Mahomet : Au sujet du « Seigneur des tribus » de Jacqueline Chabbi
Pour répondre à son besoin de connaissance spécifique sur l’islam, y compris en islamologie, un conseil scientifique de quatre membres a été récemment constitué au sein du ministère de l'intérieur. Les chercheurs désireux d’y participer - titulaire d’une thèse de doctorat dans le domaine des sciences humaines et sociales, affilié à un laboratoire de recherche reconnu, et bénéficiant d’une réelle compétence dans les champs et thématiques impliquées - ont jusqu’au 30 mai pour se manifester (La Croix du 10 mars 2016).
Simple citoyen et ne remplissant pas ces conditions, je me limiterai donc, par la voix d'Agoravox, à attirer l'attention du dit conseil, en commençant par le début : La Mecque.
Suivant les thèses de Patricia Corne et du père Édouard-Marie Gallez, il est impossible que l'islam soit né dans un lieu aussi déshérité. Suivant Jacqueline Chabbi, c'est bien à la Mecque que l'islam est né.
Raisonnant en linguiste, Jacqueline Chabbi explique que le Macoraba cité par Ptolémée serait bien le premier nom de La Mecque : Makka, Bakka, lieu de réunion ou de fédération, lieu de culte. Mais, dans ce fond de plusieurs vallées, important réceptable des eaux de pluie, il ne faut pas s'imaginer, à l'origine, un temple classique, lequel aurait été régulièrement submergé, mais un espace sacré "en creux" où la présence d'un puits offrait aux hommes et aux bêtes l'eau que le désert environnant ne leur donnait qu'avec parcimonie.
Confrontées aux mêmes difficultés environnementales, les tribus nomades auraient trouvé à la Mecque un point de rassemblement naturel où se serait édifié un type de société singulier prônant un consensus politique pour un "vivre ensemble" et un pragmatisme dans les croyances, comme par exemple de demander au ciel la pluie qui se fait attendre ; le souci étant beaucoup plus de survivre dans un désert hostile plutôt que de fantasmer sur un paradis biblique à venir. Bref, une sorte de pensée post-sauvage dans l'esprit des écrits du professeur Lévi-Strauss.
À l'origine, la Ka'ba pourrait n'avoir été qu'un soubassement cubique à ciel ouvert de quatre murs bas orientés suivant les points cardinaux, autour desquels on peut supposer que se faisaient déjà des cérémonies circumambulatoires, mimant la course du soleil. Des bétyles y étaient honorés, pierres volcaniques ou tombées du ciel comme la "pierre noire", possibles idoles dont le Mahomet judaïsé condamnera plus tard la prolifération. Peut-être y avait-il aussi des pierres dressées pour délimiter des espaces réservés, d'abord aux tentes des différentes tribus, puis aux premières maisons sur les parties non inondables.
La prise de possession du lieu saint par la tribu des Quraysh, celle d'où sera issu Mahomet, aurait eu lieu vers le milieu du V ème siècle.
Qu'était Mahomet pour Jacqueline Chabbi ?
Madame Chabbi fait l'hypothèse qu'avant de prendre possession de La Mecque, les Quraysh nomadisaient plus à l'est... que c'était une tribu caravanière, les oasis étant habités par les Bédouins. Mahomet ne serait qu'un seigneur de cette tribu, vivant dans les coutumes précitées, croyant en un "Seigneur de la Demeure" comme le rappelle une sourate apparemment ancienne (CVI) ; la mention d'Abraham et d'Allah n'apparaissant que dans les sourates plus récentes. L'ange Gabriel n'apparaissant également que dans les sourates de Médine. Bref, que les textes musulmans primitifs, d'abord oraux, n'auraient été mis par écrit que tardivement, après la mort de Mahomet, en les adaptant pour faire d'un simple seigneur du désert, un prophète s'inscrivant dans la suite des prophètes juifs de la Bible.
Une pensée qui naîtrait du sol comme dans une génération spontanée, n'est-ce pas un peu trop simple ?
Bien avant les Quraysh, les Égyptiens tournaient déjà autour de leurs pyramides en portant une barque sur leurs épaules. Dans cette barque, une pierre, le Naos, et dans cette pierre recouverte d'un voile, l'esprit caché de la divinité... une divinité que les Anciens voyaient pourtant dans le ciel.
