vendredi 16 juin 2017 - par jean pascal nobres

Mille et une Histoires de Croquemitaine

Le croquemitaine est un monstre imaginaire, fantastique et effrayant de certains contes de fées, que l'on évoque pour faire peur aux enfants et dont on les menace pour s'en faire obéir.

Des personnes réelles et vivantes endossent, volontairement ou non, la personnalité du croquemitaine pour menacer les enfants. À cet égard, le croquemitaine doit être supposé réel pour être efficace…

- CONTES ET LEGENDES D’AUTREFOIS -
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Mille et une Histoires de Croquemitaine
Le croquemitaine est un monstre imaginaire, fantastique et effrayant de certains contes de fées, que l'on évoque pour faire peur aux enfants et dont on les menace pour s'en faire obéir.
Des personnes réelles et vivantes endossent, volontairement ou non, la personnalité du croquemitaine pour menacer les enfants. À cet égard, le croquemitaine doit être supposé réel pour être efficace…
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Il était une fois, en des temps reculés, dans un lointain royaume…
Le souverain François II qui n’avait pas d’héritier, arrivait au crépuscule de sa vie. Conscient qu’il n’avait plus la force de gouverner, il se mit en quête d’un successeur.
Mais, il avait tant fait pour contenter ses plus proches et plus fidèles sujets, pour constituer la cour la plus enviée de bien des suzerains, qu’il ne désirait pas que le trône échoit entre de mauvaise mains.
Un jour, sentant sa fin proche il convoqua le haut conseil.
Ce dernier était composé de riches marchands, de puissants usuriers et de princes de hauts rangs dont les grands-pères des grands-pères siégeaient déjà aux temps anciens.
« Je vais devoir annoncer au peuple ma volonté d’abdiquer ! Enonçât-il en toussotant.
Que le conseil des pairs se réunisse ! »
Comme il en était l’usage, toute la noblesse de sang pouvait prétendre au trône, du plus modeste noblaillon au plus grand prince du royaume.
Outre le fait d’apporter ses titres, chaque prétendant devait inscrire son ambition auprès des baillis de sa contrée, ainsi que 500 pièces d’or collectées sur ses terres comme gage de reconnaissance populaire et de dévotion à la couronne.
Par ailleurs, pour la stabilité et la prospérité du royaume, le futur monarque se devait d’être aimé et d’avoir le soutient de son peuple, tel qu’il l’a été instauré par la loi des anciens et clairement défini dans « La Lex Concordia »
« E si cuncorde et pax del pais li tiens,
Qu'amor ferme seit establie entre vous dous sans tricherie.
Li serf à son segnor amer et devotement que se faces.
Li sieurie tant com un pere à ses enfants, loiauté, justice et protection que se faces.
L'uns d'els à l'autre otrié e promis. Nes poet guarder, que mal ne l’i ateignet. »
Ainsi, une année durant, une gigantesque consultation populaire s’organisa à travers tout le pays.
Des forums publics se constituaient afin que l’on puisse entendre, réfléchir et débattre.
Les cahiers de doléances étaient à disposition chez les baillis et échevins des alentours, afin que soient consignés les réclamations et les voeux à faire valoir auprès du conseil des pairs.
Cependant, il était inconcevable pour le haut conseil de laisser les clés du domaine royal à je ne sais quel petit baron, simple hobereau ou autre chevalier errant.
D’autant que ces gens là tenaient toujours à coeur de respecter les anciennes traditions, et de défendre les valeurs définies par le code de la chevalerie :
Tu défendras tous les faibles
Tu aimeras le pays où tu es né
Tu ne fuiras jamais devant l'ennemi
Tu ne mentiras jamais et tu seras fidèle à ta parole
Tu seras libéral et généreux
Tu seras toujours le champion du droit et du bien contre l'injustice et le mal
« Ah !!! Mais quelle bouffonnerie que cette fable là ! »
Il y a bien longtemps que toutes ces balivernes avaient pris la poussière et que nul n’en faisait plus cas à la cour, même si le futur monarque se devait de jouer cette farce devant la gent, et d’y prêter serment lors de la solennelle cérémonie d’intronisation.
Les petites gens y étaient sensibles ; cela devait les rassurer.
Depuis un certain temps déjà, l’exaspération couvait chez les sans dents.
La taille et la gabelle augmentaient, les ventres se creusaient.
L’hostilité de la roture envers l’octroie faisait place à la rébellion, la rancoeur à la colère, le doute à la contestation…
Ce n’était pourtant pas faute d’avoir pris toutes les mesures qui s’imposaient :
Soupe populaire, troubadours et ménestrels sur toutes les places de marchés et lieux de foires, jeux et tournois de toutes sortes…


