samedi 11 janvier - par Pr ELY Mustapha

Mauritanie. Budget du Ministère de la Défense : transparence et risques de détournement

3,5 milliards du budget du Ministère de la Défense sont alloués à des postes présentant des risques potentiels en termes de transparence et de contrôle.

Cet article analyse les vulnérabilités du budget 2025 du Ministère de la Défense de Mauritanie, soulignant des risques de manque de transparence et de détournement. Il met en avant des postes budgétaires problématiques, comme les affectations spéciales et les acquisitions de matériel militaire, dont les montants sont significatifs mais peu détaillés. Les transferts vers des entreprises privées et les dépenses somptuaires sont également mentionnés comme zones de préoccupation. Pour renforcer la transparence et le contrôle essentiel des ressources, nous recommandons la mise en place de mécanismes de supervision indépendants, l'utilisation de technologies de traçabilité, ainsi que des audits réguliers par des experts externes. La digitalisation des processus financiers et la formation continue du personnel sont également soulignées comme mesures clés pour garantir une gestion efficace des fonds publics.

3,5 milliards du budget du Ministère de la Défense sont alloués à des postes présentant des risques potentiels en termes de transparence et de contrôle

Sur la base d'une analyse approfondie du budget du Ministère de la Défense, plusieurs postes budgétaires présentent des caractéristiques qui méritent une attention particulière en termes de transparence et de contrôle de gestion.

Les Fonds Spéciaux

Les Fonds Spéciaux constituent une première zone de préoccupation majeure. Dans le chapitre 01 "Cabinet", sous le sous-chapitre 21 "Missions spéciales", un montant de 5 385 717 est alloué aux fonds spéciaux (S.Parag 02). Cette même catégorie apparaît également dans le sous-chapitre 23 "Missions diverses" pour un montant de 6 178 676. Ces allocations, totalisant plus de 11,5 millions, ne font l'objet d'aucune précision quant à leur utilisation spécifique, ce qui rend leur contrôle particulièrement complexe. Les acquisitions de matériel militaire

Les acquisitions de matériel militaire représentent un autre domaine sensible. Le sous-chapitre 74 "Acquisition Matériel" dispose d'une enveloppe considérable de 1 479 825 260 sous la simple mention "Autres matériels militaires" (S.Parag 10). Cette classification générique pour un montant aussi important soulève des questions légitimes sur la traçabilité des dépenses. De même, le projet de "Construction navale" (S/Chapitre 25) bénéficie d'un budget de 900 000 000 sans détail sur la nature précise des constructions prévues.

Les acquisition d’équipements spécifiques

Le poste "Acquisition des équipements spécifiques" (S/Chapitre 31) mérite également une attention particulière avec ses 352 500 000 classés sous "Diverses immobilisations de mobilier" (S.Parag 02). Cette classification vague pour des équipements supposément spécifiques pose question quant à la nature réelle des acquisitions prévues.

Les transferts financiers

Les transferts financiers vers des entités externes présentent aussi des risques significatifs. Les "Transferts directs courants aux entreprises privées" totalisent 634 926 692 (Article 2, paragraphe 2, S.Parag 99 "Entreprises des autres secteurs économiques"). L'absence de précision sur les bénéficiaires et l'usage de ces fonds constitue une zone de vulnérabilité importante.

Lignes budgétaires imprécises

La multiplication des lignes budgétaires intitulées "Autres achats de biens non spécifiés dans les autres paragraphes" est particulièrement préoccupante. Ces allocations apparaissent de manière récurrente dans différents chapitres et sous-chapitres, avec des montants significatifs. Par exemple, dans le chapitre 01, sous-chapitre 02, ce poste représente 5 408 868, et des montants similaires se retrouvent dans d'autres sections du budget.

Les dépenses Somptuaires

Les dépenses de représentation et de réception méritent également une surveillance accrue. Le sous-chapitre 73 "Fonctionnement Cabinet" prévoit 807 000 pour les "Frais de réception, de fêtes et cérémonies" (S.Parag 16), une catégorie traditionnellement difficile à contrôler en termes de justification des dépenses.

Les subventions

Les subventions aux établissements publics constituent un autre point d'attention. Les "Subventions pour charges de service public" apparaissent à plusieurs reprises dans le budget, notamment dans le cas du Groupement Polytechnique (242 645 362) et de l'Académie navale (25 064 000), sans détail sur leur utilisation précise.