Par ailleurs, Ismaël, le grand ancêtre, n'était-il pas, à la fois, fils du sémite Abraham et de l'égyptienne Agar ? N'a-t-il pas eu une importante progéniture comme l'Éternel l'avait promis (Gn 21,18) ? Ces descendants, qui s'installèrent dans le désert, n'étaient-ils pas d'habiles tireurs à l'arc (Gn 21, 20) ? Ce qui suppose qu'ils s'y sont implantés par la force des armes. N'avaient-ils pas établi leur territoire et leurs campements fixes de nomades face à l'Égypte qui se trouve de l'autre côté de la mer Rouge (Gn 25, 18) ? Entre les Byzantins au nord, le Yémen au sud et la Perse à l'est, n'est-ce pas qu'en Arabie qu'ils pouvaient fructifier ? Dans ces conditions, rien d'étonnant qu'après l'implantation de cette descendance en Arabie, la pensée d'Abraham y ressuscite. Au XII ème siècle, l'historien musulman turc Abul Feda confirme cette implantation en nous donnant la généalogie du Prophète depuis Adam, Abraham et Ismaël. Comme je l'ai expliqué dans mes ouvrages et dans mes articles, il est bien évident qu'il ne s'agit pas d'une généalogie par le sang mais par l'esprit ; un esprit qu'Abraham a mis dans les conseils qui lui ont succédé. De même que l'histoire d'un pays se raconte par une succession de règnes.
L'oubli de Mme Chabbi : le Mahomet caravanier.
Expliquer la montée en puissance et la marche vers le pouvoir d'un groupe d'associés sous la forme d'un récit d'enfance, mais c'est absolument génial ! La nourrice Halimâh est, de toute évidence, une modeste population semi-nomade qui ne pouvait survivre dans le désert et faire du commerce que si elle "adoptait" pour fructifier et comme guide un groupe de sept jeunes hommes originaires de la Mecque, un conseil parmi d'autres mais qui s'est révélé être le meilleur. La lumière qui sort du foetus du sein de sa mère/population Aminah, la langue de feu sur le front de son père/conseil Abdallah, l'ange Gabriel annonciateur, il n'y a aucun doute, nous sommes bien dans la continuation du style évangélique, un récit très imagé que les initiés comprenaient parfaitement dans son sens caché mais qui, à défaut d'être compris, pouvait également entrainer l'adhésion de la population moins instruite mais sensible au merveilleux.
En allant chercher un nourrisson à la Mecque, la population Halimâh passait en réalité alliance et contrat avec un groupe de caravaniers qui "venait de naître" ; elle le choisissait pour maître pour une durée de deux ans... un "Rab" qui, après deux ans de formation sur le terrain (1), s'est révélé être un prétendant sérieux au "titulum" de maître de la Mecque. Un "Seigneur des tribus", oui, mais pas seulement.
Après une période de léthargie, le réveil d'une pensée essénienne ?
Que Mahomet ait été arabe, cela ne fait aucun doute, mais n'aurait-il pas été influencé par une pensée de type essénien ? Ne peut-on pas pas faire un rapprochement linguistique entre Hashim dont il était issu et les Hassidim, précurseurs des Esséniens ?
L’esprit qui vient d’en haut, la certitude de détenir la vérité, la guerre au nom de Dieu, le martyre qui ouvre les portes du paradis, le drapeau qu’on remet au départ des expéditions, les oriflammes avec leurs devises guerrières, la rigueur religieuse, l’intervention des anges dans les batailles, les détachements de mille hommes, tout cela se retrouve dans l’histoire du Mahomet de Médine, dans la droite ligne de ce que les "Saints de Dieu" des documents de Qumrân avaient projeté mais qu’ils n’avaient pu réaliser. Irréfutable précision, les noms des quatre archanges, Michel, Gabriel, Sariel et Raphaël qui, dans le plan de mobilisation de l’armée essénienne (Règlement de la guerre), désignent des tours humaines de trois cents combattants, se retrouvent dans l’armée musulmane pour désigner, suivant mon interprétation, les éléments réservés qu’on lance dans la bataille, en dernier recours, pour emporter la décision... et la victoire... victoire des anges. Ces troupes d’élite, ce seront celles-là qui auront le grand honneur d’accompagner le cortège funèbre du Prophète... Gabriel, Michel, Izrafil, Azraël.
