samedi 17 janvier 2009 - par Le bateleur

Non monsieur Santini ne tuera pas la culture générale...

Le député propose de supprimer l’épreuve du même nom aux concours recrutant des fonctionnaires de catégorie B et C.

Certains s’en désolent*, ils ont bien tort, car de quoi s’agit-il vraiment ?
Rien plus, rien moins que d’incinérer le cadavre d’un mourant.

Ce qu’ils nomment pompeusement, à la suite de ceux qui ont fait apparaître ce concept détaché du continent du savoir, "Culture Générale", n’a rien de commun avec ce que ces mots sont censés désigner, à savoir des connaissances en rapport avec le monde en général et celui des hommes en particulier et qui devraient à ce titre former un tout, c’est à dire, un continent dans le meilleur des cas (lorsque cet ensemble a de la consistance, de la tenue) un archipel à minima (ce qui est le cas lorsque le savoir est encore, comme les terres primordiales sur notre planète, en émergence et que les liaisons ne sont pas encore toutes visibles.)

Non, la matière ainsi enseignée (ce qui est bien sûr un non sens) n’a que de très lointains rapports (de contenu) avec la formation de la "Culture Générale".



Il suffit pour s’en rendre compte de lire les supports de ces enseignements, lesquels sont directement calqués sur le mode d’évaluation choisi pour mesurer ladite "Culture Générale" à savoir le QCM : Questionnaire à Choix Multiples dont la forme couramment diffusée dans le grand public est celle du jeu Trivial Pursuit** .

livre de préparation à l’épreuve en aperçu limité en cliquant sur cette image

La question de cette Culture Générale érigée en matière, est tout à fait centrale dans la manière dont a évolué l’enseignement dans la plupart des pays modernes.
La spécialisation ayant vu diminuer progressivement tout ce qui donnait de la cohérence à l’ensemble des acquis et en premier lieu la finesse de la langue et la maîtrise d’un vocabulaire et d’une synthaxe propres à permettre des acquisitions fines dialoguant les unes avec les autres, tout ce qui était précisément "Culture" s’est trouvé progressivement écarté des contenus des enseignements.
En mathématiques par exemple***, le souhait d’atteindre plus directement, plus efficacement des objectifs, dont on a oublié qu’ils n’étaient la plupart du temps que des moyens, a conduit à l’évitement de la langue, à la focalisation de l’activité sur l’apprentissage de "compétences" ciblées, autant d’îles de savoir (dans le meilleur des cas****) incapables de générer chez celui qui est censé s’élever, la moindre "Culture Générale".

C’est ainsi, suite au repérage d’un manque qui avait été généré par ces recherches de vitesse et d’efficacité, qu’est apparu à ceux qui surveillaient la production des systèmes d’enseignement, la nécessité de "remettre du lien" entre des savoirs qui ne communiquaient plus au sein de la personne.
Sont ainsi apparues toutes ces tentatives pour ajouter du "transverse" *****
Et ceux qui ont suivi ces opérations de rabibochage ont connu les Travaux Croisés, les Itinéraires de Découvertes, et autres essais pour, en premier lieu, faire communiquer les enseignants des différentes matières, puis donner des temps où ces matières se rencontreraient pour produire un échantillon de synthèse.
L’abandon successif de toutes ces tentatives est éloquent.

La suppression que propose monsieur Santini n’est qu’une étape de plus dans cet abandon.
Les rondelles de savoir prédécoupé façon quizz******, au contraire de former la Culture (Générale) de celui qui n’en possédait pas de source à proximité, faussent totalement la perception de celle-ci et donnent à croire qu’elle est constituée de pièces de lego qui s’agencent et constituent une couche indépendamment du reste des acquis.

C’est ce cadavre là que monsieur Santini, poussant à son extrémité la logique à l’oeuvre dans notre société qui est celle de la destruction du savoir, c’est cette dépouille que ce député très au fait de ce qu’est la véritable culture, ce sont ces restes ultimes d’une arnaque à la Culture que ce titulaire du prix Iznogood propose de faire disparaître.
 


Et l’on devrait pleurer ?*******


* Voir : "La culture générale c’est la liberté"

** Dont le nom heureusement françisé des canadiens complète de façon intéressante le sens des mots originaux.
« Quelques arpents de pièges », un jeu trivial construit comme des exercices faits pour piéger.
Il est aussi instructif de voir que l’essai de francisation "remue méninges" n’a pas fonctionné.
Et pour cause, les méninges y sont assez peu sollicitées.