Aucun effort n’avait été épargné, mais rien n’y faisait pour autant.
Le haut conseil s’inquiétait ; moult baronnie se tenait proche du peuple, et prompte à la manoeuvre pour s’en assurer le soutien.
Lui, mieux que quiconque connaissait l’étendue du danger qui menaçait sa suprématie.
Les trames ourdies par les frondeurs du nord ; farouches opposants à la réforme sur le labeur et ennemis jurés des guildes du commerce, dont ils accusaient les talentueuses délégations d’influencer les décrets de la chambre des robes, profitant de l’atonie des princes et de l’ignorance des peuples.
Mais pire encore, l’ascension grandissante des ligues hostiles à l’union des royaumes, proclamant avec force leur ferme intention d’abolir la charte des comptoirs d’escompte, qui s’étaient arrogées le droit de battre monnaie aux dépens du trésor royal.
Il y avait péril en la demeure ; le danger était bien réel, celui d’assister à la naissance d’une alliance de tous les conjurés.
Mais jamais, oh non jamais, le tout puissant comité des forges ; le bras armé du haut conseil, l’état dans l’état comme on le murmurait avec effroi dans les antichambres du palais, jamais ne saurait tolérer qu’une telle chose puisse se produire un jour.
« Cette alliance sera écrasée dans l’oeuf, nous en faisons le serment ! C’est la volonté de Dieu !!! C’est la volonté de Dieu !!! » Beuglait-on à tue-tête
Dans les cénacles du pouvoir il y a toujours eu de la révolte à s’imaginer que l’on puisse se révolter.
Le branle-bas de combat claironnait dans toutes les officines.
A toutes fins utiles, les hauts dignitaires dressaient la cartographie des sujets du royaume :

- Premièrement, les nantis de l’hyper classe ; un petit groupe de personnes qui disposaient de tous les moyens. Propriétaires terriens, riches marchands et hauts magistrats faisant preuve d’un individualisme exacerbé.
Ceux là étaient acquis.

- Deuxièmement, les nomades de la misère au bas de l’échelle ; serfs, vilains et besogneux itinérants, principalement issus de la conquête des royaumes barbares, subissant les aléas de l’ouvrage, sans cesse obligés de se déplacer pour trouver sa pitance.
Ceux là n’avaient aucune espèce d’importance.

- Troisièmement, tout le reste ; une classe moyenne se réduisant comme peau de chagrin au profit des deux autres, vivant dans l’espérance factice de rejoindre la première, mais surtout dans la peur de basculer dans l’enfer des pauvres hères.
Cette classe intermédiaire vivait sous perfusion de rêves d’un destin illusoire, de distractions sous toutes leurs formes.
Jeux, fêtes et religions devenaient absolument vitaux pour maintenir l’ordre social.
La réversibilité et la précarité étaient de règle… il fallait le faire oublier.
Ceux là, représentaient le coeur de cible.
Les stratèges du haut conseil étaient à la manoeuvre.

- Leur force : la division des clans, l’orgueil de tous les Barons ; aucun de ces trublions n’acceptera de s’unir sous une même bannière.

- Leur arme la meilleure qui soit, infaillible en tout temps : la Peur !…
Il suffisait juste de trouver le moyen de l’insuffler…
C’est en l’occurrence en la personne du Comte Jean-Pierre Jouyon des Gracques, que viendra la solution, l’éclair de génie ou de rouerie…
Haut magistrat, ancien fermier général, puis prévôt attaché au trésor royal avant d’être nommé au poste tant convoité de main du roi.
Adulé par les puissants, raillés par tous les autres.
« Le valet de pique », « l’éminence grise du haut conseil », ou encore « le serpent », tels étaient les sobriquets les plus courants dont l’avait affublé la roture.
Lors d’une commission d’urgence, Sieur Jouyon des Gracques s’exprima en ces termes devant ses pairs :
« Frères, l’heure est grave, le monde que nous chérissons est au bord du gouffre.
Le royaume, sera sous peu pourvu d’un nouveau suzerain, mais pour l’heure rien ne nous permet de nous prémunir de ses bonnes grâces, c’est un luxe auquel nous ne pouvons agréer. Gouverner, c’est prévoir.
Il nous faut sans tarder, lancer toutes nos forces dans la bataille et imposer notre propre prétendant !
Oyez nobles seigneurs !
Le peuple se cherche des héros et bien souvent des prophètes, et vous savez comment sont les petites gens ; toujours aptes à croire en toute sorte de prophétie.
C’est notre voeu le plus cher que de les combler en tous points.
Nous allons donc leur offrir une prophétie.

