lundi 25 mai 2020 - par klrbos

Non, ce n’est pas un choix de vie

Cela fait quelques temps que j’ai envie d’écrire à ce sujet. Atteinte d'anorexie mentale depuis presque 15 ans, j'entends tout et son contraire à son sujet. Anorexie mentale, anorexie tout court, anorexie vomitive, anorexie restrictive, etc. Pour la plupart des gens, ces termes sont flous, synonymes, voire totalement inconnus. 

Concernant l’anorexie mentale (AM) restrictive, dont je vais parler ici, beaucoup l'associent à une simple perte d’appétit. Il n’est est rien. L’AM est belle et bien une privation. Le/la malade a faim, mais la restriction est plus forte. C’est une privation addictive, qui conduit à une perte de poids addictive et à une phobie de la reprise de poids. Certain(e)s vous diront même que le terme de “phobie “ est faible, tant vivre dans un corps qui grossit ou qui ne maigrit pas, est inenvisageable. 

J'en profite aussi pour clarifier un malentendu, à savoir que les personnes engluées dans l’AM ne se privent pas pour ressembler aux mannequins. Le déclenchement de la maladie est bien plus complexe, et multifactoriel. 

Pour illustrer mon propos, je prendrai une image  : celle d’un pistolet. Lorsque vous appuyez sur la détente alors que le barillet est vide, il ne se passe rien. Si le barillet est chargé mais que vous n’appuyez pas sur la détente, il ne se passe rien non plus. En revanche, si vous appuyez sur la détente et que le barillet est chargé, le coup part. La maladie est liée à une multitude de causes et à un évènement particulier qui peut, alors, faire office de déclencheur. 

Mais ce qui m’intéresse, ici c’est surtout le ressenti de cette maladie, car bien souvent, celle-ci est résumée à une problématique nutritionnelle. 

Je précise ici, qu’il s’agit d’un ressenti personnel, chacun(e) vivant la maladie à sa manière. 

Pour ma part, je ressens cette maladie comme tout à fait irrationnelle. Je sais que je ne suis pas grosse, que je ne mange pas assez, que je suis malade, que mon comportement est déviant, je sais tout ça, intellectuellement. 

Mais il y a un gouffre entre ce que je sais, et ce que je ressens. 

En ce qui me concerne, l’AM c’est être piégée dans un corps que je ne souhaite pas, et qui m’oppresse, mais auquel je ne peux survivre. C’est vivre de véritables euphories lors des phases de perte de poids, et un anéantissement profond lors des phases de reprises. C’est un sentiment de liberté et de légèreté infinies, en période de jeûne, lorsque mon corps s’estompe. C’est ressentir mon corps de manière démesurée, n’ayant plus besoin de me peser pour connaître mon poids. 

Au-delà de l’aspect purement nutritionnel, c’est vivre dans le froid, un froid qui vient des entrailles, et qui s’infiltre dans chaque membre. Ce sont aussi les douleurs musculaires, les crampes, les œdèmes, les indigestions, les hypoglycémies, les hormones perturbées, les suées, les migraines, les chutes de tension, les insomnies, etc. 

Mais surtout, vivre l’AM, c’est vivre dans une anxiété permanente. Cette anxiété qui me pousse à marcher entre 15 et 20km dans la journée, ou à multiplier les activités pour ne pas ressentir le vide m’envahir. Ce sont des obsessions, et particulièrement celle du temps. Tout est minuté, cadré, séquencé, la spontanéité anxiogène. C’est vivre une hyperactivité intellectuelle handicapante, de celles qui ne me permettent plus de mémoriser, de me concentrer sur une tâche, ou d'être absorbée par une activité. 

Enfin, mais pas des moindres, c’est vivre isolée, le repas étant le principal lien social de nos sociétés, et l’épuisement chronique ne favorisant pas les sorties. C’est être en permanence infantilisée, scrutée. C’est susciter tantôt la peur, tantôt le dégoût, la maigreur renvoyant à la morbidité et la rigidité. 

Pour toutes ces raisons, l’AM ne se résume pas à une assiette ou un caprice. Ce n’est pas, soyons-en sûrs, un choix de vie. 