*** Pour de nombreuses matières il en a été de même et en particulier l’Histroire Géographie, dérivant progressivement d’une matière au contenu dense et propice à l’enrichissement du fond et de la forme concernant la langue, vers "l’étude de cas" (toujours ce souci d’aller au plus vite à l’essentiel) et ce, dès l’école primaire.

**** Car souvent elles ne sont que des "données" que l’élève stocke.

***** Tentative vouée à l’échec. C’est l’élève qui construit le sens. On ne peut, comme dans un plat préparé (et même dans ce cas !) ajouter le goût à la fin.

****** Il y a bien évidemment des acteurs isolés ou des petits groupes qui tentent réellement d’apporter un fond de culture à leur élèves dans les enseignements du même nom.
Mais la nature même de l’épreuve à laquelle ils sont censés préparer condamnait par avance leur désir de bien faire et le temps dont ils disposent ne leur permet le plus souvent que d’éveiller l’appétit, la plupart du temps au détriment du résultat intermédiaire visé, à savoir l’examen.

******* Ceux qui ont de l’énergie à dépenser sur le thème de l’enseignement ne doivent pas se laisser attirer par ce débat qui n’en est pas.


14 réactions


  • foufouille foufouille 17 janvier 2009 14:32

    les fonctionnaires bureaucrates ont pas de culture generale


    • K K 17 janvier 2009 15:19

      Allons foufouille, vous generalisez. Il y a certainement des milliers de fonctionaires qui ont autant de culture generale que vous.


    • Yohan Yohan 17 janvier 2009 15:33

      Si les concours étaient aussi efficaces pour sélectionner nos agents su service public, ça se saurait. 
      Il suffit de voir l’enthousisame et la qualité du service et de l’accueil qui règne à l’ANPE, la Poste et à la SNCF. A quand un recrutement sur les compétences et sur la motivation, comme ailleurs ?


    • foufouille foufouille 17 janvier 2009 16:17

      en 95, j’ai failli faire le concours "reserve" handis aux impots
      niveau demande BEP, reel bac+2
      on etait deux a etre handi sur 30

      la fonction publique (hors prof, et encore) est reserve aux fils de fonctionnaires
      leur incompetence general et leur mepris est tres visible
      ils jugent a la tete du client

      a cette epoque, j’avais une amie dont le pere bossait a la secu
      les remplacement d’ete etaient fait par leurs enfants
      les ordi eteint a 5h, mais certains bossait jusqu’a 7
      de plus les dossiers de la famille sont sur le dessus et accepter sans probleme

      le chef est bien sur invisible


    • Le bateleur Le bateleur 17 janvier 2009 16:30

      Qui, dans le système d’enseignement fait pour cloisonner les savoirs (à présent souvent nommés compétences) a de la culture générale ?

      Interrogeons les cadres des entreprises pour savoir qui sait par exemple de quoi la France est faite et comment elle s’est constituée ?

      Les fonctionnaires sont comme les autres, ni plus, ni moins.


    • Le bateleur Le bateleur 17 janvier 2009 16:32

      Ce que vous décrivez ici, c’est le système féodal de retour dans notre république.

      Effectivement il n’a pas besoin de culture, ni générale ni autre.


    • Le bateleur Le bateleur 17 janvier 2009 16:36

      En réponse à
      "Si les concours étaient aussi efficaces pour sélectionner nos agents su service public, ça se saurait.
      Il suffit de voir l’enthousisame et la qualité du service et de l’accueil qui règne à l’ANPE, la Poste et à la SNCF. A quand un recrutement sur les compétences et sur la motivation, comme ailleurs ?"

      Le recrutement par compétence est un piège, tout comme celui sur la motivation.
      Il conduit à embaucher les meilleurs "candidats"
      c’est à dire ceux qui sont les plus efficaces en phase d’entretien.

      La question de l’article se situe davantage du côté de la perte de savoir (il existe la même dans la métallurgie pour la même raison de perte de culture) dans tous les enseignements modernes.


    • foufouille foufouille 17 janvier 2009 16:59

      je dirais plutot que, prive ou publique, ils sont selectionnes par rapport a la mentalite du chef


  • Papybom Papybom 17 janvier 2009 20:56
     
    Qui connaît Monsieur SANTINI ?
    Les juges, les avocats et notre empereur.