Ainsi près de 3,5 milliards du budget du Ministère de la Défense sont alloués à des postes présentant des risques potentiels en termes de transparence et de contrôle. Cette situation nécessiterait la mise en place de mécanismes de contrôle renforcés, une documentation plus précise des dépenses prévues, et potentiellement une restructuration de la nomenclature budgétaire pour permettre un suivi plus rigoureux de l'utilisation des fonds publics.

 

Recommandations pour le renforcement du contrôle des ressources financières du Ministère de la Défense

Face aux vulnérabilités identifiées dans le budget du Ministère de la Défense, il est impératif de mettre en place un système robuste de contrôle et de prévention des détournements. Cette approche doit être globale et structurée pour assurer une gestion transparente et efficace des ressources publiques.

La gestion des fonds spéciaux, qui représentent plus de 11,5 millions, nécessite une attention particulière. Un comité de supervision indépendant, composé de magistrats et d'experts financiers, doit être institué pour assurer un contrôle rigoureux de ces ressources. Chaque dépense doit être documentée avec des justificatifs détaillés, même pour les opérations sensibles. Des rapports trimestriels d'utilisation des fonds, validés à plusieurs niveaux hiérarchiques, permettront un suivi régulier. L'implémentation d'un système de traçabilité numérique sécurisé pour chaque transaction, combinée à des audits surprise par des contrôleurs externes habilités, renforcera la transparence de ces opérations.

Les acquisitions majeures de matériel militaire, totalisant plus de 1,4 milliard, exigent un dispositif de contrôle particulièrement sophistiqué. Une commission spécialisée doit être créée pour chaque acquisition importante, accompagnée d'un système de benchmarking international des prix pour garantir la pertinence des coûts. La documentation photographique et la numérotation systématique de tous les équipements reçus, associées à des contrôles physiques réguliers des inventaires par des équipes mixtes, permettront un suivi précis du matériel. La vérification systématique des liens entre fournisseurs et personnel décisionnaire préviendra les conflits d'intérêts.

Les grands projets de construction, comme le programme naval de 900 millions, doivent être soumis à un contrôle particulièrement strict. Les paiements doivent être fractionnés et liés à des jalons vérifiables, avec une supervision technique assurée par des experts indépendants. Le contrôle qualité systématique des matériaux utilisés et la documentation photographique de l'avancement des travaux garantiront la conformité des réalisations. Des audits techniques inopinés pendant la réalisation renforceront ce dispositif.

La gestion des transferts et subventions, notamment les 634 millions destinés aux entreprises, nécessite un encadrement rigoureux. Un registre détaillé des bénéficiaires avec vérification préalable doit être établi, accompagné d'indicateurs de performance mesurables. L'obligation de reporting mensuel sur l'utilisation des fonds et les vérifications croisées des prestations réalisées assureront un suivi efficace. Le contrôle des liens d'intérêts potentiels préviendra les attributions frauduleuses.

La digitalisation des processus constitue un pilier essentiel de ce dispositif de contrôle. La mise en place d'un système intégré de gestion financière, utilisant la technologie blockchain pour la traçabilité des transactions, permettra un suivi en temps réel des opérations. La numérisation systématique des documents justificatifs et la création d'une base de données centralisée des fournisseurs faciliteront les contrôles. Un système d'alerte automatique pour les opérations inhabituelles complétera ce dispositif digital.

Le renforcement du contrôle externe est également crucial. Des audits réguliers par des cabinets internationaux, combinés à des inspections surprises de la Cour des Comptes, assureront une surveillance indépendante. L'évaluation périodique par des experts militaires étrangers et une supervision parlementaire renforcée garantiront une transparence accrue. La publication régulière de rapports de conformité permettra un suivi public de la gestion des ressources.

Enfin, la formation et la sensibilisation du personnel constituent des éléments clés de ce dispositif. Des programmes de formation continue sur la gestion éthique et des séminaires réguliers sur les bonnes pratiques développeront une culture de l'intégrité. Le partage d'expériences avec d'autres institutions militaires et la mise à jour régulière des procédures de contrôle maintiendront l'efficacité du système.

L'ensemble de ces mesures doit être soutenu par un régime de sanctions dissuasives et un système de récompense pour les gestionnaires exemplaires. Cette approche équilibrée, combinant contrôle strict et incitation positive, permettra d'assurer une gestion transparente et efficace des ressources du Ministère de la Défense.

 

Pr ELY Mustapha




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