La prophétie du chaos, celle de la faim, de l’errance, par le glaive et le feu.
La peur est notre alliée, et nous nous devons de l’attiser.
Il va nous falloir pour ce faire jouer d’égal avec l’alchimiste suprême ; nous allons donner vie à une créature maléfique, un croquemitaine.
Symbolisée en la personne de la duchesse de Montretout, auquel nous allons opposer notre propre champion.
L’ange contre le démon, cette merveilleuse combinaison a toujours donné d’excellenst résultats par le passé, je ne vois pas pourquoi il en serait autrement de nos jours.
Après tout, on ne change pas une équipe qui gagne.
Nous allons déchainer la terreur, et conjointement procurer le remède pour s’en prémunir.
L’union pour un monde apaisé. Un front uni contre les tourments de l’enfer.
D’une main nous allons favoriser l’investiture de la duchesse, de l’autre celle de notre poulain.
Toute la joute qui doit s’en suivre doit être focalisée sur ces deux là au point d’en faire oublier tous les autres. »
Les ordres étaient donnés :
« Que l’on ouvre les bans, convoquez les scripts de l’Acta Diurna et tous les colporteurs de la gazette royale !
Réquisitionnez l’ensemble des crieurs public, tambours de ville et gardes champêtre ; qu’ils partent sur le champ arpenter le royaume ! J’en veux un devant chaque maison, chaque branche de chaque arbre !

- Je veux inonder les villes et les campagnes d’affiches, de pamphlets, de toutes sortes de libelles ou de fabliaux

- Je veux que l’on affirme une chose et son contraire, le précis comme le superficiel.

- Je veux que l’on colporte les pires calomnies comme les plus justes vérités.

- Je veux, comme on le nomme dans l’artillerie, procéder à un tir de barrage à la libre pensée.

- Je veux que l’on sème aux quatre coins du royaume la confusion dans les esprits.

- Je veux que la plus petite fourmi, le plus petit vermisseau ne puisse concevoir les choses que par le coeur, l’humeur ou la tripaille.

- Je veux remplacer la raison par l’émotion, les faits par l’impression, l’apaisement par la discorde ! »
Un silence glacial parcouru la salle du conseil… « La Duchesse de Montretout !!! » murmurait-on tous bas.
Son domaine représentait une vaste étendue du royaume. Elle dirigeait ses sujets d’une main de fer, et exerçait une véritable emprise sur ces derniers, entretenant le rêve d’éternelle croisade et cultivant la haine de l’étranger.
On colportait à son sujet milles histoires, des plus terrifiantes aux plus invraisemblables.
La seule évocation de son nom provoquait l’affliction.
On la disait descendre d’une lignée bâtarde de feu Adolphus 1er, suprême souverain du IIIème Empire Teutonique, « l’empaleur » comme on le surnomme encore aujourd’hui, dont la soif de conquête mit le monde à feu et à sang.
Durant ces années troubles, peu de fils, de frères ou de pères furent épargnés par les terribles massacres. Ceux qui ne tombèrent pas dans la bataille finirent trucidés dans des charniers, ou pourrirent dans des culs-de-basse fosses...
Les plaies mirent longtemps avant de se refermer…
Cependant, quelques membres du conseil s’élevèrent pour fustiger cette hasardeuse manoeuvre.
« A contrario de l’alchimiste suprême, ne craignez vous pas Messire de jouer les apprentis sorciers, et de donner naissance à une machination dont nul ne maîtrisera le fonctionnement, et moins encore les effets résultants de son usage ?
Enfin reprenez- vous ! L’on ne prend pas de telles décisions sans en avoir mesurés toutes les conséquences ! »
Mais leurs voix ne furent pas entendues ; les dés étaient jetés et l’affaire fût acquise. Personne assurément, ne voudrait plus jamais revivre de si terribles tourments.
Un brasier ardent couvait toujours au creux de nos entrailles…
Bruno Roussillo




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