19 réactions


  • Clark Kent Séraphin Lampion 25 mai 2020 16:06

    Quoi qu’il en soit, c’est une souffrance.

    On ne peut que souhaiter à celles et ceux (moins nombreux semble-t-il) qui la subissent de se réconcilier avec leur propre corps : ce n’est pas un produit donnant lieu à des transactions commerciales, mais un lieu de vie qui peut procurer des plaisirs.


    • Réflexions du Miroir AlLusion 25 mai 2020 17:06

      @Séraphin Lampion,
       Je ne suis aussi sûr que ce soit une souffrance.
       Il faut faire fonctionner ses neurones et ses jambes de concert jusqu’au bout dans un environnement qui procure le plaisir en « travaillant du chapeau » pour soi.
       Le cerveau, c’est comme les muscles. Il faut les entraîner pour rester en forme.
       Le sport apporte une souffrance grâce à la dopamine et on est tout content quand cela s’arrête..


    • Clark Kent Séraphin Lampion 25 mai 2020 17:54

      @AlLusion

      et le boulimie, vous en faites quoi ?


    • Clark Kent Séraphin Lampion 25 mai 2020 17:58

      @astus

      pour arriver à contrecarrer les hormones, il faut quand même avoir un sacré conflit avec la machine qui fonctionne.
      je ne sais pas si les voitures ont une âme, mais leur demander d’avancer correctement en ne faisant le jamais le plein et aller chercher à pied un bidon d’essence à chaque fois qu’on est en panne n’est pas le meilleur moyen de s’en servir, ou alors, l’âme, c’est l’automobiliste... et s’il fait ça, il est maso


  • JC_Lavau JC_Lavau 25 mai 2020 17:29

    Evidemment, il faut questionner les pathologies des deux générations précédentes.

    On ne m’ôtera pas de l’idée qu’avec une relation amoureuse et des activités amoureuses, la perspective et le vécu seraient tout autres.

    Ah oui, mais si c’est férocement interdit par la génération précédente...


    • Clark Kent Séraphin Lampion 25 mai 2020 17:53

      @JC_Lavau

      sauf que les relations amoureuses, il faut les désirer, c’est le problème de l’oeuf et de la poule.


    • JC_Lavau JC_Lavau 25 mai 2020 18:54

      @Séraphin Lampion. J’approuve l’objection.
      Je n’approuve pas ton pluriel. C’est comme de prendre en charge un déprimé suicidaire : si on savait d’avance la charge qu’on va prendre, peut-être on laisserait crever.
      D’autant que le déprimé va longuement te tester avant de te faire confiance : il/elle a tellement l’habitude de comportement pervers et hostiles bien déguisés, de la part de ses proches.
      Implicitement, j’hypothèse que l’anorexie mentale qui nous est décrite là a des origines comparables à celles d’une dépression majeure, telles que décrites par Carmen Campo et Juan Luis Linares : pièges pervers par l’entourage.
      J’avais longuement consulté cet ouvrage à la B.U., je vais peut-être le commander.
      Aussi : Certaines familles ont pour but d’avarier et de rendre infirmes


    • eau-mission eau-pression 30 mai 2020 11:27

      Salut @JC_Lavau

      Au moment de répondre à la dame, je me suis souvenu de t’avoir raconté chez @alinea ce gars qui est passé à travers la verrière du lycée de ma prépa pour une histoire de cœur. Et voila que tu es au rendez-vous, ce n’est pas un hasard.

      Impression que la science/ le calcul nous demande une dissociation excessive de la réalité, des sensations qui nous relient à l’extérieur.


  • Carburapeur Carburapeur 26 mai 2020 01:11

    Je comprends parfaitement ça...

    Plaisir de la perte de poids, sensation de faim qui tranquillise, bonheur de cette platitude du ventre, petits étourdissements que l’on gère et transforme en plaisir ou en compagnon de route.

    Reprise de poids redoutée, balance addictive, un verre d’eau ça pèse 100Gr, une pisse, presque autant. Une nuit c’est du moins, le soir c’est du plus.

