Nous, l’Europe, avons reçu le néolithique comme un cadeau arrivé tout prêt du Proche-Orient
L’Europe a reçu le néolithique comme un cadeau, arrivé tout prêt du Proche-Orient... avec ses villages, son blé, ses moutons et ses chèvres, sa poterie et ses symboles ; une révolution totale pour les descendants des chasseurs-cueilleurs de Lascaux. (revue Sciences et Avenirs, janvier 2008, au sujet des travaux de l'archéologue Danielle Stordeur en Syrie).
Bien d'accord, mais ce cadeau, chez nous, où se trouve-t-il ? Où faut-il le chercher ? Où l'avons-nous reçu ?
Située au croisement de routes européennes ancestrales, la Saône-et-Loire est considérée par les spécialistes comme le plus riche département français en vestiges archéologiques, notamment de l’époque néolithique (6 000 à 3 000 ans av. J.-C. environ en Europe d’après Wikipedia). Dans ce département, il est un site étonnant que je connais bien pour y avoir monté des exercices militaires à double action lorsque j’étais en activité : le plateau de Chassey-le-Camp. Ce plateau doit son nom aux nombreux vestiges néolithiques de l’époque "chasséenne" qu’on y a découverts.
Une tribu de Chasséens qui se seraient installés sur ce plateau au sol rocailleux où ne poussent que des buis sauvages, sans possibilités de patûres ou de culture proches , bref qui se seraient installés là pour le seul plaisir de tailler le silex et de regarder le paysage, certes magnifique, laissez-moi rire !
Il n'y a qu’une explication : l’explication militaire. À l’entrée du couloir de la Dheune, Chassey-le-Camp était, à la fois un poste d'observation et d'alerte avancée face à la plaine des invasions et une porte qu’il fallait garder. Qu'y avait-il donc de si précieux à garder derrière cette porte dont les sentinelles étaient probablement périodiquement relevées ou ravitaillées. Réponse : un pagus avec ses champs de céréales, ses moutons et ses chèvres venus tout droit du Proche-Orient si l'on suit la thèse de Mme Danielle Stordeur. On devine que les hommes du poste de garde occupaient leur temps libre à tailler des pointes de silex pour leurs lances et leurs flèches, d’où la richesse en vestiges archéologiques du lieu.
L’image d’une tribu préhistorique installée en terrain vague, sans souci de protection comme on le voit couramment dans les documentaires télévisés, provoque toujours en moi quelques doutes. Plus on remonte dans le temps, plus l’Histoire montre et démontre que l’homme n’a aimé son prochain qu’au sein de sa communauté... d’où la nécessité de se protéger de l’autre, d’où l’impérieuse obligation pour une communauté déjà conséquente de s’installer dans un sanctuaire sécurisé (en particulier à la fin du néolithique, période où la concurrence devient plus forte).
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La partie du département qui s’étend entre la Saône et la Dheune a toutes les qualités pour être un tel sanctuaire. Du côté de la Saône et la surplombant, la prolongation des monts escarpés du Beaujolais avec son habillage naturel de buis impénétrable est une barrière idéale, alors qu’à l’ouest de la Dheune, les forêts denses dominent. Entre ces deux lignes difficilement pénétrables que bordent deux cours d’eaux, la Dheune et la Saône, s’étend un paysage de douces collines propices à l’élevage et à l’agriculture. Au centre de cette région, en arrière des plateaux rocailleux de Chassey-le-Camp et des monts d'Agneux se dresse un remarquable point d’observation et de défense : le horst de Mont-Saint-Vincent.
Mais alors, si l’occupation de la position de Chassey-le-Camp ne s’explique que par la volonté des gouvernants de garder la route qui mène au Mont-Saint-Vincent et à son pagus, il faudrait faire remonter cette “volonté” à l’époque chasséenne, puisque vestiges chasséens il y a. Dans cette hypothèse, les hommes du néolithique auraient donc déjà, de leur temps, appliqué sur le terrain un dispositif défensif réfléchi, ce qui rejoint la déclaration de Mme Danielle Stordeur : des hommes déjà civilisés.
En tant qu’ancien militaire, je crois à la permanence des points forts du terrain. C’est sur ce horst préhistorique que je situe la Bibracte de Strabon et de César, puis l’Augustodunum burgonde et franc et, enfin, le Mont-Saint-Vincent des comtes de Chalon. C'est sur ce horst que subsistent les ruines d'un oppidum ovale de forme identique au contour de l'enceinte de la ville de Troie. Conformément à la logique militaire, les points forts du terrain perdurent, ce sont les noms qui changent. Tout cela, je l’ai expliqué dans mes articles précédents. Chassey-le-camp était la porte d'entrée qui s'ouvrait sur le Mt-St-Vincent... véritable Bibracte.
Lorsque dans ses Commentaires, César explique l’attaque surprise d’Arioviste contre le pays éduen, c’est à cette porte de Chassey-le-Camp que je situe le premier engagement. Quand le rhéteur Eumène rappelle comment les Eduens avaient dû se retrancher dans leurs oppidum et comment les Gaulois rebelles de Trèves avaient franchi les portes, il fallait comprendre qu’il s’agissait des portes du territoire et non pas de portes d’oppidum, l’une étant Chassey-le-Camp,
Ce pagus de Bibracte, c'est le pagus Arébrignus dont parle encore au IV ème siècle le rhéteur Eumène dans un discours de remerciement à Constantin (Constance-Chlore en réalité, traduction : abbés Landriot et Rochet) : Et même c'est à regret qu'on ensemence le canton Arébrignus, seule localité où se fasse sur une très petite échelle la culture de la vigne, car au-delà (côté Saône) on ne rencontre que des forêts et des rochers inaccessibles, où les bêtes sauvages ont une retraite assurée. Quant à la plaine adjacente et qui s'étend jusqu'à la Saône, elle était, dit-on, autrefois d'une délicieuse fécondité entretenue par une culture non interrompue, dont le travail dirigeait le cours des eaux à travers les vallées ouvertes et dans les terres de chaque particulier ; mais aujourd'hui la dévastation a fermé ses canaux, et tous les lieux bas, que cette position même rendait fertiles, sont changés en fondrières et ensevelis sous des eaux dormantes. (Eumène se trouvait aux écoles moeniennes d'Augustodunum/Bibracte/Mont-Saint-Vincent)
Eumène est un faux jeton. Il plaide pour que la cité soit exemptée d'impôts. Il ne met en exergue que les pentes est du pagus qui vont jusqu'à la Saône, pentes rocheuses où vivent encore des lions, puis, plus bas, les vignobles anciens.
Telle est, à mon sens, l’histoire de nos origines.
Le présent article est une reprise de celui qu'Agoravox a bien voulu publier le15 janvier 2008 https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/naissance-d-une-civilisation-de-la-34394
Emile Mourey, 4 juillet 2019