  • Céline Ertalif Céline Ertalif 17 janvier 2009 22:26

    Effectivement, la culture générale sous forme de QCM cela a quelque chose de grotesque. La culture permet de faire des liens entre une action et un projet, elle permet l’appréhension du contexte et facilite la formulation de solutions. Je suis tout à fait d’accord avec les caractères fondamentaux de transversalité et continuité décrits dans l’article pour défendre la culture générale face à la formation utilitariste qui ne vise que le court terme. L’utilisation des mathématiques comme outil de sélection, sans aucune bribe de connaissance historique des sciences, c’est ce que nous avons (presque) tous connu et c’est abominable : le savoir se réduit à la théorie et à l’exercice, c’est cela l’absence de continuité et cela conduit tout droit à une pratique répressive du savoir, en l’occurrence l’élimination, la sélection par l’échec. Même s’il n’est pas indispensable de connaître le sens du mot épistémologie, en faire un peu l’est !

    Cela dit, la culture générale est très difficile à sanctionner. Parce que la culture générale reconnue, c’est souvent celle du chef, ou celle de la culture dominante, celle des facultés de droit (qui refusent les historiens non-juristes dans leurs facultés...) par exemple dans notre administration française alors que les facultés juridiques brillent plus par leur héritage que par leur ouverture.

    Derrière cela, il y a le problème du recrutement par concours dans la fonction publique. Le concours est un mode de recrutement complètement inadapté dans une société où les savoirs professionnels bougent. Dans toutes les situations, on a besoin de savoir-faire professionnels et de culture générale : les deux sont indispensables, ils ne faut pas les opposer et surtout ne pas croire que l’un puisse remplacer l’autre.


  • TSS 18 janvier 2009 01:07

    la culture c’est comme la confiture,moins on en a plus on l’etale !!

    c’est une des specialités de nos politiques et particulièrement du plus élevé en grade ,notre sourisseau à

    talonnettes ... !!


    • Céline Ertalif Céline Ertalif 18 janvier 2009 19:43

      Ben, je ne crois que notre Président de la République brille par sa culture générale. Pour être honnête, c’est même ce qui le singularise de la manière la plus nette de tous ses prédécesseurs de la Vème République. Sans parler de Blaise Pascal que vous citez, naturellement.


  • Le bateleur Le bateleur 18 janvier 2009 10:41

    réponse à
    "Effectivement, la culture générale sous forme de QCM cela a quelque chose de grotesque.
    ...
    Derrière cela, il y a le problème du recrutement par concours dans la fonction publique. Le concours est un mode de recrutement complètement inadapté dans une société où les savoirs professionnels bougent. Dans toutes les situations, on a besoin de savoir-faire professionnels et de culture générale : les deux sont indispensables, ils ne faut pas les opposer et surtout ne pas croire que l’un puisse remplacer l’autre."

    Tout à fait d’accord et merci pour le développement concernant ce que devrait être un enseignement mathématique ouvert et fructueux.

    Oui le concours est un mode de sélection dépassé,
    le problème est que les compétences nécessaires en situation de travail ne s’évaluenet qu’en situation de travail sur un terme relativement long (qui excède les périodes d’essai ... car il faut tenir. Et certains, on en connait en politique, ne sont que de bons candidats)

    Le pire recrutement que j’ai pu suivre était celui que nous avions le mieux préparé, la personne retenue ... ne s’est pas présentée lorsqu’elle a du entrer en fonction, elle avait candidaté ailleurs.

    Ceci dit, actuellement beaucoup de propositions d’amélioration de ceci ou de cela ne visent en réalité qu’à baisser les coûts.
    Le contraire pouvant être défendu ensuite, parce qu’il occasionne à son tour une nouvelle économie.

    C’est à ce titre que des acteurs réformateurs courageux et compétents se font avoir en donnant des occasions (et des justifications) pour des changements qui ne sont en rien motivés par l’amélioration réelle (ici du recrutement) et qui, lorsqu’ils sont mis en place, n’étant soutenu par aucun esprit, ni valeur, s’avèrent souvent catastrophique.


    • Céline Ertalif Céline Ertalif 18 janvier 2009 19:49

      Je suis malheureusement d’accord vos deux derniers paragraphes. L’Etat vit dans l’obsession comptable et ne pratique qu’une méthode de réforme : la strangulation.


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