    Spirale de la reprise avec tous ces évènements sociaux qui nous imposent l’aliment, sensation de faim qui revient...perte de contrôle, désespoir , effondrement.

    On s’isole des tentations, des incompréhensions et des conseils d’ignorants.

    On reprend le contrôle, on maîtrise.

    C’est une vie.


  • chantecler chantecler 26 mai 2020 09:28

    Paraît que ça peut être lié à un refus de sexualité adulte .... ?

    Un conflit avec maman ..... ? papa ..., ? Les deux  ? Ou leur conflit ... ?

    Un conflit familial profond inconscient .... ? (complexe) .... ?

    Ce qui n’est pas rien à traiter ....

    Mais c’est faisable : j’en connais plein qui s’en sont sorti .

    Déjà faut pas faire une fixation sur la bouffe . (même si le symptôme est envahissant)

    L’oublier , le mettre de côté , pour tenter de passer à autre chose .

    L’oublier , mais pas se laisser mourir , évidemment .

    Car ça ressemble aussi à une forme de suicide ....

    Changer d’air ....

    Couper des ponts , des liens , même provisoirement . ?


    • Carburapeur Carburapeur 26 mai 2020 11:09

      @chantecler
      Vous demander à un sourd d’entendre, un aveugle de voir.
      C’est justement ce genre de discours qui agace.


  • JC_Lavau JC_Lavau 26 mai 2020 10:37

    L’oeuvre de Françoise Sironi est encore une fois essentielle ici. Elle a pris en charge la réhabilitation de torturés. Les premiers étaient en provenance de Haïti. Puis elle s’est attelée à la réhabilitation de tortionnaires (des grecs du temps de la dictature des colonels, par exemple), qui eux aussi étaient des avariés, savamment avariés par leurs chef bourreaux.

    Avec les torturés, le coup de Freud ça ne marche pas, ni aucune des ruses et fraudes des freudiens. Il faut mouiller sa chemise, enquêter activement pour retracer l’intentionnalité du tortionnaire, pour avoir enfin les moyens de contrer cette intentionnalité.

    En face d’une anorexique qui cherchait à gagner encore une bataille contre tout psychiatre, Serge Hefetz se montra étonnamment brutal, soulignant la stratégie de son persécuteur interne, ou plutôt l’internalisation de persécuteurs externes. Il a par exemple souligné que grâce aux persécuteurs, son vagin asséché n’était plus fonctionnel, que sa féminité était biffée et neutralisée. Et cette femme revint quelques mois plus tard, ayant cessé de ne faire qu’un avec son persécuteur interne.

    Un gros trou est frappant dans le récit fait par « klrbos » : zéro regard des autres, ou regard méprisant et hostile : « la peur, le dégoût ». C’est pour le moins erroné. Là encore, le persécuteur internalisé a fait oeuvre de geôlier. Il y a un pervers internalisé à contrer, à réussir à contrer.

    Je ne suis certainement pas le seul à avoir le regard attiré par la minceur d’une femme, même si cette minceur est excessive, anorexique  voire due à une maladie génétique rare, ça arrive aussi. Certes les carences en progestérone, en vasopressine, en ocytocine sont encore là, et l’assèchement du vagin restreint fortement les pratiques sexuelles, mais il en demeure de délicieuses, parfaitement accessibles, tout à fait capables d’amorcer et fonder une relation durable et féconde.


  • Désintox Désintox 26 mai 2020 16:09

    Merci pour ce témoignage.

    Que la force soit avec vous !


  • sls0 sls0 26 mai 2020 16:33

    Je ne suis pas psychiatre, ne n’ai aucun domaine de compétence sur le sujet et je ne suis pas un charlatan de psychothérapeute.

    Je me suis aperçu que pour certaines personnes avec un problème, faire un chemin de grande randonnée (GR) peut être bénéfique.

    On y rencontre des gens charmants prêts à l’entraide et rarement dénués d’une certaine sagesse.

    Les perceptions que reçoit le cerveau c’est du basique, le vent, le chaud, le froid, le chant d’un oiseau, la vision d’un chevreuil ou un renard. De beaux paysages où la seule chose que l’on peut dire c’est ah que c’est beau. On peut méditer sur le ah des choses.

