Nietzsche : Macron a tort, mais il a raison
On ne comprend pas le mal. Pis encore : on ne comprend pas le bien. Pourtant, le monde est une ratatouille de bien et de mal. C'est pourquoi on juge aussi capricieusement Macron et, de façon générale, la politique d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Or la subtilité veut que, par-delà les principes solides, on « corporéise » les idées. De sorte que si Macron est un corps, il peut certes se tromper, néanmoins il ne peut pas avoir (absolument) tort.
On dit que Macron a tort.
Moi je vais vous dire qu'il a raison.
Non seulement il a raison, mais il a même tort.
Evidemment : on pense son mondialisme, son libéralisme comme des hypostases. Et dès lors qu'on conçoit des pragmatismes politiques en hypostases, comme des entités conceptuelles figées, on ne peut comprendre comment le caractère erroné des idées macroniennes est, en somme, relatif, dans la même mesure que leur véridicité l'est aussi.
Regardons la France par exemple.
On parle d'un gros chômage qui traîne depuis l'après-guerre et la fin des Trente Glorieuses (une série d'années tout à fait exceptionnelles, produit par un contexte tout à fait particulier, lui-même dû à une guerre tout à fait singulière). Et lorsqu'on lit les rapports sur le chômage français, seraient-ils des rapports français ou étrangers, on y trouve des explications assez bêtes (puisque peu subtiles) sur les raisons d'un si gros pourcentage d'inactifs : d'aucuns disent que c'est la faute de l'Union Européenne ; les brexiteers anglo-saxons suggèrent à la France de ne plus vivre sous la férule économique des Allemands ; d'autres avancent un retard dans la politique libérale, tandis que d'autres encore insistent sur l'incapacité française à investir, et à l'Etat de mettre son petit nez dans les affaires économiques du pays... Bref, en un mot : beaucoup disent à tort qu'au chômage structurel de la France une solution suffit.
Partant, avec cette panacée, le monde est facilement divisible. Il y a ceux, d'une part, qui refusent d'appliquer votre/vos mesure(s) (vos ennemis), et, de l'autre, ceux qui pensent, de conserve avec vous, qu'il faut mettre en place ceci ou cela (vos partisans).
Et comment juger adroitement Emmanuel Macron si, en dépit de la subtilité, vous favorisez le fanatisme d'une seule et unique réponse ?
Parce que ce qui ne marche pas ici marche ailleurs. Prenez les Etats-Unis.
On me dira, d'abord, qu'on doit faire comme aux Etats-Unis. D'autres diront le contraire.
Les Etats-Unis ont une économie puissante et qui, par cette puissance, est éminemment sujette aux crises. Autrement dit : la force de l'économie américaine est à la mesure de sa déliquescence en cas d'éclatement de la bulle spéculative. Or – comme on le voit – une telle puissance est l'occasion d'une chute gigantesque. Tandis qu'en France, notre « archaïsme » économique nous protège des crises : ainsi, pendant la crise des subprimes, avons-nous connu une chute moindre. C'est-à-dire qu'il faut se mettre dans l'idée qu'on ne peut pas juger d'une idéologie sans prendre en compte les raisons pour lesquelles ses partisans pensent qu'elle marche... Car le libéralisme fonctionne ailleurs ! Et tel et tel projets fonctionnent aussi ailleurs. De là, comment savoir lequel ne marchera pas ici ?
Ce faisant, il faut cesser de déraciner à hue et à dia les idéologies du pragmatisme qui forme leur socle. Nous devons critiquer des idées non pas parce qu'elles sont mauvaises en soi, mais parce qu'elles sont inadaptées. C'est la grande différence entre le pragmatisme et le doctrinalisme.
Par conséquent, Macron a (peut-être) tort ici. Mais il a raison là-bas. Relativité. Macron n'est pas mauvais « en soi » à cause de son (soi-disant) consumérisme, puisque le consumérisme n'est pas le mal « en soi », mais est mauvais en fonction des intentions qu'il se donne (au fond, consumérisme ne veut rien dire, tout comme libéralisme, communisme, socialisme, gauchisme, droitisme...).
Et je ne dis pas pour autant qu'il faut arrêter de juger à l'emporte-pièce – nous le faisons tous, automatiquement, sans rien y pouvoir. C'est bien sûr. Je dis plutôt qu'il faut juger avec la claire conception, dans nos têtes, qu'on juge quelquefois à l'emporte-pièce.
Macron n'est pas le diable. C'est une volonté de puissance.
Et qu'êtes-vous, sinon des volontés de puissance, c'est-à-dire des corps qui jugent ?
Le diable, c'est le « malin ». Or, pourquoi porterait-il ce titre s'il était facilement repérable parmi nous ? Il est bien évident que le malin, dans son principe, est dit malin précisément parce, malinité oblige, on ne le voit pas du premier coup d'œil.