plupart des gens normaux (i.e. comme moi, forcément), ça a ni plus ni moins de valeur qu’un étiquette mentionnant « vu à la télé » pour me faire acheter une poulet de Bresse plutôt qu’un poulet de LOué !


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 23 juillet 2020 12:53

      @Séraphin Lampion
      Méfiez-vous, les influenceurs ont une réelle influence.


    • Clark Kent Séraphin Lampion 23 juillet 2020 13:49

      @Jacques-Robert SIMON

      Comme Attali ou Kissinger ?
      Ce ne sont pas des conseillers, mais des passeurs, capables de traduire les injonctions boursières en programmes politiques.


    • amiaplacidus amiaplacidus 23 juillet 2020 16:02

      @Séraphin Lampion

      J’ai toujours trouvé particulièrement débile le « vu à la télé » faisant référence à une pub télévisée.

      Les « communicants » n’ont absolument pas le sens du ridicule.


  • Sozenz 23 juillet 2020 12:04

    quand vous arreterez de vouloir absolument faire le choix entre x ; y ou z au lieu de faire un ensemble et bien vous arriverez peut etre a un résultat Normal.

    penible de voir les personnes toujours tout séparer ; de ne pas croire qu un humain soit capable de rassembler plusieurs qualités en même temps .

    Cretins !


  • Sozenz 23 juillet 2020 12:08

    @a l auteur

    Al , je n avais pas vu que c etait encore vous ;

    bon , ben , voilà ; vous devez être un maniaque à tout vouloir mettre chaque chose dans une case .


  • Sozenz 23 juillet 2020 12:11

    à tout le temps *


  • binary 23 juillet 2020 12:15

    Si un scientifique est une personne qui a des connaissances dans un domaine particulier, un intellectuel celui qui ne comprends rien dans tous les domaines, qu est ce qu un sage ?


  • JC_Lavau JC_Lavau 23 juillet 2020 12:30

    Bouse après bouse, son mal de vivre projette, à tort et à travers.


  • McGurk McGurk 23 juillet 2020 14:40

    Je ne suis pas d’accord avec vous.

    Il y a toujours ceux qui dominent une institution/domaines de par leur visibilité, leur proximité avec le pouvoir (quel qu’il soit), et ceux trimant comme n’importe quel travailleur.

    Si nos institutions et services publics n’avaient pas été pervertis notamment en mettant aux commandes des personnes peu recommandables , nous aurions les référents nécessaires vers qui se tourner lorsque la situation l’exige.

    Il y a probablement des tas de « Pr. Raoult » qui pourraient s’exprimer, par exemple, sur le sujet des épidémies, mais qui ne le peuvent pas à cause d’un système contrôlant à la fois l’information et « le réel » (ce qui est et doit être).

    Cette épidémie a eu le mérite de mettre en lumière ce parti pris et cette corruption (surtout idéologique) au sein même de nos bases. De la perméabilité de la « vérité » et de sa futilité car ce n’était, au fond, pas la vérité elle-même qui était/est en cause mais bien son interprétation plus qu’abusive du pouvoir et des médias se saisissant de la moindre bribe d’information pour apeurer la population, la culpabiliser, l’enfermer chez elle, la faire payer (amendes, prison, lois répressives, masques et matériel).

    Remarquez aussi qu’il n’y a plus aucun débat public en France à part ceux organisés par les gouvernements ou adoubés par eux. Ceux qui ont une opinion dissidente doivent « passer une évaluation psychologique » ou on leur fait un procès.

    Tant que la liberté d’expression ne sera pas rétablie, que le droit à l’information juste (garanti par la constitution)/à la libre expression seront bafoués et réprimés, qu’il y aura collusion entre le pouvoir et les élites intellectuelles, la « vérité » n’existera pas.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 23 juillet 2020 16:41

      @McGurk
      Il est en effet possible de dégager des personnes recommandables mais elles devront rester loin des médias.


    • McGurk McGurk 23 juillet 2020 21:11

      @Jacques-Robert SIMON

      Tant que leur financement sera entre les mains de grandes firmes, les médias seront toxiques et ne produiront qu’une suite de lettres au lieu d’articles intelligents.