    Les odeurs, on refait attention aux odeurs, on ne les voit pas encore pourtant on le sent le foin ou les fleurs.

    Le physique devient le maitre, c’est lui qui va expliquer le plaisir de se couper une tranche de pain et une tranche de saucisson ou de fromage lors d’un pose.

    L’instant présent, simplement le plaisir de l’instant présent. La seule projection dans le futur c’est l’étape, l’eau, un bon pain, un bon fromage.

    Oui saturer son esprit de simple, de basique c’est ce qui a fait l’humain pendant des millénaires. L’ère industrielle a gommé un peu cet humain là.

    Ecouter ses sens, ses jambes qui disent « une pause serait la bienvenue », sa vision qui dirait « en plus la vue est superbe ».

    En méditation il y a aussi la marche médititative, la marche doit peut être avoir un coté bénéfique coté conscience et bien être.

    On regarde toujours le rapport bénéfice/risque d’un médicament ou traitement. Il n’y a pas d’études formelles sur les bénéfices donc je ne peux m’avancer. Pour les risques il y a les ampoules, devenir accro,...


  • JC_Lavau JC_Lavau 30 mai 2020 04:36

    Je demande à l’auteure la permission de reproduire son article sur le forum

    http://citoyens.deontolog.org

    Par exemple à la suite de 

    Certaines familles ont pour but d’avarier et de rendre infirmes...

    dont à mes yeux il est une illustration. Mais en indépendant, cela serait bon aussi.

    Même traitement sur http://deonto-famille.info, par exemple sur le fil http://deonto-famille.info/index.php?topic=79.0

    Ou en fil indépendant, au choix.

    Elle peut du reste s’inscrire pour écrire son article remanié par ses soins.


    • klrbos 30 mai 2020 10:43

      @JC_Lavau Bonjour, je vous en prie ! Je vous demanderais juste de garder en tête qu’il s’agit d’une simple témoignage, et non d’une vérité universelle smiley


  • eau-mission eau-pression 30 mai 2020 11:58

    L’AM ne m’interpelle qu’indirectement, mais de façon suffisamment proche pour que je vous renvoie mes réflexions à propos de jeunes femmes dont elle s’est emparée longuement.

    Vous dites : En ce qui me concerne, l’AM c’est être piégée dans un corps que je ne souhaite pas, et qui m’oppresse, mais auquel je ne peux survivre.

    Vous ne posez pas dans cette phrase une hypothèse scientifique ; vous parlez vrai, et de votre clavier sort cette certitude que « je » ne tiens pas dans mon corps.

    Pour moi, c’est l’excès de certitudes scientifiques rassurantes la cause de l’AM chez les jeunes femmes que je connais. L’explication mécanique systématique apportée à tout phénomène sensible. L’éthologie en particulier devrait être maniée avec circonspection.

    Entre parenthèses, pour sortir de cet entonnoir de nos pensées qu’est la science, j’aime bien dire comme les Grecs anciens que le vivant est le jouets de passions extérieures à lui.

    Avez-vous écouté l’anesthésiste Charbonnier ? Il porte pas mal de ces interrogations.


  • JC_Lavau JC_Lavau 31 mai 2020 17:00
    Klrbos a signé un article sur agoravox : Non, ce n’est pas un choix de vie.
    Je trouve que ce témoignage complète utilement les fils
    Certaines familles ont pour but d’avarier et de rendre infirmes... et 
    La dépression majeure, un objectif de tortionnaires raffinés...

    Il serait simple de copier-coller son texte et de le réputer sous ma signature. Mais ce sont des forums et pas des blogs. Je tiens à ce que l’auteure conserve la possibilité de modifier son texte sans se référer au ouebmestre - qui après tout peut mourir.
    Je crée donc son identité ici sous son pseudo de là bas. La difficulté est que j’ignore son adresse courriel, et qu’elle ignore quel mot de passe provisoire je lui ai créé. Elle doit me le demander à l’adresse admin at caton-censeur.org.


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