Les scientifiques, les sages et les intellectuels
Que cherche-t-on auprès d’une docte personne ? Si c’est la vérité, il faut s’adresser aux scientifiques, s’il s’agit de trouver un sens à la vie, il faut s’approcher d’un sage. En croyant les intellectuels, vous n’obtiendrez ni la vérité, ni la sagesse.
Les savoirs peuvent s’incarner sous la forme d’intellectuels, de sages ou de scientifiques. Mais ils ne représentent pas divers aspects d’une même recherche de connaissances, tout les oppose !
Un scientifique navigue dans l’imaginaire, dans un réel bien plus grand que le réel du quotidien, il est en quête de ce qui n’existe pas encore et peut-être qui n’existera jamais, il prend le risque de poursuivre un rêve. La Raison est nécessaire mais de loin pas suffisante pour mettre en cage les chimères qu’il ne fait qu’entrevoir. Les ‘autres’, et même la plupart de ses collègues, représentent souvent un poids qui lui semble ralentir sa quête. Le scientifique ne travaille pas pour ébahir les autres, il se grise lui-même d’à peu près, d’essais, d’erreurs en essayant inlassablement d’arriver à ses fins ou même, plus souvent encore, à une fin qu’il ne discernait même pas et qu’il a aperçu par hasard mais qu’il a su voir. Une infime proportion des scientifiques parvient à trouver, des multitudes de chercheurs se contenteront de chercher. Le scientifique vit dans un monde qui n’est pas vraiment le monde de tous les jours. Ses amis, ses connaissances sont puisés parmi d’autres scientifiques qui ressemblent aussi peu que lui aux gens que l’on peut côtoyer dans les rues, les bars, les banques, les sièges sociaux. Plongé sans précautions dans le monde de tous, dont il ne possède que sommairement les codes, le scientifique risque de sombrer ou de s’ennuyer. L’intérêt, l’envie, les malfaçons, la déshonnêteté, la malpropreté morale ne lui sont pas inconnues mais elles restent des façons d’agir lointaines. Il préfère rester pelotonné parmi les équations, les phtalocyanines ou les protéines. Mais ses émois sont strictement encadrés par le reste de la communauté scientifique. Ses pairs, ses collègues, tous munis d’un savoir équivalent, lui montrent une amicale mais redoutable hostilité en approuvant ou en désapprouvant son travail. Il n’est pas facile de tricher quant on fait de la Science, à terme c’est même impossible, les sachants veillent. Le ‘grand public’ s’immisce quelquefois dans son monde à l’occasion d’un prix prestigieux ou d’une invention particulièrement remarquable, il en résulte presque toujours un désastre. Le scientifique donne son avis sur tout, et il dit en conséquence n’importe quoi. Les gens ‘ordinaires’ (non-scientifiques) sont à la recherche de certitudes alors que le scientifique qui l’est resté sait qu’il n’en existe pas. Il a peut-être quelques assurances d’être dans le vrai dans un micro-domaine pour lequel il a consacré toute sa vie, guère plus. Il sait que les certitudes ne durent que le temps de les remplacer par de nouvelles certitudes un peu moins fausses que les anciennes mais toujours pas entièrement vraies. Pourtant le progrès existe, et les scientifiques en sont les seuls détenteurs ! De Pythagore jusqu’aux équations différentielles, la pensée se parfait, se précise, se généralise et le nouveau englobe l’ancien sans le détruire, du moins sans détruire ce qu’il n’est pas nécessaire de détruire.
Le sage est tout autre. Il peut avoir, mais il peut tout aussi bien ne pas avoir, une immense culture léguée par les anciens. Les adages, les savoirs populaires, le bon sens tiennent autant de place chez un sage que la plus savante des éruditions. Si le scientifique n’est guère tourné vers les autres, un sage s’adonne aux conseils à autrui. Le sage ne prétend pas savoir le pourquoi des savoirs, il sait que les causes sont trop complexes pour donner des effets descriptibles, il ne connaît pas les statistiques, les sondages, les enquêtes d’opinion. Par contre, il a regardé, il a vu, il a écouté et quand on lui parle d’un instant présent il se réfère à ce qu’il advint dans une situation comparable. Par ce biais il peut donner peut-être pas le meilleur mais au moins le moins mauvais des conseils. Le sage ne se demande si le conseil donné va lui servir personnellement, il n’est peut-être pas plus désintéressé que le premier des péquins, mais il est plus lucide.
Ce n’est pas le cas des intellectuels. Les intellectuels considèrent que ce qu’ils ont entassé de connaissances doit leur servir comme une arme de séduction, de domination afin de former un clan, une communauté, une cour suffisamment pour qu’il puisse en vivre décemment. Un intellectuel est né intellectuel, il repousse avec dédain tout travail surtout manuel qui le souillerait et il ne fréquente le commun des mortels. L’intellectuel ne cherche pas la vérité, il la détient. Il n’a même pas à montrer de quelle vérité il s’agit, d’ailleurs le pourrait-il ? Il fourbit ses armes pour terrasser les concurrents censés qui ne pensent pas comme lui bien qu’ayant les mêmes entrées dans les mêmes médias dominants. Le débat contradictoire constitue l’essentiel des spectacles qu’anime l’intellectuel. L’insulte est de bon ton pour déstabiliser l’ennemi, pour affirmer sa prééminence. L’un prêche, l’autre prêche l’inverse. Pour gagner il faut la citation la plus rutilante, le méli-mélo le moins compréhensible, l’anecdote la plus offensante.
Les intellectuels se construisent de monstrueux ennemis qu’ils vont pourfendre avec profit. On stigmatise évidemment en premier lieu la plèbe inculte, brutale, rustaude, grossière incapable de s’élever à leur hauteur de vue. Les affrontements se retrouvent eux sur les cimes : les mondialistes contre les souverainistes, les humanistes contre les trans-humanistes, les progressistes contre les réactionnaires… mais personne n’explique l’enjeu qui sous-tend tout le reste : « qui régnera et qui servira de main d’œuvre » !
Sous le prétexte que la vérité n’existe pas, les prêches imposent une seule notion : il faut que chacun s’efforce de leur ressembler.Une seule élite est à même de conduire le monde ; elle est constituée des meilleurs, des plus dynamiques, des plus entreprenants. L'’homo œconomicus’ doit s’imposer. Les intellectuels prêchent la biodiversité et s’inquiètent de la santé des abeilles, pourtant tout est fait pour que le français se dissolve parmi les européens, les alsaciens parmi les lorrains, les lorrains parmi les messins, les messins parmi les habitants de Sainte Croix… en laissant soigneusement les démunis dans leurs banlieues. Les intellectuels offrent une théorie du ruissellement dans laquelle la morgue et le mépris vont comme il se doit de haut en bas.
Et les intellectuels sont en charge de mettre des rubans de couleur à ce qu’on offre aux miséreux pour qu’ils acceptent leur sort.