Madame Chabbi a raison de repousser les biographies du Prophète, les Sîra, à une date tardive, mais elle n'a pas compris que celle d'ibn Hicham s'inspirait d'un texte d'époque authentique qui nous est parvenu grâce à la compilation du chroniqueur persan Tabari. (2)
Et cela met à mal tout son raisonnement. La découverte récente de deux feuillets du Coran - sourates 18 à 20 - contemporains du Prophète le confirme. Il a bien été demandé, en effet, au Mahomet de la Mecque de prêcher les textes bibliques, au besoin en les corrigeant, par exemple la sourate 19 concernant Marie. Preuve également que les transmetteurs du texte sacré se sont attachés à conserver la parole dans son authenticité jusqu'à ce jour, même si l'ordre des sourates a été modifié. Preuve également que ces textes étaient écrits au départ, même si la prédication en était orale.
Bien sûr que les Arabes du désert ne trimbalaient pas à leur suite une armoire des écritures comme le peuple d'israël le faisait dans l'arche d'alliance, mais il suffisait qu'un monastère leur rappelle leur illustre origine et le destin abrahmique dont ils avaient été injustement privé par Isaac alors qu'Ismaël était né avant lui.
La Sîra de Tabari est d'une clarté aveuglante et je ne comprends pas qu'on se refuse à la prendre en considération. Oui, c'est bien l'ange Gabriel qui transmettait au Mahomet de la Mecque les sourates qu'il devait prêcher. Gabriel, c'est-à-dire le monastère de Bahira, aux portes de l'illustre Bosra. Ce monastère détenait toutes les archives nécessaires pour relancer le mouvement. On peut voir encore sur ses murs en ruines quelques fresques représentant Gabriel dans l'annonce à Marie. Le moine de Bahira - les moines de Bahira - c'est lui qui désigna Mahomet pour être le nouveau prophète.
Qui était Mahomet ?
Mahomet s'inscrit dans une dynastie, une dynastie de désignés ; désignés par qui ? par l'histoire, plus précisément par le Dieu qui fait l'histoire... en vue d'un destin, un destin décidé par Dieu. Noé qui vécut 350 ans, Abraham 175 ans, Ismaël 137 ans, Moïse 120 ans, Abd al Muthalib, grand père de Mahomet, 110 ans, ne pouvaient pas être des individus mais des noms de conseils, dans une généalogie politique et une filiation par l'esprit. Deux siècles avant J.C., les esséniens des documents de Qumrân étaient toujours dirigés, non par un individu, mais par un conseil dit de Dieu (Rouleau de la Règle, VI, 14 et 20).
Les rédacteurs du Coran nous auraient-ils menti sur l'identité du Prophète ? Absolument pas ! Cela dépend du lecteur. Ou bien, il comprend l'énigme que lui pose la sourate 18, verset 24, ou bien il ne la comprend pas, ou bien, il ne veut pas la comprendre.(3)
Mort du Prophète : un long poème pour faire pleurer dans les chaumières. (4)
Le lecteur pourra se reférer au livre qui fait actuellement le buzz dans les médias : Les Derniers Jours de Muhammad, Albin Michel, 365 pages.
Renvois
1. L'allégorie remonte à l'époque de l'exil du peuple hébreu lorsque le pharaon lui interdit l'accés à la prêtrise en ordonnant de jeter dans le Nil les futurs candidats assimilés à des enfants et en donnant des instructions aux "accoucheuses". Dans les évangiles, c'est le roi Hérode qui est accusé d'avoir fait massacrer tous les enfants de moins de deux ans. Il s'agit, en réalité, là aussi, de jeunes gens candidats à la prêtrise. Flavius Josèphe relate l'affaire. Sur l'instigation des docteurs de la Loi, ces jeunes gens avaient décroché l'aigle d'or qu'Hérode avait fait placer au fronton du temple. Quarante d'entre eux furent exécutés. Rappelons également qu'avant d'être admis dans la grande assemblée de Dieu des esséniens, les candidats devaient suivre une formation et une mise à l'épreuve de deux ans.
2.http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/penser-l-islam-monsieur-michel-179040
3.http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/nouvelle-preuve-de-l-existence-d-170118
4.http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/mahomet-vie-et-mort-d-un-prophete-153425
Emile Mourey, 24 mai 2016, auteur de 340 articles Agoravox, de sept ouvrages publiés, sur la Gaule, l'ancien testament, les églises romanes, les évangiles, ainsi que d'un huitième ouvrage intitulé "Le Prophète au visage voilé" refusé par les maisons d'édition. www.bibracte.com.