      Aucun d’entre eux ne voudra, journalistes vedettes en tête, entendre des voix dissonantes dans la trame quotidienne d’une réalité fictive remplie de mensonges, contre-vérités et idéologies mortifères.

      C’est également le cas pour la sphère politique qui devra, à terme, être privée des financements occultes et/ou trop importants.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 24 juillet 2020 07:32

      @McGurk
      Pourquoi pas mais le problème va se compliquer avec la généralisation du numérique.


    • McGurk McGurk 24 juillet 2020 14:33

      @Jacques-Robert SIMON

      Le problème-clé est la politique. Celui-ci réglé, avec les bases de la souveraineté et de la démocratie en mains, le reste semble plutôt « simple à établir ».

      Numérique ou pas, les financements sont traçables et ceux ne pouvant l’être peuvent largement être écartés. En cas de refus, c’est un non. Et la boucle est bouclée.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 25 juillet 2020 07:30

      @McGurk
      Le monde politique est devenu le monde du spectacle et je ne suis pas certain que les acteurs soient bons.


  • Pascal L 23 juillet 2020 15:22

    Bon, je suis plutôt St Germain (Châtel) que Ste Croix et j’ai un peu de mal à vous suivre dans cette catégorisation...

    Il est cette vrai que beaucoup de scientifiques n’ont de compétence que dans leur petit domaine de recherche et il existe aussi beaucoup de scientifiques qui sont animés par la recherche d’un profit balisé par les publications qui rapportent des points pour leur carrière.

    Il existe aussi, et j’en connais tout de même beaucoup qui sont d’une insatiable curiosité qui les fait passer avec un égal bonheur de la structure de la matière à la critique de Freud ou Nietzsche ou à l’analyse d’une sonate de Mozart ou une fugue de Bach. 

    Votre description du sage me fait irrésistiblement penser aux énarques : tout entier tournés vers le passé pour en déduire notre futur par une extrapolation linéaire. C’est là ou le scientifique curieux a un petit avantage. Sa curiosité lui fait entrevoir les signaux faibles qui vont faire que notre avenir ne peut se déduire du passé. Quel énarque a anticipé l’avènement de notre société de l’information et de la communication centrée sur Internet ? Lequel peut prévoir les changements de comportement qui vont encore en découler, car nous ne sommes qu’au début d’une énorme révolution de la diffusion de la connaissance.

    En principe, les deux catégories ci-dessus sont aussi des intellectuels. Il font plus travailler leur cerveau que leurs mains. Ceux que vous me décrivez comme intellectuels ne sont que les experts auto-proclamés qui ne prendront jamais la peine de se confronter à la réalité. Le déni est un des moteurs les plus puissants de ceux qui prétendent savoir... Ils sont dans le déni d’eux-même et plus motivés par la cupidité que par la vérité. Ils sont aussi champions pour verrouiller le chemin qu’ils ont empruntés. Pourquoi par exemple en économie, ne faire intervenir sur les média que les économistes cooptés du club des économistes et non les autres ? Ainsi une seule pensée économique est diffusée dans les médias et cette pensée n’a rien à voir avec la réalité...


  • Ecométa Ecométa 23 juillet 2020 17:37

    Et les épistémologues vous en faites quoi ? Vous les placez où ?


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 23 juillet 2020 20:14

      @Ecométa
      Ce n’est pas ainsi que je prends les choses. Les scientifiques, les sages, les intellectuels sont les vecteurs de base d’un espace, pas de tous les espaces.


  • Iris Iris 23 juillet 2020 21:35

    Et un scientifique qui se prend pour une sage, il est dans votre espace ? 


  • Attila Attila 23 juillet 2020 23:42

    « Que cherche-t-on auprès d’une docte personne ? Si c’est la vérité, il faut s’adresser aux scientifiques »

    Les scientifiques cherchent plus modestement à décrire la réalité, c’est-à-dire les choses telles qu’elles existent.. Vous ne verrez aucun scientifique sérieux vous dire qu’il détient la vérité.

    La Vérité est plutôt une notion philosophique.

    .


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